Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Médias

La publicité comme opium ?

Tout le monde écoute la télévision. D’autant plus que, dans toutes les chaînes TV, la saison d’automne vient de recommencer avec son lot de quizz nouveaux ou anciens, ses téléromans qu’on suit année après année, les séries américaines avec de beaux héros et quelques émissions à saveur scientifique. Et j’allais oublier les bulletins d’informations.
Qui regarde la TV ? Un article paru dans le Devoir du 23 septembre 2013 rapporte que le francophone québécois regarde la TV plus de 34 heures par semaine. Ce sont les personnes âgées qui visionnerait le plus le petit écran avec 53 heures par semaine. C’est beaucoup.

Mais qui regarde la TV, regarde aussi la publicité. En fait, chiale après la publicité. Les émissions d’une heure comptent en fait pour environ 45 minutes et nous gobons 15 minutes de messages publicitaires. Annonces après annonces, les capitalistes nous vendent un produit. Mais annonces après annonces, ils nous vendent bien plus : consommer, acheter c’est à votre portée, vous pouvez tout avoir : la nouvelle voiture d’Hyundai, le mascara de l’Oréal, la pizza de Restaurante et le hamburger de MC Do. Cette publicité pour des produits souvent inutiles crée, par son imagerie et ses rêves, des besoins qu’il faut vendre à l’adulte d’abord puis à tout le monde y compris les enfants avec les produits lego et playschool. Des fermes miniatures avec petits animaux sont vendues aux enfants des villes américaines mais sont aussi offertes aux enfants dans les pays en émergence. Quels que soit vos besoins…vous achetez… Le marché s’étend, les profits profitent. La publicité devient donc une cheville essentielle du développement capitaliste. Vendre n’importe quoi à n’importe qui c’est là le défi de la publicité.

La satisfaction des désirs se fait sur la carte de crédit. L’indice d’endettement des ménages québécois vient de nouveau de franchir un sommet de 150 % l’an dernier, il atteint 165 % actuellement. La publicité atteint haut la main son objectif. Elle fait rouler l’économie.

Pourtant la publicité coûte cher et on peut se poser la question à savoir si l’investissement en vaut la chandelle.

« Examinons les chiffres : L’Oréal (le premier qui dit « parce que je le vaut bien » sort …) a dépensé en 2008 sur le marché français 96 millions d’euros uniquement en pub télé uniquement en France. Son chiffre d’affaires Europe est d’environ 8 milliards d’euros. Admettons que le chiffre France soit de 2 milliards d’euros. Cela veut dire que quand une femme achète un soin de beauté 10€, elle paye 12 centimes de pub télé. Et encore ce chiffre ne prend pas en compte le coût interne du service marketing de L’Oréal et les autres formes de publicité (sponsoring, PLV, presse, radio,…). On peut ainsi estimer que, sans la pub, la marque pourrait vendre ses produits facilement 5% moins chers : autant de pouvoir d’achat gagné par les consommateurs. On peut décliner à l’envie sur d’autres secteurs.

Le contre-pied a déjà été pris par le secteur low-cost : pas de pub chez eux -la meilleure pub, ce sont les prix bas obtenus notamment grâce à… l’absence de pub (cf Easyjet, Dacia et autres Lidl).

Alors, la pub, ça sert à quoi ? Un bon capitaliste dira : à aiguillonner la concurrence, permettant in fine un gain pour le consommateur. Cela revient à dire que la concurrence est l’optimum, ce qui est loin d’être acquis……
Surtout, la réalité est bien différente : si L’Oréal ou les constructeurs automobiles déversent de telles sommes, ça n’est pas pour la concurrence mais au contraire pour mettre des barrières à l’entrée du marché suffisamment élevées pour garder une position oligopolistique voir monopolistique… Et ainsi accroître leurs marges et baisser le pouvoir d’achat des consommateurs. »

http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2009/12/pub.html
À partir de notre petite annonce publicitaire bien moche, on découvre tout un système de relations économiques complexes. On vend un produit mais en même temps on vend un système.

« A une époque moins complexe, la publicité se contentait d’attirer l’attention sur un produit… Maintenant, elle fabrique son propre produit : le consommateur, être perpétuellement insatisfait, agité, anxieux, blasé. La publicité sert moins à lancer un produit qu’à promouvoir la consommation comme style de vie. Elle éduque les masses à ressentir un appétit insatiable… Elle vante la consommation, remède universel aux maux familiers que sont la solitude, la maladie, la fatigue, l’insatisfaction sexuelle…

 » Votre travail vous donne-t-il un sentiment de fatigue et de futilité ? Percevez-vous votre existence comme un vide ? « Consommez donc, cela comblera un vide douloureux ». Le travail publicitaire est sans doute, dans l’esprit de l’auteur, bien davantage qu’une démarche annexée à la production et pousse à la consommation : une immense et puissante rhétorique, une pseudo-sagesse de vie, une instillation subtile d’impératifs et de diktats discrets. La mode publicisée indique ce qu’il faut porter et la consommation se comprend dès lors comme solution de remplacement à la protestation et à la rébellion. Bien plus, la publicité intègre le mal être et la désolation spirituelle (désolation, être privé de sol) dans un paquet global dont la consommation est le remède immédiat et temporaire. » http://politique.eu.org/spip.php?article885

La publicité dans son ensemble a créé un mode de vie consumériste. Le logo devient essentiel, la maison bien décorée et qui sent bon est importante, la voiture de l’année à la porte devient une banalité. La mondialisation a étendu cette nécessité de dépenser à travers la planète. Cette consommation effrénée devient incompatible avec les ressources mondiales.

Dans des pays qui ont une eau du robinet parfaitement potable comme les États-Unis, plus de 20 milliards de dollars sont dépensés chaque année pour « l’eau en bouteille » - souvent la même eau provenant de réservoirs et de puits locaux, mais mise en bouteilles et vendue deux dollars. Pendant ce temps, 2 à 3 milliards de personnes dans le tiers-monde manquent d’eau potable ou même suffisamment propre pour, au moins, laver leurs vêtements. Le dilemme capitaliste moderne est défini par cette asymétrie entre les besoins réels du tiers-monde, non pris en charge par le capitalisme de consommation car ces personnes manquent de ressources, et les faux besoins du premier monde, assouvis parce que les clients ont les moyens sinon le désir de se procurer de tels biens. http://www.lebret-irfed.org/spip.php?article539

La publicité est aussi un véhicule par excellence pour promouvoir la domination des hommes sur les femmes. Au produit à vendre est associé le corps des femmes comme fantasme, comme surplus obtenu automatiquement avec la consommation du produit. Elle participe de la marchandisation des corps. Si le fantasme ne s’y prête moins, ce sont les images des rôles des hommes et des femmes qui véhiculent les valeurs de domination : l’homme comme pourvoyeur et la femme avec les enfants à travailler à la maison.

Avec l’ère de la mondialisation et d’internet, la publicité a aussi pris un tournant surprenant. On ne vend plus un produit, on ne vend plus un mode de vie, on vend de l’information et des mots. Le mode de fonctionnement de Google est impressionnant. :

« Afin de choisir quelles publicités afficher pour une requête donnée, l’algorithme propose un système d’enchères en trois étapes :

— L’enchère sur un mot-clé. Une entreprise choisit une expression ou un mot, comme « vacances », et définit le prix maximum qu’elle serait prête à payer si un internaute arrivait chez elle par ce biais. Pour aider les acheteurs de mots, Google fournit une estimation du montant de l’enchère à proposer pour avoir de bonnes chances de figurer sur la première page de résultats. Les acheteurs peuvent limiter leur publicité à des dates ou à des lieux spécifiques. Mais attention : comme on va le constater, le fait d’avoir l’enchère la plus haute ne garantit pas que vous serez le premier sur la page.

— Le calcul du score de qualité de la publicité. Google attribue à chaque annonce, sur une échelle de un à dix, un score, en fonction de la pertinence de son texte au regard de la requête de l’utilisateur, de la qualité de la page mise en avant (intérêt de son contenu et rapidité de chargement) et du nombre moyen de clics sur la publicité. Ce score mesure à quel point la publicité fonctionne, assurant à la fois de bons retours à l’annonceur et d’imposants revenus à Google, qui ne gagne de l’argent que si les internautes choisissent effectivement de cliquer sur le lien proposé. L’algorithme exact qui établit ce score reste secret, et modifiable à loisir par Google.

— Le calcul du rang. L’ordre dans lequel les publicités apparaissent est déterminé par une formule relativement simple : le rang est l’enchère multipliée par le score. Une publicité ayant un bon score peut ainsi compenser une enchère plus faible et arriver devant. Google optimise ici ses chances que l’internaute clique sur les publicités proposées ……
Google a réussi à étendre le domaine du capitalisme à la langue elle-même, à faire des mots une marchandise, à fonder un modèle commercial incroyablement profitable sur la spéculation linguistique. L’ensemble de ses autres projets et innovations technologiques — qu’il s’agisse de gérer le courrier électronique de millions d’usagers ou de numériser l’ensemble des livres jamais publiés sur la planète — peuvent être analysés à travers ce prisme. » http://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/KAPLAN/46925
Qu’importe les besoins des gens, qu’importe la situation des pays en émergence et leurs priorités, qu’importe l’état des ressources, le système capitaliste réalise son profit et vend sa marchandise. Mais cette folie est en train de détruire notre planète. Il va falloir réfléchir sur la nécessité de baisser la consommation et s’axer davantage sur les besoins réels des individus et des collectivités. Produire mieux pour tout le monde et en finir avec la publicité de tout acabit. Une autre société est effectivement possible : jouer dehors au lieu d’écouter la TV.

Chloé Matte Gagné

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