Par Smith PRINVIL
Sur le terrain, ces mots trouvent un écho douloureusement réel. Des rafles dans les rues de Santiago et Santo Domingo. Chaque semaine, des camions de la Dirección General de Migración sillonnent les quartiers populaires. À la sortie des chantiers, dans les marchés ou à l’arrêt des bus, des hommes en uniforme arrêtent sans distinction. Le critère ? La couleur de la peau. Le créole. Le type de cheveux. L’apparence.
« Je suis né ici, à La Vega. Je n’ai jamais mis les pieds en Haïti. Mais ils m’ont arrêté, m’ont dit que je n’étais pas Dominicain. Je n’avais pas mes papiers sur moi. Je me suis retrouvé à Dajabón, de l’autre côté de la frontière, sans rien », témoigne Wilner, 24 ans, un Dominicain noir de parents haïtiens, expulsé en février dernier.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Luis Abinader en 2020, le gouvernement a intensifié sa politique dite de « contrôle migratoire ». En réalité, dénoncent les ONG, il s’agit d’un nettoyage ethnique à peine voilé, soutenu par une rhétorique nationaliste. Les autorités justifient ces expulsions par la « pression migratoire » exercée par la crise en Haïti. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Amnesty, plus de 200 000 personnes ont été expulsées en 2024, y compris des femmes enceintes, des enfants, des malades, parfois en pleine nuit.
Le droit international interdit les expulsions collectives et exige que toute procédure respecte les droits fondamentaux de la personne. Or, comme l’a documenté Amnesty International, nombre d’expulsés ne bénéficient ni d’assistance juridique, ni d’accès à un interprète, ni même de la possibilité d’emporter leurs effets personnels.
En 2013 déjà, la Cour constitutionnelle dominicaine avait rendu un arrêt déchu de toute humanité, retirant rétroactivement la nationalité dominicaine à des milliers de personnes nées dans le pays de parents étrangers, essentiellement haïtiens. Cette décision avait été fortement condamnée sur la scène internationale. Plus de dix ans plus tard, les conséquences se poursuivent.
Face à cette situation, le silence complice des pays de la région choque. L’Organisation des États américains (OEA), la CARICOM et même les Nations Unies semblent impuissants – ou désintéressés. Pendant ce temps, des familles entières sont déportées dans un pays qu’elles ne connaissent pas, livrées à la violence, au chaos, à la précarité extrême.
Pour Haïti, déjà au bord du gouffre, ces retours forcés sont une charge humaine, sociale et économique insoutenable. Pour la République dominicaine, c’est une dérive inquiétante vers une gouvernance de l’exclusion, sous couvert de souveraineté.
« Ce n’est pas une crise migratoire, c’est une crise des droits humains », conclut Amnesty.Et tant que les États choisiront l’aveuglement, les murs de la frontière continueront de s’ériger non seulement en béton, mais en haine.
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