Édition du 10 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Crise alimentaire

L'éradication de la faim, un objectif possible si.

Selon la FAO [1], 963 millions de personnes souffraient de la faim en
2008, soit un habitant de la planète sur sept. Paradoxalement, ce sont en
majorité des producteurs agricoles qui ne possèdent pas - ou pas assez -
de terres, ni de moyens pour les mettre en valeur. En 2007-2008, le nombre
de personnes souffrant de la faim a augmenté de 140 millions à cause de
l’explosion du prix des produits alimentaires.

Pourquoi une telle augmentation ? D’une part, les pouvoirs publics du Nord
ont augmenté leurs aides et leurs subventions pour les agro-carburants
(appelés à tort « biocarburants »). Du coup, il est devenu rentable de
remplacer les cultures vivrières par des cultures fourragères et
d’oléagineux, ou de dévier une partie de la production de grains (maïs,
blé.) vers la production d’agro-carburants.

D’autre part, après l’éclatement de la bulle de l’immobilier aux
Etats-Unis, puis dans le reste du monde par ricochets, la spéculation des
grands investisseurs (fonds de pension, banques d’investissement, hedge
funds.) s’est déplacée vers les denrées alimentaires (principalement les
Bourses de Chicago, Kansas City et Minneapolis spécialisées dans les
marchés de grains). Bien que la spéculation à la hausse ait pris fin au
milieu de l’année 2008 et que les prix sur les marchés à terme soient
ensuite retombés en flèche, les prix au détail n’ont pas suivi le même
mouvement. L’écrasante majorité de la population mondiale en subit encore
les conséquences dramatiques. Les pertes d’emplois par dizaines de
millions annoncées pour 2009-2010 vont aggraver la situation.

L’augmentation de la faim dans le monde n’est pas due pour le moment au
changement climatique. Mais ce facteur aura des conséquences très
négatives dans l’avenir en termes de production dans certaines régions du
monde, en particulier les zones tropicales et subtropicales. La solution
consiste en une action radicale pour réduire brutalement les émissions de
gaz à effets de serre [2].

Eradiquer la faim, c’est pourtant tout à fait possible. Les solutions
fondamentales pour atteindre cet objectif vital passent par une politique
de souveraineté alimentaire et une réforme agraire, c’est-à-dire nourrir
la population à partir de l’effort des producteurs locaux tout en limitant
les importations et les exportations.
La souveraineté alimentaire doit être au cours des décisions politiques des
gouvernements, le but étant de s’appuyer sur les exploitations agricoles
familiales utilisant des techniques destinées à produire des aliments dits
« bio » (ou « organiques »). Cela permettra de disposer d’une alimentation
de qualité : sans OGM, sans pesticides, sans herbicides, sans engrais
chimiques. Mais pour atteindre cet objectif-là, il faut que plus de 3
milliards de paysans puissent accéder à la terre en quantité suffisante et
la travailler pour leur compte au lieu d’enrichir les grands
propriétaires, les transnationales de l’agrobusiness et les différents
intermédiaires.

Pour ce faire, il faut une vraie réforme agraire, qui manque toujours
cruellement dans la plupart des pays du Sud. Une telle réforme agraire
doit organiser la redistribution des terres en interdisant les grandes
propriétés terriennes privées et en fournissant un soutien public aux
agriculteurs pour qu’ils aient les moyens de cultiver la terre sans
l’épuiser.

Il est important de souligner que le FMI et surtout la Banque mondiale
portent une lourde responsabilité dans la crise alimentaire car ils ont
recommandé aux gouvernements du Sud de supprimer les silos à grains qui
servaient à alimenter le marché intérieur en cas d’insuffisance de l’offre
et/ou d’explosion des prix. La Banque mondiale et le FMI ont imposé aux
gouvernements du Sud de supprimer les organismes de crédit public aux
paysans et ont poussé ceux-ci dans les griffes des prêteurs privés. Le
surendettement des paysans qui en a découlé est ainsi la cause principale
du suicide de 150 000 paysans en Inde au cours des dix dernières années.
Dans le même temps, la Banque mondiale et le FMI ont aussi poussé les pays
tropicaux à réduire leur production de blé, de riz ou de maïs pour les
remplacer par des cultures d’exportation (cacao, café, thé, bananes,
arachide, fleurs.). Enfin, pour parachever leur travail en faveur des
grandes sociétés de l’agrobusiness et des grands pays exportateurs de
céréales (en commençant par les Etats-Unis, le Canada et l’Europe
occidentale), ils ont incité les gouvernements à ouvrir toutes grandes les
frontières aux importations de nourriture qui bénéficient de subventions
massives de la part des gouvernements du Nord, ce qui a provoqué la
faillite de nombreux producteurs du Sud et une très forte réduction de la
production vivrière locale.

Le combat contre la faim est partie prenante d’un combat bien plus vaste
et il est urgent de s’attaquer aux causes fondamentales de la situation actuelle, dont la dette fait partie. Or, les effets d’annonce sur ce thème,
comme lors des sommets du G8 ou du G20, masquent mal que ce problème
demeure entier. La crise globale qui touche le monde aujourd’hui aggrave
la situation des pays en développement et de nouvelles crises de la dette
au Sud sont en préparation.

Le mécanisme infernal de la dette publique est un obstacle essentiel à la
satisfaction des besoins humains fondamentaux, parmi lesquels l’accès à
une alimentation décente. Sans aucun doute, la satisfaction des besoins
humains fondamentaux doit primer sur toute autre considération,
géopolitique ou financière. Les créanciers ont prêté en connaissance de
cause à des régimes souvent corrompus qui n’ont pas utilisé l’argent dans
l’intérêt des populations : ils ne sont pas en droit d’exiger des peuples
affamés qu’ils remboursent des dettes immorales et illégitimes.

Voilà pourquoi il est urgent de mettre en ouvre la souveraineté
alimentaire et la réforme agraire, d’abandonner la production des
agro-carburants industriels, de recréer au Sud des stocks publics de
réserves d’aliments et de (re)créer des organismes publics de crédit aux
agriculteurs. L’Etat doit également développer les services publics dans
les milieux ruraux (santé, éducation, communications, culture, « banques »
de semences.). Les pouvoirs publics sont parfaitement à même de garantir à
la fois aux populations à bas revenu des prix bas pour des aliments de
qualité et aux petits producteurs des prix de vente suffisamment élevés
pour qu’ils vivent dignement de leur travail.


[1] Organisme des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture,
www.fao.org
[2] Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC) recommande une diminution de 80% des émissions pour les pays les
plus industrialisés et de 20% pour les autres (voir
www.ipcc.ch/languages/french.htm).

Damien Millet, mathématicien, est porte-parole du CADTM France (Comité
pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Eric
Toussaint docteur en sciences politiques, est président du CADTM
Belgique. Ils ont écrit ensemble le livre « 60 Questions 60 Réponses sur
la dette, le FMI et la Banque mondiale », CADTM/Syllepse, novembre 2008.

Mots-clés : Crise alimentaire

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