Édition du 16 avril 2024

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Iran

L’Iran : à nouveau menacé d’une guerre d’agression

Au cours des derniers mois, les grands médias corporatifs ont d’abord rapporté une « escalade de tensions » entre les États-Unis et l’Iran (pétroliers sabotés ou attaqués, navires saisis, drones abattus). Puis, plus récemment, ils ont fait écho à l’évocation d’une possible rencontre entre leurs présidents en vue d’ouvrir de nouvelles négociations. Mais un examen des enjeux de ce conflit montre qu’un nouvel accord, sur les termes recherchés par les États-Unis, ne sera jamais acceptable pour l’Iran. Et avec raison.

Article tiré de : L’échec à la guerre

L’Iran dans la mire des États-Unis depuis 40 ans

En 1953, deux ans après la nationalisation du pétrole iranien, un coup d’État de la CIA renversait le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh. Les États-Unis ont ensuite pu profiter, pendant 26 ans, d’un régime monarchique autoritaire favorable à leurs intérêts. C’est pour cela qu’ils n’ont jamais digéré la Révolution islamique de 1979, qui a subitement mis fin à cet avantage stratégique, sans parler de l’occupation de leur ambassade et de la séquestration de leur personnel diplomatique pendant plus d’un an.

Avec des hauts et des bas, cela fait donc 40 ans que l’Iran est dans le collimateur des États-Unis. Une période particulièrement dangereuse fut celle de la présidence de George W. Bush (2001-2009). En 2007, quatre ans après l’invasion illégale de l’Irak, c’est au sujet de l’Iran que le vice-président Dick Cheney et la secrétaire d’État Condoleezza Rice martelaient que « toutes les options sont sur la table », George W. Bush évoquant même la perspective d’une troisième guerre mondiale si l’Iran parvenait à se doter de l’arme nucléaire.

C’est face à de telles menaces et pour desserrer l’étau des sanctions qui étouffaient son économie que l’Iran s’est engagé dans des négociations (sous l’administration Obama aux États-Unis) qui ont finalement abouti à l’Accord de Vienne, le 14 juillet 2015. En échange d’une levée partielle des sanctions internationales, l’Iran acceptait de réduire de façon très importante ses stocks d’eau lourde et d’uranium faiblement enrichi et de se soumettre à un régime d’inspections serré, visant à garantir le caractère pacifique de son programme nucléaire.

La plus récente offensive : celle de Trump

Bien avant qu’il ne soit signé et par la suite, l’Accord de Vienne a été dénoncé par Israël et l’Arabie saoudite, deux pays hostiles à l’Iran, qui appellent régulièrement à bombarder ses installations nucléaires. C’est la même approche que préconisait John Bolton dans son article du New York Times du 26 mars 2015 intitulé « To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran ».

Mettant à exécution la promesse électorale de Donald Trump, les États-Unis ont officialisé leur retrait de l’Accord le 8 mai 2018, un mois après l’entrée en fonction de John Bolton à titre de conseiller à la sécurité nationale. L’administration Trump a alors déployé sa politique de « pression maximum », caractérisée par un régime de sanctions draconiennes, une campagne de démonisation de l’Iran et, plus récemment, de nombreuses provocations.

Les sanctions étasuniennes touchent le secteur pétrolier et gazier, mais aussi les transactions financières, les exportations de plusieurs métaux, etc. Les É.-U. cherchent aussi à forcer tous les pays clients de l’Iran à appliquer les mêmes sanctions, à défaut de quoi ils ne pourront plus faire affaire avec les États-Unis ! L’impact de ces sanctions est dévastateur. À titre d’exemple, dès avril 2019, les exportations pétrolières de l’Iran avaient chuté de 50 %. L’étranglement de l’économie et la rareté de nombreux biens de consommation courante frappent principalement les gens ordinaires, moins fortunés. Notons que l’Iran, estimant que le rétablissement des sanctions viole un traité conclu dans les années 1950s, a porté l’affaire devant la Cour internationale de justice.

La campagne de démonisation de l’Iran est tout aussi mensongère que celle qui avait prévalu contre l’Irak à la veille de son invasion. L’administration Trump prétend ainsi que l’Iran cherche activement à se doter de l’arme nucléaire alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et même les services de renseignements étasuniens certifient que l’Iran, jusqu’à ce qu’il annonce récemment son intention contraire, respectait intégralement l’Accord de 2015. De plus, contrairement à Israël, qui possèderait 80 à 90 ogives nucléaires, l’Iran est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et favorable à la mise en place d’une zone libre d’armes nucléaires au Moyen-Orient.

L’administration Trump dénonce l’Iran comme principal pays appuyant le « terrorisme islamiste », alors qu’il est de notoriété publique que des organisations comme Al-Qaïda et l’État islamique sont en fait combattues par l’Iran et sont plutôt soutenues par la monarchie saoudienne et des émirats du Golfe. L’administration Trump présente aussi l’Iran comme « la plus grande source d’insécurité et d’instabilité dans la région », ce qui est vraiment le comble, quand on songe aux pays mis à feu et à sang par les États-Unis et leurs alliés au cours des deux dernières décennies (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen).

Au-delà du ridicule des arguments étasuniens, la politique de Trump représente un alignement total sur les intérêts de l’Arabie saoudite et d’Israël dans la région. En février 2019, en marge de la Conférence ministérielle pour la promotion de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient, à Varsovie, Benyamin Netanyahu avait même souligné l’importance de cette rencontre où Israël et plusieurs pays arabes allaient s’assoir ensemble « pour promouvoir l’intérêt commun de la guerre avec l’Iran ». Belle conception de la paix et de la sécurité…

Par ailleurs, le président Trump se dit ouvert à la négociation avec l’Iran, en vue d’un nouvel accord qui engloberait, en plus du programme nucléaire, le programme de missiles iranien et les interventions de ce pays dans la région… directement en opposition aux objectifs étasuniens. En fait, les États-Unis sont confrontés à la réalité qu’un des résultats nets de leurs guerres en Afghanistan, en Irak et en Syrie a été une augmentation de l’influence régionale de l’Iran.

Mais jamais une telle démarche ne sera acceptable pour l’Iran, avec raison d’ailleurs. Pourquoi un pays accepterait-il de réouvrir un accord dûment négocié et signé pour être soumis à une nouvelle batterie d’exigences unilatérales qui porteraient atteinte à sa propre sécurité et à sa liberté d’action dans le monde ?

L’Europe et le Canada là-dedans ?

Les pays européens signataires (France, Royaume-Uni et Allemagne) ont maintenu leur appui à l’Accord de Vienne et ont promis de mettre en place des mécanismes qui permettraient à l’Iran d’atténuer l’impact des sanctions extraterritoriales des États-Unis. Mais, sous la pression, plusieurs compagnies européennes se sont rapidement retirées d’Iran et, seize mois plus tard, force est d’admettre que les gouvernements n’ont accouché de rien de concret. D’un côté, le Royaume-Uni semble se rapprocher des États-Unis sur la question : son ministre des Affaires étrangères était présent au Sommet de Varsovie en février ; il a ensuite immobilisé un pétrolier iranien pendant 6 semaines à Gibraltar, puis il s’est joint à la « mission de sécurité maritime » dans le Golfe persique proposée par les États-Unis. D’un autre côté, la France et l’Allemagne semblent peu enclines à confronter les États-Unis et font maintenant davantage pression sur l’Iran pour que ce pays continue à respecter, pour ainsi dire seul, l’Accord de Vienne et accepte de nouvelles négociations avec les États-Unis, ce que l’Iran rejette.

Le rôle du Canada concernant l’Iran est plutôt effacé, mais néanmoins négatif. S’il a déploré le retrait étasunien de l’Accord de Vienne, plus récemment, il s’est dit « préoccupé par le programme nucléaire iranien », appelant l’Iran à respecter ses engagements en vertu de l’Accord. Que ce soit dans le cadre des réunions de l’OTAN ou du G7, le Canada garde un profil très bas quand il est question de l’Iran, probablement pour ménager ses entrées auprès de l’empire étasunien sur d’autres sujets, telle la détention de deux Canadiens par la Chine.

Malgré sa promesse électorale à cet effet, le gouvernement Trudeau n’a pas progressé vers son objectif prétendu de réouvrir, en Iran, la mission diplomatique du Canada. Mais l’Iran n’est sans doute pas empressé d’avancer sur cette question sachant qu’il figure toujours sur la liste canadienne des pays parrainant le terrorisme et que certaines sanctions canadiennes s’appliquent encore.

Conclusion

Ce qui est régulièrement rapporté comme une « escalade de tensions » entre les États-Unis et l’Iran n’a rien d’un affrontement symétrique. Il s’agit plutôt d’un coup de force unilatéral de la superpuissance étasunienne visant à soumettre l’Iran à ses diktats et à mettre fin à l’influence de ce pays au Moyen-Orient.

Sur bien des points, la situation est semblable à celle qui a prévalu avant l’invasion de l’Irak en 2003 : fausses accusations reprises par les médias (qui avaient pourtant fait leur mea culpa après l’invasion illégale…), objectifs de réduire les capacités de défense du pays ciblé, alignement États-Unis-Royaume-Uni et désaccord franco-allemand, silence assourdissant du Canada prétendu grand défenseur du droit international… Mais il y a des différences importantes. L’Iran connait les précédents. La Russie et la Chine aussi. Et si les États-Unis ont déjà des dizaines de bases militaires tout autour – et des alliés comme Israël et l’Arabie saoudite hyper-armés et prêts à se lancer dans une guerre – l’Iran a d’importantes capacités de défense et n’hésiterait pas à riposter fortement en cas d’attaque, sur des cibles, étasuniennes et alliées, justement fort nombreuses. La conflagration qui s’ensuivrait serait catastrophique pour toute la région et possiblement au-delà.

Exigeons que le Canada se dissocie, en paroles et en actions, de la politique d’agression et des préparatifs de guerre menés par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite contre l’Iran !

Judith Berlyn
Martine Eloy
Mouloud Idir
Raymond Legault
Suzanne Loiselle

Porte-paroles du Collectif Échec à la guerre

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