Édition du 15 octobre 2024

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Hamid Karzai : Le président des seigneurs de guerre

Hamid Karzai s’est assuré un deuxième mandat en tant que président de l’Afghanistan. Au début novembre, le président sortant Hamid Karzai a été déclaré vainqueur après que son rival, Abdullah Abdullah, se soit retiré d’un deuxième tour fixé au 7 novembre 2009, mettant ainsi un terme grotesque à la farce électorale afghane.

Texte publié le 7 novembre dans l’hebdomadaire de l’International Socialist Organization, Chicago.

Karzai a tenté de voler le résultat des élections qui se sont tenues en août 2009 et cela au moyen d’une fraude massive des suffrages. Cette fraude était tellement grossière – plus d’un million de votes en sa faveur au cours du premier tour ont été disqualifiés – que les observateur-trice-s internationaux ont fait pression pour qu’il admette qu’il n’avait pas la majorité requise. Le deuxième tour devait se tenir début novembre, mais Abdullah s’est retiré une semaine avant cette échéance.

Il semble que dans un premier temps, Karzai ait voulu s’opposer à l’annulation du deuxième tour dans l’espoir qu’une victoire, même dans une élection sans opposant, aiderait à redonner un semblant de légitimité à son règne soutenu par les Etats-Unis.

Mais les officiels états-uniens se sont rapidement déclarés satisfaits du résultat, apparemment dans l’espoir d’éviter une nouvelle opération de fraude électorale et d’échapper à la difficile tâche d’assurer la sécurité pour les électeur-trice-s et observateur-trice-s dans les lointaines provinces afghanes. Karzai a finalement cédé et a accepté la victoire.

Dans un discours larmoyant, Abdullah a expliqué que sa décision de se retirer était dictée par des raisons personnelles en lien avec sa préoccupation au sujet de la fraude. Mais ce vernis émotionnel cachait un froid calcul politique.
Abdullah avait exigé le remplacement d’Azizullah Ludin, le président de la Commission Indépendante électorale choisi par Karzai ainsi qu’une série de réformes électorales que Karzai a catégoriquement refusé d’appliquer. Mais Abdullah a sans doute estimé qu’il conserverait mieux ses chances pour une prise de pouvoir ultérieure en se retirant qu’en perdant le deuxième tour.

Abdullah, qui avait été ministre des affaires étrangères après le gouvernement afghan « intérimaire » en décembre 2001 et qui est resté à ce poste après la première élection de Karzai en 2004, n’a pas jugé utile d’appeler ses partisan-ne-s à boycotter l’élection ni à protester.

Abdullah a également annoncé qu’il ne se joindrait pas au gouvernement de Karzai, mais dans un système politique marqué par des allégeances très mouvantes parmi les seigneurs de guerre, les trafiquants de drogue et les différents dirigeants ethniques et religieux, les ennemis sont rarement irréconciliable à jamais.

Par exemple : les différents seigneurs de la guerre qui formaient l’Alliance du Nord ont servi d’opposition parlementaire à Karzai jusqu’à ce qu’ils fassent la paix avec lui – et lui aident à réunir les votes, à la fois réels et faux – le 20 août.

Il est possible qu’Abdullah tente de remplir le vide d’opposition laissé par les seigneurs de la guerre. Ou peut-être devra-t-il conclure un accord avec Karzai ou avec les Etats-Unis, même s’il insiste sur le fait qu’il n’a rien reçu de leur part pour sa décision de ne pas contester l’élection.

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Les nouvelles des derniers rebondissements de l’élection présidentielle sont arrivées au moment où la guerre que mènent les Etats-Unis en Afghanistan s’intensifiait : le mois d’octobre a amené le bilan le plus élevé de militaires états-unien-ne-s tué-e-s, entraîné notamment par des attentats à la voiture piégée et deux accidents d’hélicoptère qui ont coûté la vie à 22 membres du personnel états-unien dans les derniers jours du mois.

L’intensification de la lutte entre les forces états-uniennes et de l’OTAN d’une part et les rebelles insurgés d’autre part a entraîné non seulement un pic dans le nombre des troupes tuées au cours des combats mais également une forte augmentation du nombre des militaires blessées. Selon le Washington Post : « Plus de 1000 troupes américaines ont été blessées au combat au cours des trois derniers mois en Afghanistan, et ce nombre correspond à un quart des blessés au combat depuis l’invasion de 2001 dirigée par les Etats-Unis ».

Les engins explosifs improvisés (Improvised Explosive Device – IED) sont actuellement l’arme de choix pour les combattants talibans, et certains sont tellement puissants qu’ils peuvent détruire des véhicules ultra-modernes censés pouvoir résister aux mines que le Pentagone avait déployées pour protéger les troupes. Le Washington Post rapporte que :« L’unité 57 du Centre Médical Walter Reed (du Centre Médical de l’Armée) fournit une preuve déchirante de l’efficacité dévastatrice des bombes, avec des patient-e-s souffrant d’amputations, de lésions de la moelle épinière, des traumatismes du cerveau et des fractures ».

Or, le Président Barack Obama est en train d’examiner une demande du Général Stanley McChrystal, le plus haut gradé du Pentagone responsable en Afghanistan, d’envoyer entre 40’000 et 80’000 troupes états-uniennes supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 68’000 hommes déjà sur place. On peut donc s’attendre à ce que le nombre de victimes augmente encore davantage.
En même temps, la guerre menée par les Etats-Unis et l’OTAN continue à infliger un nombre fort grand de victimes afghanes, mais ce n’est que rarement que les grands médias s’intéressent à cette réalité.

David Kilcullen, un ex-officier de l’armée australienne – qui est actuellement un consultant pour les Etats-Unis et d’autres pays de l’OTAN sur les questions des tactiques contre-insurrectionnelles – a indiqué que dans les attaques aériennes récentes, les Etats-Unis avaient tué 98 civils pour deux « insurgés ». Des enquêtes fondées sur un ensemble d’indicateurs donnent des résultats différents.

Une enquête par sur la base d’indicateurs multiples effectuée pour les neuf premiers mois de l’invasion et de l’occupation a estimé que 10’000 civils avaient été tués, dont la plupart au cours d’attaques aériennes. Si une enquête similaire était effectuée aujourd’hui, elle montrerait les effets réels (élevés) d’une campagne aérienne beaucoup plus intense au cours d’une guerre qui dure maintenant depuis huit ans. Il paraît évident que l’utilisation en forte hausse de bombes à fragmentation, de « daisy cutters » [littéralement : faucheuse de marguerites], des missiles « intelligents » dirigés contre des rassemblements lors de mariages, l’artillerie dirigée par des drones et les habituelles munitions non-explosées, auront moissonné davantage qu’un nombre négligeable de victimes ?

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Le nombre croissant de victimes de sa guerre, ainsi que la crédibilité ternie du gouvernement Karzai a mis le gouvernement états-unien d’Obama dans une situation difficile.

Il avait misé sur la capacité de Karzai de construire un gouvernement central viable qui soit capable de commander une armée pour obtenir un Afghanistan stable, amical envers les Etats-Unis. Mais la dépendance de Karzai par rapport aux seigneurs de la guerre, honnis par la population, pour cimenter son règne, a fait que la mise en place d’un gouvernement central légitime est devenue au mieux une hypothèse lointaine.

Comme si la situation n’était pas déjà suffisamment mauvaise, le New York Times a révélé à la fin octobre que le frère de Karzai – Ahmed Wali Karzai, qui est connu pour avoir largement profité du commerce et de la distribution d’opium qu’il dirigeait d’une main de fer dans une vaste région au Dud de l’Afghanistan, autour de Kandahar – avait été à la solde de la CIA pour une bonne partie des huit dernières années.

Le frère de Karzai non seulement fournit des renseignements aux Etats-Unis mais aide aussi la CIA à diriger la Kandahar Strike Force, un groupe paramilitaire. Il est également propriétaire d’un grand local dans les environs de Kandahar ; l’ancienne maison du mollah Mohammed Omar, le fondateur des Talibans – qu’il loue aux forces spéciales états-uniennes. « Il est notre propriétaire » a expliqué un officiel américain.

Les liens de Karzai avec la CIA aident [son frère] à éviter les raids et les arrestations qui menacent les autres barons de la drogue afghans, et cela a presque certainement renforcé son contrôle sur le lucratif trafic de drogue.
Ces révélations arrivent à un très mauvais moment pour les forces états-uniennes qui auraient espéré apparaître comme des protecteur-trice-s des civils en Afghanistan. Le major général Michael Flynn, responsable des renseignements militaires états-uniens en Afghanistan a noté : « Si nous voulons mener une stratégie centrée sur la population civile en Afghanistan et que nous sommes perçus comme donnant notre soutien à des voyous, nous sommes simplement en train de nous déconsidérer ».

L’administration Obama insiste sur le fait que les Etats-Unis sont en train de mener « une guerre nécessaire » en Afghanistan. Toutes sortes de justifications ont été mises en avant : la protection des Américain-e-s, la protection des civils afghans, la libération des femmes afghanes, l’écrasement de l’insurrection talibane, le fait d’empêcher al-Qaida d’utiliser l’Afghanistan comme base d’opérations.

Mais la collaboration entre les militaires états-uniens et les services de renseignements d’une part et les seigneurs de la guerre, les trafiquants de drogue et les groupes paramilitaires d’autre part, montre bien que ces justifications servent qu’à dissimuler la vraie raison pour laquelle les Etats-Unis ne vont pas retirer leurs troupes d’un pays qui a pourtant rejeté leur présence.
Les Etats-Unis voulaient la guerre en Afghanistan parce qu’ils ont vu les attaques du 11 septembre comme une possibilité de poursuivre leurs ambitions impériales en Asie Centrale. L’objectif premier de Washington n’a jamais été d’abord de vaincre les Talibans. D’ailleurs, avant le 11 septembre les Etats-Unis considéraient la montée des Talibans en Afghanistan - avec leur focalisation sur la loi et l’ordre et l’éradication du trafic de drogue – comme une aubaine pour la stabilité régionale.

Si les Etats-Unis avaient vraiment voulu capturer les membres d’al-Qaida responsables du 11 septembre, pourquoi les officiels états-uniens ont-ils rejeté – d’après le Rapport de la Commission du 11 septembre – l’offre de Mullah Omar qui proposait de livrer Ousama Ben Laden si les Etats-Unis renonçaient à l’invasion ?

La réponse est que le projet d’établir une occupation militaire dans une région riche en pétrole et en gaz naturel était plus important pour les décideurs de la politique étrangère états-unienne que le fait de capturer les dirigeants d’al-Qaida.

Maintenant que les Etats-Unis ont dépensé des milliers de milliards de dollars dans des efforts futiles pour occuper à la fois l’Irak et l’Afghanistan, ces décisions apparaissent comme stupides. Mais au début des années 2000, la vision néoconservatrice du remodelage du Moyen-Orient selon les souhaits des Etats-Unis était soutenue de manière écrasante aussi bien par les Démocrates que les Républicains au Congrès. Et aujourd’hui, l’administration Obama reste dans le même registre que Bush en ce qui concerne l’Afghanistan.
Il est temps d’en finir avec ce gaspillage tragique de vies et d’argent en Afghanistan, et de retirer nos troupes maintenant. (Traduction A l’encontre)


* Erik Ruder a écrit cet article dans l’hebdomadaire de l’ISO (International Socialist Organization), Chicago.
(7 novembre 2009)
(tiré du site A l’encontre)

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