Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

L’AEUMC : la téléréalité de D. Trump

Il soutient que le nouvel accord commercial nord-américain est une victoire pour les manufacturiers américains. Mais ça ressemble terriblement à ce qu’était le PTP et ne fait pas grand-chose pour les travailleurs.euses des États-Unis.

Dean Baker, The Nation, 3 octobre 2018
Traduction : Alexandra Cyr

Sans surprise, D. Trump crie haut et fort le succès du nouvel accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique. Il a vendu ce qui s’appelle maintenant l’Accord États-Unis, Mexique, Canada (AEUMC), clame qu’il s’agit du plus grand accord commercial de l’histoire américaine et promet qu’il va « transformer l’Amérique du Nord en une puissance manufacturière comme elle l’était jadis ».

En réalité, il n’y a pas grand-chose là-dedans qui n’était pas dans le Partenariat Trans Pacifique (PTP) duquel le Président Trump a retiré les États-Unis peu après sa prise du pouvoir. Les progressistes devraient s’opposer à ce nouvel accord pour les mêmes raisons pour lesquelles ils se sont opposés au PTP dans le passé.

Mais avant d’analyser les particularités (de cet accord), il peut être utile de revoir certaines bases des accords commerciaux. D. Trump parle toujours des accords commerciaux comme des ententes où certains pays gagnent et d’autres, (les États-Unis dans son explication) perdent. Un examen fouillé révèle plutôt un déficit commercial bilatéral comme résultat. Le Président peut toujours dénoncer les négociateurs.trices des administrations Obama, Clinton et des deux Bush et les traiter d’imbéciles puisque les ententes qu’ils ont négociées ont laissé les États-Unis avec un énorme déficit commercial, mais il s’agit là d’une très mauvaise représentation des ordres du jour de nos négociateurs.trices.

Prenons l’exemple de l’ALÉNA. Les négociateurs.trices américains.es menaient explicitement des pourparlers visant à ce qu’il soit aussi facile que possible aux entreprises américaines d’ouvrir des installations au Mexique pour tirer avantage des bas salaires dans ce pays. Une part importante de l’entente établissait des règles sur les investissements qui empêchaient les expropriations de ces entreprises et assuraient que le Mexique ne pourrait pas, non plus, les empêcher de ramener leurs profits aux États-Unis. Un système extra judiciaire a même été mis en place, appelé mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (chap. 11 de l’ALÉNA) et qui donne aux entreprises une assurance de plus dans la protection de leurs investissements.

Puisqu’un des objectifs de l’ALÉNA était de faciliter la délocalisation des emplois manufacturiers vers le Mexique, nous devrions reconnaître que c’est la preuve de son succès, non celui de son échec. Le même raisonnement s’applique à d’autres accords, notamment celui qui a autorisé la Chine à entrer dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Pendant que des millions de travailleurs.euses du secteur manufacturier, comme en Ohio, en Pennsylvanie et au Michigan perdaient leurs emplois avec l’entrée de la Chine à l’OMC, des compagnies comme General Electric (GE) et General Motors délocalisaient leur production et étaient très heureuses de cet aboutissement. Le même raisonnement s’applique à des détaillants comme Walmart qui ont profité d’un approvisionnement à bas prix pour miner leurs compétiteurs locaux.

Avec ces informations en tête, nous pouvons nous demander qui gagne et qui perd avec le nouvel accord. Pour avoir une réponse satisfaisante, il est utile de revoir l’histoire du PTP.

Comme le PTP, l’accord AEUMC contient toute une série de mesures qui renforcent ou amoindrissent les monopoles sur les brevets et les droits d’auteur comme sur d’autres protections associées. Voilà une bonne nouvelle pour les industries qui bénéficient de ces protections, spécialement les pharmaceutiques, mais c’est une mauvaise nouvelle pour pratiquement n’importe qui d’autre.

Durant sa campagne électorale, D. Trump à souvent dénoncé les prix excessifs des médicaments. Il a une drôle de manière de s’attaquer à cette situation. Il semblerait que (les règles adoptées dans l’AEUMC) soient établies pour amener le Canada et d’autres pays à payer leurs médicaments plus chers. Les actionnaires de ces compagnies doivent s’attendre à une augmentation des profits et donc du coût des actions, mais tous les autres pâtissent plutôt que d’être aidés par cette aspect de l’entente. En poussant plus loin l’examen, ces protections renforcées rendront encore plus difficile l’accès à des médicaments moins chers ailleurs, (pour les Améraicains.es). Oui c’est du protectionnisme, l’envers du libre marché.

En plus, comme le démontre les simples bases économiques, un plus grand surplus obtenu par les États-Unis par la vente des frais de brevet signifie un plus grand déficit commercial pour tout le reste, toute chose étant égale par ailleurs. Car, contrairement à ce que les médias rapportent, ce qui est protégé ce ne sont pas nos propriétés intellectuelles, ce sont les propriétés d’un relativement petit nombre de grandes entreprises. Plus elles empochent en commerçant avec nos partenaires, moins ces partenaires ont les moyens de dépenser pour l’achat de biens manufacturés et autres marchandises aux États-Unis.

Dans l’AEUMC, on trouve aussi des règles qui portent sur l’économie numérique. Elles semblent être dessinées pour le bénéfice des géants de ce secteur, tels qu’Amazon, Google et Facebook au détriment des autres pays. Savoir si ces entreprises seraient obligées à une présence physique dans les pays partis à l’accord a été un enjeu majeur de ces négociations. Cette présence aurait facilité les poursuites contre celles qui pratiquent l’évasion fiscale ou la manipulation des élections. La version finale de l’entente empêche les pays d’exiger une telle présence physique. C’est un dangereux précédent parce que ces règles sont susceptibles de se retrouver dans d’autres traités commerciaux.

La version finale du traité retient le mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs (ch. 11 de l’ALÉNA), mais il est limité à un nombre plus restreint d’enjeux comme, par exemple, quand une industrie pratique des prix de dumping. C’est certainement un plus puisque la version antérieure a été utilisée pour s’opposer à toute une série de lois portant sur l’environnement, la sécurité des consommateurs.trices et les droits du travail.

On y trouve aussi des dispositions pour la gestion des devises. Malgré que ni le Canada ni le Mexique, n’aient dévalorisé leurs monnaies par rapport au dollar pour rendre leurs marchandises plus compétitives, cette section sur la valeur des devises pourra être utile dans des ententes futures.

D. Trump a beaucoup parlé de rapatrier les emplois manufacturiers (aux États-Unis), ce traité ne va pas le permettre. Il comporte beaucoup de minuscules changements qui ne feront qu’une petite différence, à la marge. Par exemple, augmenter le seuil du contenu américain de 62,5 % à 75 % pour permettre aux automobiles de traverser la frontière sans frais de douane n’aura qu’un effet minimal sur les pratiques commerciales (dans ce secteur), beaucoup d’autos ont déjà atteint ce seuil. Et pour celles qui n’y sont pas encore, les entreprises peuvent très bien les importer et accepter de payer les 2,5 % de tarif imposés. C’est une punition bien modeste qui peut être éclipsée par les variations dans les taux de change.

Certains.es se consolent à l’idée que l’entente oblige à ce que 40 à 45 % de la valeur des véhicules ait été fabriquée par des travailleurs.euses payés.es au moins 16 $ de l’heure. C’est une erreur car cela signifie tout simplement que cette partie de la valeur doit essentiellement venir des États-Unis ou du Canada où le personnel est déjà payé au-delà de cette limite, soit bien au-dessus de ce qui l’est au Mexique.

Si l’objectif était d’augmenter le salaire des Mexicains.es dans le secteur automobile, une fourchette de 10 à 12 $ aurait été plus réaliste. Tel qu’il se présente, le traité qui appuie fortement sur les droits des travailleurs.euses n’offre pas de mécanismes d’application équivalents à celui du règlement des conflits entre les États et les investisseurs (pour protéger ces droits). Les Mexicains.es doivent plus espérer de leur nouveau Président élu, de gauche et populiste, Andrés Manuel López Obrador, que de l’AEUMC.

Il est important de reconnaître qu’il est aussi impossible de ramener (aux États-Unis) les emplois du secteur manufacturier perdus aux mains de l’importation que de remettre le dentifrice dans son tube. Ils ne reviendront pas. Si réduire le déficit commercial des États-Unis peut augmenter le nombre d’emplois manufacturiers à salaire relativement élevé et disponibles pour les personnes n’ayant pas de formation postsecondaire, la plupart de ces nouveaux emplois ne se retrouveront pas dans l’ancienne zone de l’acier qui a subi des pertes d’emploi majeures. En plus, seul un petit pourcentage de ces emplois seront syndiqués.

D’accord, ce traité ne créera pas un gros boom dans l’emploi manufacturier, mais au moins, nous allons pouvoir vendre plus de lait aux Canadiens. D’accord ? Les exportations de lait vers notre voisin du nord occupent une grande place dans la tête de D. Trump, mais cela n’a rien à voir avec la réalité. Le marché des produits laitiers au Canada est évalué à 3 mille milliards de dollars. Nous avons déjà un surplus commercial de 600 millions de dollars dans ce secteur avec le Canada. Cela veut dire que si nous accaparons la moitié du marché canadien, ce qui serait une réussite majeure, nous y augmenterions nos ventes d’environ 1,100 mille milliards de dollars. Cela équivaut, grosso modo à 2,5 % de notre production courante dans cette industrie et à 0.006 % du PIB américain.

Dans la téléréalité de D. Trump, l’AEUMC peut représenter un accomplissement historique. Dans le monde réel, ça ne changera pas grand-chose. Peut-être que s’il continue à se péter les bretelles avec ce traité et la Grande conquête du lait, sera-t-il capable de gagner au Vermont en 2020.

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