Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Impressions politiques automnales

Il se peut qu’il y en ait parmi nous…

La mémoire est une faculté qui oublie  

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas d’avoir entendu le premier ministre du Québec, monsieur François Legault, traiter les mairesses et les maires du Québec de « quêteux ».

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas d’avoir entendu ce même premier ministre affirmer que les employéEs des municipalités étaient trop bien rémunéréEs.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas que l’actuel premier ministre du Québec déteste viscéralement les syndicats et souhaite même leur disparition.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas d’avoir entendu l’ex-ministre des Transports, madame Guilbault, se réjouir d’avoir sabré dans le financement du transport public.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas que le premier ministre du Québec a autorisé une augmentation salariale des députéEs de l’Assemblée nationale de plus de 35 % depuis 2023.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne savent même pas que le droit de grève est un droit dont l’exercice est protégé par la constitution.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne savent même pas comment les « services essentiels » ont vu le jour au Québec et comment ils sont déterminés lors d’un conflit ouvert de travail, c’est-à-dire lors d’une grève.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne savent même pas à qui incombe l’obligation de démontrer, devant le Tribunal administratif du Québec, que la santé (et la sécurité) de la population est menacée par un arrêt de travail.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui ne se rappellent pas qu’une stratégie de négociation patronale, comme syndicale, s’élabore avant même les premières rencontres entre les parties.

Il se peut qu’il y en ait parmi nous, qui s’imaginent que le ministre Boulet agit de manière isolée, sans être en appui avec les Guilbault et Legault. Mais il se peut que cela corresponde exactement à ce que se disent les Guilbault, Legault et Boulet, à savoir : dans le brouhaha de l’actualité déstabilisante, une majorité de la population semble complètement s’y désintéresser et restera indifférente ou incapable de voir clair ou de décoder la stratégie gouvernementale. En termes de stratégie, il est possible d’y lire, tout dépendant de la lunette utilisée, le scénario du sauveur de la population supposément prise en otage par les « syndicats ».

Après le rappel passionnel, la critique

Chez l’humain, il y a souvent cette tendance à pointer du doigt des personnes, surtout en politique, lorsque les choses vont moins bien ou n’avancent pas comme souhaité. Ainsi, nous entrerions dans cette même tendance l’assertion voulant que les Gilbault, Legault et Boulet poursuivent actuellement leur entreprise de privatisation-externalisation (sous-traitance) des services publics, de détournement de la caisse commune vers des subventions aux entreprises privées millionnaires, voire même milliardaires, ce qui contribue, selon ce point de vue, à l’intensification de la cassure sociale et à l’accentuation des écarts entre les riches et les pauvres… Or, ce qui est en cause dépasse les individus ou les ministres pour tenir compte d’une réalité fort simple : nous évoluons dans un régime économique qui vante l’accumulation de richesses et qui considère comme étant anti-productifs les enjeux sociaux, syndicaux et environnementaux, parce qu’ils deviennent des freins à l’idéal d’une économie politique capitaliste et néolibérale. Voilà alors pourquoi il devient aisé de résumer le gouvernement actuel d’«  affairiste », de « comptable », d’« antisyndical » et d’ « antisocial  », du moins, pour les gens qui perçoivent davantage les inconvénients du régime dans lequel nous évoluons que ses avantages. En revanche, il faut rappeler cette propriété du Québec d’être un digne représentant de la sociale démocratie. Le hic repose sur son effritement depuis quelques décennies, notamment en voulant calquer notre politique et la supériorité de la donne économique à ce qui se fait ailleurs et surtout aux États-Unis. Pourtant, il y a moment de tirer notre épingle du jeu, malgré les circonstances mondiales actuelles, sans renier notre identité sociale démocratie, ce qui signifie justement de savoir ramener à l’ordre du jour les raisons pour lesquelles nous aspirons à un système d’éducation et de santé universel et idéalement gratuit, y compris les raisons pour lesquelles nous nous sommes donné le droit de mettre sur pied des syndicats.

Rappelez-vous encore. Durant la pandémie, François Legault parlait des anges gardiennes et des anges gardiens. Il voyait même d’un bon œil, durant une très courte période faut-il le préciser, les syndicats. Il voulait régler vite avec ces derniers le renouvellement des conventions collectives. Le retournement de situation survenu ensuite, pour ne pas dire le retour à la normale, peut certes se justifier sur la base de la fin de la pandémie, mais aussi la guerre tarifaire qui lui a succédé. Peu importe, le régime n’a pas changé ; il demeure celui qui était déjà là. En tout bon gouvernement réactionnaire plutôt que visionnaire, les sommes investies pour augmenter les salaires et le nombre de préposéEs aux soins, de même que l’ouverture aux syndicats, qui alertaient d’ailleurs de la situation de pénurie depuis belle lurette, ne visaient qu’à faire face à la crise, sans plus. Car l’objectif n’a jamais été d’améliorer le système de santé ou de préparer une nouvelle forme de dialogue avec les syndicats. Il a toujours été question de rendre l’État telle une entreprise, capable de productivité et de rendement sur investissement. Ce faisant, l’inflation est entrée par la porte d’en avant, parce que seul le pouvoir d’achat comptait — et compte toujours —, seul l’enrichissement comptait comme toujours. Mais la richesse ne se compte pas seulement en argent… Celle véritable pour un pays représente sa population, sa culture, son territoire et ses ressources.

C’est vrai qu’il n’y a aucun mal à vouloir s’enrichir et garantir un meilleur fonctionnement de l’État. Le problème repose sur le fait de ne pas veiller convenablement à une redistribution équitable de cette richesse et de constamment vouloir favoriser les grandes entreprises qui agissent d’ailleurs en quasi-monopoles et qui ont négligé d’investir dans l’innovation à la hauteur de ce qu’elle aurait dû être, afin de combattre le changement climatique, d’un côté, et d’assurer la requalification des travailleurEUSE.s, de l’autre, ce qui aurait permis un gain de productivité et l’amélioration de leurs conditions, comme le souhaitent d’ailleurs les syndicats. Et cette nouvelle richesse aurait pu servir ensuite au gouvernement à refinancer les services publics et parapublics. Mais que s’est-il passé dans la réalité ? La pandémie a amené le gouvernement à donner des sommes à des entreprises qui n’en avaient pas besoin, d’autant plus qu’elles conservaient des fonds en réserve. Les dépenses de soutien ont contribué à créer une inflation, qui a affecté l’ensemble de l’économie et qui se fait encore sentir. Voici le paradoxe : le support à l’économie a été fixé de façon à assurer ou à pallier le manque de consommation, ce qui a créé, à l’inverse, une perte de pouvoir d’achat. On le répète, le meilleur investissement de l’État doit viser le bien-être et la sécurité de sa population et son territoire, non à vouloir devenir maître de l’économie. Voilà une leçon à tirer.

Il est très tristounet le paysage politico-social automnal actuel au Québec. Les solutions présentées jusqu’ici sont entièrement orientées sur l’économie, sans se soucier de la façon dont il serait possible de les conjuguer avec les défis en éducation, en logement abordable, en santé et en environnement. Toujours cette solution magique de l’investissement dans l’économie, dans la grande industrie et dans l’efficacité étatique pour régler tous les problèmes. Quoi penser alors de ce qui est survenu dans Northvolt ? à la SAAQ ? Voyons-y un discours qui manque d’originalité pour l’avenir. En plus, n’oublions pas que ce qu’il y a de minimalement excitant à voir en démocratie électorale représentative est un gouvernement usé, et ce durant les derniers mois qui précèdent son éventuelle cuisante défaite électorale annoncée. Il se révèle très décevant en effet de voir un parti politique bénéficier d’une si grande majorité à l’Assemblée nationale, lui donnant ainsi le pouvoir de réaliser de bonnes choses, mais au final d’avoir si peu de réalisations concrètes positives. Mais rappelons que si la CAQ est au pouvoir, ce n’est pourtant pas en raison de ses performances électorales ou d’un large appui majoritaire de l’électorat. Cette formation politique dirige en raison de la division du vote entre quatre principaux partis politiques (le pluripartisme) et du mode de scrutin uninominal à un tour. Ses faibles appuis électoraux procentuels constituent son principal talon d’Achille.

Être à ce point critique envers un parti politique insinue peut-être deux choses : il est de plus en plus difficile de contenter la population, ce qui devrait augurer des changements dans la manière de faire de la politique, ou encore, le parti au pouvoir ne répond pas adéquatement aux attentes.

Guylain Bernier
Yvan Perrier
13 novembre 2025
20h

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Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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