Les propositions du gouvernement de la CAQ
Le gouvernement de la Coalition avenir Québec propose de réduire le volume global d’immigration en diminuant les cibles d’immigrant·e·s permanents et le nombre de résident·e·s non permanent·e·s (étudiant·e·s étranger·e·s, travailleurs et travailleuses étranger·e·s temporaires et demandeur·euse·s d’asile).
Il présente trois scénarios en ce qui concerne les seuils d’immigration permanente : ramener ces seuils soit à 25 000, à 35 000 ou à 45 000 admissions par an. Ces trois scénarios constituent une réduction importante par rapport à la situation actuelle, alors que le nombre d’immigrant·e·s admis·e·s en 2024 frôlait les 60 000. Le gouvernement veut également réduire le nombre de résident·e·s non permanent·e·s, qui passerait d’environ 416 000 à quelque 200 000 d’ici 2029.
Le gouvernement de la CAQ vise aussi à exiger une meilleure connaissance du français pour les personnes immigrantes permanentes et temporaires. Il entend maintenir à une forte proportion l’immigration économique — soit plus de 60 % des admissions permanentes — et réduire les admissions dans les programmes d’immigration humanitaire. Dans tous les scénarios, le gouvernement vise à réduire considérablement le nombre de personnes réfugiées sélectionnées à l’étranger, en plus d’exiger d’Ottawa le transfert d’un certain nombre de ces personnes vers les autres provinces canadiennes.
Le gouvernement de la CAQ soutient que cette réduction est nécessaire pour respecter la capacité d’accueil et d’intégration de la société québécoise. Il prétend que le niveau actuel d’immigration exerce une pression sur les services publics, notamment en santé et en éducation, et que la crise du logement est directement liée à l’immigration. Ces arguments sont directement repris par le chef du PQ, **Paul St-Pierre Plamondon**.
Les politiques néolibérales, les désinvestissements et les privatisations des services publics, de même que la production insuffisante de logements laissée au marché privé et aux spéculateurs, sont ainsi excusés. De plus, derrière le discours sur la « protection du français » et la « cohésion culturelle », le gouvernement de la CAQ cherche à reconstruire sa base électorale en expliquant la multiplication des problèmes sociaux par l’immigration, et non par les logiques capitalistes et ses politiques d’austérité.
Sous couvert de laïcité, de cohésion linguistique et de « valeurs communes », le nationalisme conservateur érige une frontière symbolique entre un « nous » francophone menacé et un « eux » étranger, racisé, musulman ou non francophone. Les politiques de la CAQ – Loi 21, restrictions à l’immigration, discours sur la « capacité d’intégration » – visent à diviser la majorité populaire et à détourner la colère sociale des véritables responsables : le capital financier, la spéculation immobilière et la destruction des services publics.
Les organisations patronales défendent une vision strictement utilitariste de l’immigration
De leur côté, les grandes organisations patronales – le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des chambres de commerce et **Manufacturiers et exportateurs du Québec** – réclament une augmentation substantielle des seuils d’immigration permanente, jusqu’à 70 000 admissions annuelles, et s’opposent à toute réduction des permis temporaires.
Elles considèrent que les propositions gouvernementales sont insuffisantes face à la rareté de la main-d’œuvre et insistent sur l’importance de répondre aux besoins du marché du travail et à la croissance des entreprises. Le CPQ propose également de suspendre les restrictions imposées à l’automne 2024 sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) afin d’éviter des pertes de main-d’œuvre indispensables au maintien des PME, particulièrement dans certaines régions hors des grands centres.
Leur conception de l’intégration est strictement utilitaire : il s’agit de maintenir un réservoir de main-d’œuvre flexible, bon marché et immédiatement disponible, sans nécessairement garantir la stabilité ou l’égalité des droits.
Au fond, les contradictions entre le gouvernement Legault et les organisations patronales reflètent deux logiques distinctes mais interdépendantes :
* la logique économique du patronat, orientée vers la maximisation de la main-d’œuvre disponible (une « armée de réserve »), la fluidité du marché et la déréglementation ;
* la logique politique du gouvernement de la CAQ, centrée sur la mise en scène d’une souveraineté culturelle identifiée à la défense du français, permettant de freiner l’érosion de sa base électorale.
Les positions des organisations syndicales
Dans leurs mémoires, les centrales syndicales – **FTQ, CSN, CSQ, CSD** – sont moins centrées sur le « seuil maximal » que sur les conditions, le statut et la protection des personnes immigrantes. Elles dénoncent la multiplication des statuts temporaires, la précarisation du travail immigrant et la dépendance des travailleurs et travailleuses à un seul employeur.
Les centrales insistent sur le fait que les personnes immigrantes doivent avoir accès à un statut permanent dès que possible, surtout celles déjà présentes sur le territoire avec un statut temporaire. Elles exigent la suppression des permis de travail fermés, l’accès rapide à la résidence permanente, la reconnaissance des qualifications étrangères et un véritable droit à la francisation gratuite et rémunérée. Elles réclament que l’intégration ne se limite pas à la seule dimension culturelle, mais qu’elle soit globale : logement abordable, services publics accessibles, soutien aux organismes d’accueil, lutte contre le racisme.
Pour les centrales syndicales, la politique actuelle repose sur une contradiction : on invoque la défense du français pour restreindre l’immigration, tout en négligeant de donner aux travailleurs et aux travailleuses les moyens matériels d’apprendre la langue et les droits leur permettant de participer pleinement à la vie collective. Les coupures dans les programmes de francisation opérées par la CAQ durant la dernière année en sont une illustration manifeste.
Les organisations de défense des personnes immigrantes
Les organismes de défense des personnes immigrantes appellent à une reconnaissance pleine et entière de la contribution des personnes immigrantes et à des voies claires et rapides vers la résidence permanente, notamment pour celles déjà établies au Québec.
Ils dénoncent le régime des permis fermés, les conditions de travail abusives, les obstacles à l’accès aux services publics et les politiques de francisation instrumentalisées comme filtres d’exclusion. Leur perspective est celle d’une politique fondée sur la dignité, l’égalité et la solidarité.
Pour ces organisations, une politique émancipatrice passerait par la régularisation des personnes sans statut, la suppression des permis fermés, la reconnaissance des diplômes étrangers et l’accès universel aux droits sociaux, linguistiques et culturels.
Si le patronat voit dans les seuils proposés et la diminution du nombre de travailleurs et travailleuses temporaires une difficulté pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre, les organisations de défense des immigrant·e·s considèrent que ces seuils réduits et ces statuts temporaires prolongés sans perspectives claires créent de la précarité et de l’injustice.
La politique migratoire du Québec en phase avec celle du Canada
Si le gouvernement du Québec demande un transfert de pouvoirs en matière d’immigration, il faut voir que les politiques migratoires du Canada et du Québec verrouillent la mobilité humaine et criminalisent la migration. Ces politiques nourrissent un racisme systémique qui traverse l’ensemble des institutions. Elles révèlent un même projet : celui d’un État capitaliste et colonial cherchant à réaffirmer son autorité par le contrôle des corps, la hiérarchisation des vies et la fragmentation de la classe travailleuse. Les murs qu’il érige ne protègent pas la population : ils protègent le profit, l’ordre et la propriété.
Comme l’écrivait **Solidarité sans frontières** en dénonçant le projet de loi C-12 (devenu C-2) :
« Les migrant·e·s sans papiers, et toutes celles et ceux qui ont un statut d’immigration précaire, sont prisonnier·e·s au Canada. Elles et ils ne peuvent pas partir, ni travailler de façon légale ; elles et ils sont exploité·e·s sur leur lieu de travail encore plus que d’autres travailleur·euse·s ; elles et ils sont constamment menacé·e·s de détention arbitraire. Elles et ils sont ici parce que le Canada et d’autres pays occidentaux riches ont rendu leurs foyers invivables. Elles et ils sont ici, aspirant à une vie meilleure pour elles et eux-mêmes et pour leurs enfants. Elles et ils sont confronté·e·s à la violence bureaucratique et juridique du Canada, mais luttent dans la dignité et la résilience. »
Une politique migratoire véritablement émancipatrice doit jeter les bases d’une véritable inclusion de toutes les composantes de la société québécoise
Une véritable politique d’inclusion des personnes migrantes et d’intégration à la société québécoise passera par une politique d’égalité sociale et d’extension des droits économiques, sociaux et politiques.
Elle exigera :
a) le rejet d’une vision ethniquement homogène de la société québécoise et du projet nationaliste d’homogénéisation culturelle ;
b) une politique s’attaquant aux discriminations et refusant l’existence de secteurs de la société privés de droits ;
c) la liberté de circulation et d’installation de toutes les personnes migrantes ;
d) l’éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population ;
e) le rejet des discours qui font des minorités les seules porteuses de l’inégalité des femmes dans la société ;
f) une politique linguistique refusant de faire des personnes immigrantes la cause du manque d’attractivité du français ;
g) enfin, le rejet d’une laïcité identitaire qui essentialise la nation.
Il faut éviter de diviser le Québec entre un « nous » défini sur une base généalogique et culturelle et un « eux » qui en serait exclu. Partir sur cette base, c’est créer les conditions de l’approfondissement des divisions ethniques au sein de la société québécoise. La société québécoise doit se définir non pas comme un « nous » dont la substance se construit autour de certaines valeurs partagées de tout temps, mais comme un espace commun où la contribution de toutes et tous façonne une société plurielle et démocratique.
Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles qui y œuvrent et participent à la création de la richesse commune (et pas seulement économique) font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes, on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire et dans un même ordre juridique soient traitées différemment ou discriminées.
Le principe d’égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d’autres droits, dont notamment :
* le droit de s’installer durablement ;
* le droit au travail, à un salaire égal et à la syndicalisation ;
* le droit d’acquérir la nationalité et de voter ;
* le droit de vivre en famille ;
* le droit à la sécurité sociale ;
* le droit d’avoir accès aux différents services publics, etc.
La lutte pour l’égalité des droits doit être la tâche de tous les mouvements sociaux qui visent l’égalité sociale et la fin des discriminations : mouvement syndical, mouvement des femmes, des jeunes, mouvement populaire, mouvement antiraciste, etc. Le combat contre les discriminations et pour l’égalité des conditions et des droits est à la base de la convergence des différentes composantes de la majorité populaire.











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