Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Haïti : Un Génocide planifié

Après avoir réalisé le génocide des Amérindiens au début du XVIe siècle et
cautionné celui des Tutsis au Rwanda à la fin du siècle dernier, l’Occident, avec en premier chef les États-Unis, est le point d’accomplir, par une
catastrophe humanitaire, le plus grand génocide du XXIe siècle en Haïti.

Depuis la chute de la dynastie des Duvalier en 1986, le pays est entré
dans une ère d’instabilité politique profonde qui s’est intensifiée ces dix
dernières années au point de transformer la Première République nègre en
une vraie entité chaotique ingouvernable.

Selon le politiste haïtien, Sauveur Pierre Etienne, Haïti symbolise l’échec
dans tous les sens du terme. Cet échec ne saurait être imputé à la seule
incapacité des Haïtiens à définir la meilleure stratégie pour faire face au
problème du sous-développement, mais il révèle aussi des efforts conjugués
des grandes puissances, particulièrement des États-Unis, pour bloquer la
marche de cette nation vers les chemins du progrès économique et de la
stabilité politique.

Dès 1804, la Première République noire fait face à l’hostilité
internationale. Son indépendance est boycottée par les grandes puissances
de peur que celle-ci n’influence le destin des autres colonies européennes
de l’Amérique latine et de la Caraïbe. Le pays allait vivre dans
l’isolement international malgré sa contribution dans l’effondrement de
l’empire colonial espagnol et portugais sur le continent.

En 1825, des navires de guerre de la marine française arrivaient dans la
rade de Port-au-Prince pour imposer à l’État haïtien l’Ordonnance de
Charles X prévoyant le paiement de 150 millions de francs pour la
reconnaissance de l’indépendance nationale obtenue au prix du sang en 1804.
Le chef d’État d’alors, Jean Pierre Boyer (1818-1843), céda à la pression
de l’ancienne métropole. Il accepta les termes de cette ordonnance qui
inaugure, d’après Benoit Joachim, ‘’ l’ère du néocolonialisme en Haïti ‘’.

Au début du XX e siècle, l’Allemagne présente dans les eaux caribéennes est
partie prenante de la guerre civile de 1902. Elle a soutenu le général Nord
Alexis face à Anténor Firmin. Ce dernier a été battu grâce à l’intervention
du Panther allemand pour neutraliser la Crête-à-Pierrot, le seul navire
dont disposait le pays entre les mains des firministes. Et en 1915, le pire
s’est produit. Le pays est occupé par la marine américaine et Washington y
imposa un protectorat jusqu’en 1934.

La sociologue haïtienne, Myrtha Gilbert, analysant les effets négatifs de
cette occupation nord-américaine parle de ‘’ l’infantilisation de l’élite
haïtienne ‘’ c’est-à- dire une élite incapable à produire des réponses
rationnelles au mal être du pays. Elle ne fait qu’attendre des solutions
occidentales au problème haïtien, celles de Washington, de Paris et
d’Ottawa. Elle est dépourvue de toute consistance morale, idéologique et
intellectuelle qui pourrait la rendre apte à guider les actions des masses.

Le départ des Américains n’a pas mis fin à leur politique néocoloniale. Ils
continuent à s’immiscer dans les affaires politiques et économiques
nationales. Les gouvernements rétrogrades et conservateurs sont soutenus
par Washington, et cela participe au renversement de ceux posant les bases
du bien être économique et social de la population. En témoignent le
soutien du Département d’État au régime sanguinaire et rétrograde des
Duvalier (1957-1986) et son hostilité au gouvernement progressiste de
Dumarsais Estimé (1946-1950).

Depuis 1986, l’on assiste à l’effondrement accéléré de l’État haïtien,
résultante de l’application de la géopolitique du chaos déjà expérimentée
en Somalie par les Américains en 1994. Cette théorie inspirée du
machiavélisme consiste à décapiter une société, détruire ses élites,
anéantir ses institutions, briser ses structures de sécurité, affaiblir les
forces de l’ordre, transformer l’État en un concept vide de sens.

En ce début du XXIe siècle, Haïti fait l’expérience de ce scenario du
diable (Luc Michel) concocté par l’Oncle Sam. La pénurie de l’essence, à
côté de l’affrontement des bandes armées, du kidnapping, de la criminalité
organisée, sera à l’origine d’un génocide lent mais planifié par les
grandes puissances.

Il n’est pas prudent aujourd’hui en Haïti d’être malade ou d’avoir une
urgence médicale. Car les hôpitaux, victimes de la crise du carburant,
ferment leur porte un à un. Dans ce pays où l’on a 5,9 médecins pour 10 000
habitants (OMS, 2016), le droit à la maladie est strictement interdit.

Les prix des produits de première nécessité connaissent déjà une
augmentation significative, conséquence du stockage du carburant par un
secteur au niveau national qui soutient l’acte génocidaire provoquant le
marché noir dans l’informel. Si rien n’est fait par cette bande
d’incompétents et d’ignares au pouvoir soutenus par la République étoilée,
le pays avancera à pas géant vers un désastre humanitaire.

L’économie nationale déjà anémiée, en souffre. Des entreprises commerciales
fonctionnent au ralenti réduisant leur horaire de travail de 5 à 3 jours.
On n’est pas trop loin d’un ‘’ locking économique ‘’ total entrainant le
chômage de masse, corolaire de la famine, dans ce PMA de plus de 11
millions d’habitants où 70% de la population vit avec moins de 2 US par
jour (Banque mondiale, 2020).

Certaines universités qui travaillent au ralenti depuis l’explosion des cas
de kidnapping, il y a un an, ferment de nos jours leurs portes et les
professeurs sont basculés au chômage et dans la précarité. Les moins
précaires au service des classes dites ‘’ moyennes ‘’ tiennent tête mais
suivent la stratégie du secteur commercial de 3 jours de travail sur 5. Les
écoles secondaires emboîtent le pas devant les coûts exagérés des frais de
transport qui augmentent parfois jusqu’à 500 % selon le circuit.

Chaque jour une porte se ferme sur Haïti. La communauté internationale,
l’OEA, la CARICOM, le Gore Group, les puissances étrangères etc. croisent
leurs bras devant la tragédie haïtienne et assistent en spectateurs
cyniques, â l’effondrement du peuple qui a tracé la voie de la liberté au
monde.

Les puissances occidentales ont décapité la société haïtienne. Ses élites
sont en lambeaux. Les ‘’ classes moyennes’’ demeurent un souvenir. Ses
forces de sécurité nationale sont dépassées devant les actions criminelles
des bandes armées. Ses institutions sont démolies. L’État haïtien devient
un concept flou, une construction absurde.

L’intelligentsia nationale, si elle existe encore, doit se réveiller pour
jouer son rôle d’avant- gardiste et d’éclaireur comme en 1915 avec Catts
Pressoir, Jean Price Mars, Horace P Sanon, Rosalvo Bobo, Dantès Bellegarde
etc. sinon le pays marche vers sa disparition sous le poids d’un génocide.
Parlant d’Haïti et de la bravoure de son peuple qui a changé l’ordre
mondial en 1804 par sa révolution, le président Franklin Delano Roosevelt
disait : ‘’Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à
chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entre-déchirer les
uns les autres, c’est la seule façon pour nous d’avoir une prédominance
continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les
armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs
d’Amérique." Ce discours inspiré du machiavélisme primaire, demeure le fil
conducteur de la politique américaine en Haïti, ce pays stratégique au
cœur de la mer des Caraïbes qui est un cauchemar pour l’Occident en
particulier la France.

Bleck D Desroses

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