Édition du 23 avril 2024

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Histoire

Campagnes du coquelicot blanc 2019

“Je porterai deux coquelicots”

Nul ne saurait rejeter l’importance de se rappeler et commémorer l’armistice qui a mis fin à la Première Guerre Mondiale, qui a laissé dans son sillage près de 19 millions de morts sur les champs de bataille d’Europe. De ce nombre, environ 8 millions étaient des civils innocents pris dans le feu croisé de ce sanglant conflit qui fut le tombeau des vieux empires et duquel, terreau fertilisé par les cadavres aidant, en émergèrent d’autres.

Les soldats blessés ? Entre 23 et 24 millions.

Car c’était bien d’impérialisme qu’il s’agissait. On estime qu’environ 60 000 soldats canadiens, dont de nombreux membres de régiments canadiens-français, ont été sacrifiés pour aller défendre l’empire britannique, un empire qui n’était pas le nôtre, au sein d’une armée dont les dirigeants se sont servis pour tirer sur des civils manifestant contre la conscription à Québec en avril 1918.

Non contents d’envoyer de la chair à canon d’ici se battre pour la « gloire » d’ailleurs, les dirigeants impériaux ont cru bon de massacrer une foule de gens reconnus coupables d’un délit de lucidité et de clairvoyance à propos d’une boucherie qu’on trouve encore le moyen, à grands coups de campagnes de propagande nationaliste, de glorifier aujourd’hui.

Des historiens militaires, en grande majorité anglo-canadiens, donnent depuis toujours des munitions à l’appareil politique pour créer des « mythes fondateurs nationaux » autour de batailles sanglantes comme Vimy, où 3 500 jeunes hommes – dont les Canadiens-français du 22e bataillon, ancêtre du Royal 22e Régiment – se sont vus refuser leur droit de vieillir.

Comme si le Canada n’existait pas déjà dans le temps sous forme de gigantesque arnaque au profit des barons du chemin de fer et de la grande bourgeoisie financière naissante…

« Der des ders », quelle foutaise !

Cette guerre qui devait être la dernière, dans l’esprit de ses contemporains qui ont pleuré leurs enfants, n’a fait qu’inaugurer son industrialisation. Au cours du siècle qui a suivi, le progrès technologique a engendré des instruments de mort de plus en plus sophistiqués – obus d’artillerie guidés par GPS, bombes « intelligentes », drones furtifs, etc.

Sans oublier, bien sûr, l’arme nucléaire, justement décrite par Albert Camus dans son éditorial à Combat du 8 août 1945 comme « le dernier degré de sauvagerie » de « la civilisation mécanique ».

La guerre totale a aujourd’hui fait place à une nébuleuse de micro-conflits entre factions plus souvent qu’autrement pilotées depuis Washington, Paris ou Moscou, avec l’aide précieuse de « puissances moyennes », comme le Canada. Des opérations militaires sont déclenchées sur des mensonges (Irak, 2003), sans objectifs concrets ni stratégie de sortie (Afghanistan, 2001), deviennent de véritables bourbiers sanglants (Syrie), ou encore servent à envoyer un message clair aux pays qu’on pourrait qualifier de non-alignés (Libye, 2011).

L’industrie de la mort – pardon, de la « défense » – représentait en 2018 un marché global de 1,8 trillion de dollars US, une hausse de 2,8% par rapport à l’année précédente, selon le Stockholm International Peace Research Institue (SIPRI). C’est ce que le général américain Smedley Butler (1881-1940) avait baptisé le « racket » de la guerre dans le court essai War is a Racket paru en 1935 sous forme de véritable confession pour avoir participé au pillage de pays comme le Mexique et Haïti au nom des intérêts industriels américains.

Quelques choses n’ont cependant pas changé : la cupidité des gens de pouvoir, la crédulité de ceux et celles qui les y portent et le fait que ce sont toujours les civils qui paient plus cher le prix des deux premières.

Se souvenir…autrement

Les ravages de la guerre, j’ai pu en témoigner tant comme militaire (Bosnie, Afghanistan) qu’en tant que journaliste (Mali, Afghanistan, j’inclurai même Haïti dans le lot comme théâtre de « guerre économique »). Des hommes, des femmes et des enfants chassés de chez eux. La misère et la pauvreté sans fin. Les déplacements de populations. Les champs de mine aussi éternels que la neige des hautes montagnes. Les murs et les carcasses de véhicules criblés de trous de balles et d’éclat d’obus.

Les criminels de guerre impunis et hors de portée de tout système de justice, dont certains se remplissent aujourd’hui les poches à grands coups de conférences à 150 000 dollars la shot et d’embauches comme lobbyistes ou dirigeants d’entreprises qui transforment le sang rouge en billets verts.

Voici pourquoi, lundi, je porterai deux coquelicots.

Parce que le militarisme revient aujourd’hui par la grande porte un peu partout dans le monde – avait-il vraiment disparu de toute façon ?
Parce que nombre de mes frères et sœurs d’armes ont payé de leur vie et de leur âme le prix d’une guerre au final inutile et provoquée en grande partie par les politiques impérialistes états-uniennes.

Parce que j’ai témoigné de la guerre dans des pays où j’ai laissé une partie de moi-même et, donc, que je ne pourrai jamais oublier. Et parce que je continuerai de le faire.

Le rouge en souvenir et en solidarité avec le sacrifice de mes camarades d’armes.

Le blanc en souvenir des civils morts et comme symbole de résistance face aux guerres présentes et futures.

Martin Forgues – Journaliste indépendant et auteur
L’auteur est co-parrain de la Campagne du coquelicot blanc du Collectif Échec à la guerre.

Martin Forgues

Martin Forgues – Journaliste indépendant et auteur
L’auteur est co-parrain de la Campagne du coquelicot blanc du Collectif Échec à la guerre 2019.

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