Édition du 10 décembre 2024

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Environnement

La crise du mouvement environnemental : de résistance à transgression (2/2)

Voici quatre pistes de réflexion pour un mouvement environnemental efficace, solidaire et mobilisant.
Dans mon dernier billet (http://quebec.huffingtonpost.ca/Bruno%20Massé/crise-mouvement-environnemental_b_4391204.html), je posais une réflexion critique sur la progression du mouvement social environnemental. Je faisais référence à d’autres activistes (http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/374596/environnement-et-economie-l-echec-des-verts) et chercheurs-es (http://thinkprogress.org/climate/2012/12/09/1306051/agu-scientist-asks-is-earth-fked-surprising-answer-resistance-is-not-futile/) qui accusent l’échec.

Malgré une multiplication exponentielle des organisations, nombre de victoires et une popularité presque universelle, le mouvement social vert n’a pas réussi à arrêter la dégradation de la planète, qui s’accélère. Par exemple, le réchauffement climatique s’accroît sans résistance significative, comme la pollution, les maladies liées à l’environnement , la perte de biodiversité, etc.

Mon essai a suscité de vives réactions. D’une part, je suis désolé que certains aient répondu sans avoir lu plus loin que le titre, ou aient alors profité de l’ouverture pour déverser leur fiel sur les "méchants écolos". En revanche, j’ai eu la chance d’avoir eu plusieurs bonnes discussions avec des personnes qui ont dévouées leur vie à cette cause et j’en suis reconnaissant.

C’est donc avec beaucoup d’humilité que je poursuis la réflexion : quelles leçons peut-on tirer pour mieux planifier la lutte de demain ? Voici quatre pistes de réflexion pour un mouvement environnemental efficace, solidaire et mobilisant.

1. Une realpolitik écologiste

Selon le Larousse, la realpolitik signifie une "stratégie qui s’appuie sur le possible, négligeant les programmes abstraits et les jugements de valeur, et dont le seul objectif est l’efficacité". Un concept pertinent en environnement, où les problèmes ne sont pas abstraits. Ils sont physiques, réels, concrets, objectivement vérifiables.

Lorsqu’on déplore l’inefficacité de l’environnementalisme, on fait notamment référence aux objectifs que fixent généralement les plus grandes organisations environnementales lors de leurs campagnes. Ces objectifs sont généralement basés sur une conception de ce qui est viable politiquement et intéressant pour les médias de masse, plutôt que ce qui est nécessaire au sens réel.

Lorsque les décideurs (compagnies, gouvernements) réalisent une partie de ces demandes déjà édulcorées, le mouvement environnemental considère qu’il a réussi à faire des gains. Or, dans la réalité, sur le terrain, c’est souvent un recul. Plutôt que de négocier la destruction des écosystèmes, il faut que le mouvement environnemental entre en rupture avec les abstractions, la sphère symbolique et l’opinion publique pour se concentrer sur la réalité effective des problèmes auxquels il faut trouver des solutions. Toute solution doit être une réponse proportionnelle au problème, sinon ce n’est pas une solution.
En s’ancrant dans la réalité, le mouvement environnemental peut alors se fixer des buts cohérents et prendre les moyens nécessaires pour y arriver.

Sommes-nous responsables de ce que nous ne contrôlons pas ? Non. Alors cessons de se culpabiliser. Ensuite, considérons les liens que nous pouvons renforcer et les failles que nous pouvons exploiter.
Dans cette stratégie, chaque victoire est une victoire réelle qui peut briser le cynisme, inspirer les gens dans la validité de la démarche et mobiliser les communautés sur quelque chose de plus solide qu’une trame narrative abstraite et ultimement neutralisante.

Une victoire purement symbolique n’est pas une victoire, c’est un divertissement.

2. L’alliance avec les luttes sociales

Une des plus grandes faiblesses du mouvement environnemental est sa propension à évacuer les dimensions sociales des problèmes environnementaux. Par dimension sociale, j’entends toute inégalité systémique (économiques, de genre, ethniques, etc.) vécue collectivement.
Une personne discriminée, fragilisée et dont l’intégrité physique et morale est menacée n’est pas une personne libre de faire des choix positifs pour l’environnement. Globalement, il est impossible de protéger l’intégrité des écosystèmes tant que des rapports de domination persistent dans la société. Pour être cohérent, le mouvement environnemental doit intégrer les dimensions sociales à ses analyses et s’allier solidairement aux luttes sociales en cours. Par exemple les mouvements des femmes, des étudiants-es, des sans-emploi, les communautés LGBT, des travailleurs-ses.

Historiquement, c’est lors de la révolution néolithique (il y a 10 000 ans) qu’ont été instaurés simultanément les classes sociales, le patriarcat, la domestication des animaux et l’agriculture (réf. Marshall Sahlins). Ce n’est pas un hasard : l’esclavage et la destruction de l’environnement sont interreliés.

Une fois les causes environnementales et sociales unies, il devient possible de passer d’une position défensive (la résistance) à une position offensive (la transgression).

3. La construction d’un pouvoir effectif

Aucune grande action spectaculaire, aussi émouvante soit-elle, ne peut régler un problème technique. Malgré son expertise communicationnelle, le mouvement environnemental doit quitter le spectacle - non pas pour se taire, mais bien pour construire un contre-pouvoir effectif. Effectif signifie tangible, matériel, immédiat dans le temps et l’espace.

Après 50 ans de sensibilisation, le message a passé : maintenant, il ne reste que des résistances au changement. Ces résistances vont du déni (ex. climato-sceptiques) à la récupération (ex. greenwashing).

Nous ne pouvons pas raisonner ou émouvoir les personnes au sommet de la hiérarchie. Ces personnes ne cèdent rien volontairement et n’ont pas d’empathie. L’histoire des mouvements sociaux, par exemple celui des travailleurs-ses, nous prouve qu’un rapport de force direct est nécessaire.
Surtout en environnement, le pouvoir effectif est incontournable puisqu’il est toujours question de territoire et de notre rapport avec celui-ci : la façon dont on habite la terre, comment on l’affecte.

Actuellement, ce rapport est disloqué. À l’ère des médias sociaux et de l’instantané, la culture devient, plus que jamais, une distanciation de la nature et une négation de celle-ci. Pour ceux qui profitent de la destruction de la nature, rien n’est plus facile à manipuler que le spectacle, l’image, le discours.
Conséquent avec une realpolitik écologiste, un pouvoir effectif suppose un réseau de solidarité démocratique, tangible, réelle, qui peut se manifester physiquement dans l’espace. Cette force, ce contre-pouvoir peuvent prendre une multitude de formes, au gré de notre imagination et de nos capacités. Le territoire du Québec est vaste : il n’est pas difficile d’obtenir une supériorité stratégique.
« Penser global et agir local » n’est pas seulement le slogan de l’altermondialisme, c’est aussi un changement de paradigme dans la relation de l’être humain au territoire. Dans cette perspective, s’enraciner, c’est se réconcilier avec l’environnement - un concept qui n’existait pas, d’ailleurs, avant qu’on se sépare de lui.

4. Intégrer la dimension psychologique

Une lutte pérenne contre le désespoir fait partie du quotidien de la plupart des militants-es en environnement. Comprendre la situation - la menace - est instrumental à notre capacité à trouver des solutions, mais cela signifie également de s’exposer à la réalité désolante des espèces qui disparaissent, des désastres climatiques, des problèmes de santé environnementale. Nous sommes simultanément témoins, victimes et agents-es du changement.

Plus précisément, être écologiste, c’est prendre conscience de l’aliénation de l’espèce humaine avec son habitat. C’est facile d’objectiver la situation et de la réduire à une équation, mais la réalité est vécue de façon qualitativement différente : nous sommes des êtres vivants dotés d’empathie et cette situation est difficile, parfois traumatique.

Il est donc impératif d’intégrer une dimension psychologique au mouvement environnemental pour s’assurer de créer des milieux sains, démocratiques et non discriminatoires. L’urgence d’agir ne doit pas prendre préséance sur la nécessité de reconstituer le tissu des liens sociaux dans une perspective humaniste, socialiste, antioppression, peu importe le genre, l’orientation sexuelle, la diversité culturelle. Conséquemment, il faut évacuer les relations de pouvoir de nos dynamiques.

N’oublions pas qu’un des déterminants majeurs de la motivation est la perception du contrôle sur la situation vécue. Dans le mouvement environnemental, où les problèmes sont souvent transfrontaliers, il est difficile de sentir que nos actions, même si elles réussissent, vont changer quoi que ce soit. Voilà une raison de plus pour être stratégique : il tient de fixer des buts signifiants qui peuvent être remplis de façon satisfaisante. Ainsi, l’action collective dans une perspective de révolte devient une source de plaisir.

Après tout, lorsque l’injustice prévaut, il est sain de se révolter.

(Note : ce billet est une adaptation d’un article qui sera publié dans la Revue de la Ligue des droits et libertés, Volume 32, No 2.)

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