Ils disposent de porte-paroles enthousiastes souvent présents dans les médias. La poussée du Parti québécois dans les intentions de vote au détriment de la Coalition avenir Québec, du Parti libéral et de Québec solidaire, celle-ci seule autre formation indépendantiste, encourage bien des espoirs à gauche comme à droite. L’indépendance serait-elle enfin à portée de main après les échecs de 1980 et de 1995 ?
En politique cependant, il ne faut surtout pas prendre ses désirs pour la réalité. Québec solidaire en fait l’amère expérience présentement. Sa survie même est menacée. Pire encore, si un référendum se tenait en ce moment, 56% de ses membres voteraient NON à la souveraineté. Du côté péquiste, le tiers de ses électeurs repousseraient cette option. L’idéal indépendantiste ne bénéficie de l’appui que de 35% de l’électorat en général. Pour les souverainistes, il y a donc loin de la coupe aux lèvres. Le Parti québécois avec les 36% d’intentions de vote qu’il récolte est à peine plus populaire que l’option indépendantiste que son chef Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) veut relancer.
Pour expliquer cet état de fait, on peut invoquer l’évolution générale du contexte politique défavorable aujourd’hui alors qu’il l’était davantage dans les années 1970. On évoque aussi la « quasi victoire » du OUI en 1995 pour se consoler de sa défaite et se convaincre qu’une victoire demeure encore possible. On pense aussi à la résurgence de l’axe gauche droite durant la décennie 2000 avec la fondation en 2006 de Québec solidaire, qui adhérait certes à l’idée de souveraineté mais mettait l’accent sur la critique du néolibéralisme et les réformes sociales. Toutefois, avec la l’intégration d’Option nationale au sein de Québec solidaire (en réalité, une fusion) en décembre 2017, l’indépendantisme s’y affirma davantage.
Mais pour mieux comprendre la stagnation du courant souverainiste dans l’opinion publique depuis 1995, il faut remonter assez loin en arrière. Il s’agit de l’attitude ambivalente de la direction péquiste à l’endroit de la raison d’être du Parti québécois d’une part, et d’autre part des politiques sociales et économiques du gouvernement Lévesque à partir de 1981. Ici, on remarque un brouillage entre le « national » et le « social » au détriment de ce dernier aspect.
Si René Lévesque était un grand nationaliste et réformateur d’État, sur le plan social, il se situait plutôt au centre droit. Même chose pour ses principaux lieutenants et collaborateurs comme Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morin, Claude Morin et Bernard Landry. On tend à oublier que le second mandat péquiste (de 1981 à 1985), secoué par la pire récession depuis celle des années 1930 et marqué par des compressions budgétaires tranchantes et arbitraires non annoncées durant la campagne électorale du printemps 1981, fut une expérience particulièrement pénible pour les travailleurs et travailleuses. La cote de popularité du Parti québécois chuta dans les sondages. On découvrit alors en Lévesque un chef autoritaire et colérique qui rompit avec ses alliés syndicaux et communautaires pour tenter de rallier au projet d’indépendance « nos gens d’affaires », un rêve qu’il caressait mais n’avouait pas depuis la fondation du Parti québécois. En fait, à partir de 1982, Lévesque et sa garde rapprochée se sont ralliés au néolibéralisme, idéologie qui avait alors le vent dans les voiles. Le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, de 1996 à 2001, continua grosso modo dans cette voie pour atteindre l’équilibre budgétaire à tout prix, objectif devenu le mantra de l’ensemble de la classe politique québécoise. La « prudence budgétaire », quoique moins dure qu’au temps de René Lévesque et de Lucien Bouchard, sera toujours pratiquée par Bernard Landry (2001-2003) et Pauline Marois (2012-2014). La réforme progressiste du marché de l’emploi, sa précarité en particulier ne fut pas non plus remise en question par eux. Le temps des grandes réformes sociales était bien terminé. C’est ce qui explique la fondation de Québec solidaire en 2006 et son insistance sur la dimension sociale plus que nationale de notre existence collective.
Mais même sur la question centrale de l’obtention de l’indépendance, les directions péquistes successives ont souvent laissé l’impression d’une prudence qui confinait à la peur devant les risques qu’impliquait la réalisation de leur rêve d’un Québec libre. Quand leurs adversaires fédéralistes et même les tenants les plus lucides de l’indépendance faisaient ressortir les difficultés et les dangers du passage à l’acte et leur reprochaient de garder le silence en public sur ces problèmes, c’est-à-dire la période de transition qui séparerait un OUI majoritaire de l’atteinte effective du Québec à sa souveraineté, les leaders péquistes les accusaient de tomber dans le « terrorisme psychologique » et dans l’irresponsabilité politique. Ils se faisaient discrets (c’est le moins que l’on puisse dire) sur les difficultés qui pendaient au bout du nez des Québécois et Québécoises en cas de victoire du OUI.
Par exemple, si l’option indépendantiste l’avait emporté en mai 1980 (tout comme en octobre 1995), les compressions budgétaires péquistes qui ont matraqué la population auraient été encore bien pires. Dans cette optique, la défaite du OUI en mai 1980 fut peut-être un mal pour un bien. René Lévesque se mit alors à ressembler à Maurice Duplessis par son attitude autoritaire et intraitable. Par ailleurs, comment aurait agi Jacques Parizeau en octobre 1995 en cas de victoire indépendantiste ? Fondamentalement, il n’aurait pu faire autrement, c’est-à-dire qu’il aurait été obligé de couper dans les dépenses publiques, dont les programmes sociaux, pour assurer un minimum d’équilibre dans les finances publiques québécoises lors des longues et périlleuses négociations avec Ottawa. La social-démocratie aurait pris le bord, du moins pour un long moment.
Ce qui amène l’interrogation suivante : comment agirait PSPP en cas de victoire référendaire (si improbable qu’elle soit) lors d’un troisième et vraisemblablement dernier référendum sur la souveraineté ? Il devrait faire pareil : imposer des coupures budgétaires douloureuses. Même chose pour Québec solidaire, en dépit du socialisme démocratique qu’il affiche. Les strates les plus vulnérables de la population (sans emplois, travailleurs à statut précaire ou à faible revenu, locataires en difficulté, etc.) ne disposent d’aucune garantie que leurs intérêts seraient préservés durant cette période charnière. En plus, on ne peut être certains qu’un Québec enfin souverain adopterait une politique socialiste ou même simplement social-démocrate.
Paul Saint-Pierre Plamondon paraît vague sur le « projet de société » du parti qu’il dirige. Je n’ai pas encore feuilleté le programme électoral péquiste, mais le chef insiste en public bien davantage sur l’indépendance que sur l’orientation socio-économique que son gouvernement imprimerait au Québec. Il semble avoir fait sienne la formule de Bernard Landry « ni à gauche ni à droite, la souveraineté se fera en avant », ce qui équivaut à se dérober devant les sacrifices qu’exigera la réalisation de l’indépendance. S’imaginer que celle-ci se réalisera aisément, sans heurts majeurs entre les intérêts politiques, commerciaux et économiques majeurs qui défendent le fédéralisme équivaut à un gros mensonge, auquel les différentes directions péquistes nous ont, hélas, habitués.
L’indépendance, non appuyée sur un projet de société clair, inspirant et mobilisateur, ne vaut pas la peine qu’on en défende la cause. À la limite, il vaudrait mieux alors tenter de changer les choses à l’intérieur du régime fédéral. À défaut d’être enthousiasmante, cette voie aurait au moins le mérite de l’honnêteté. Non que l’indépendance doive être d’avance intégralement socialiste, mais on doit obtenir des garanties qu’elle débouchera sur un régime social plus juste que celui qui sévit actuellement.
Chose certaine, si un troisième référendum se tient et qu’il débouche encore sur un échec pour la souveraineté, ce sera la dernière consultation sur le sujet. Déjà l’option souverainiste ne suscite plus guère d’enthousiasme même au sein du Parti québécois, si elle perd, on la considérera probablement comme chose du passé. Elle perdra sa crédibilité. Paul Saint-Pierre Plamondon joue donc le tout pout le tout en essayant de la replacer au centre du débat politique. Son ardeur suffira-t-elle à convaincre les indécise et donc, à emporter la décision ? Cela me paraît douteux, mais la politique réserve bien des surprises.
Jean-François Delisle
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