Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Planète

La viande est l'une des principales sources d'émissions, mais peu d'organes de presse en parlent, selon une analyse

Les éléphants dans la pièce, matériels et idéologiques, bloquent la mobilisation de la dite classe moyenne pour le climat et contre la guerre

La production carnée a beau compté pour 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et occupé 40% des terres habitables de la planète, elle demeure un point aveugle de la crise climatique, révèle l’article ci-bas de The Guardian, en comparaison du transport et de la climatisation des bâtiments. Les experts consultés par l’auteur de l’article invoquent comme explication la « délicatesse » ou la sensitivité culturelle du sujet encouragées, faut-il le dire, par le lobby de la viande, essentiellement les ruminants bovins. Un autre article du Guardian titre qu’« [u]n "régime alimentaire planétaire" pourrait éviter 40 000 décès par jour, selon un rapport qui fait date. Le régime permet une consommation modeste de viande et réduirait de moitié les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation, selon un rapport rédigé par 70 experts de premier plan issus de 35 pays. »

Le premier article aurait pu aussi alléguer la ventilation statistique par secteurs laquelle isole la ferme de l’ensemble de la filière qui comprend la déforestation jusqu’à la mise en marché en passant par les activités agricoles proprement dites, le transport et l’empaquetage comme l’illustre le tableau joint à l’article. Par exemple, le bilan des émanations de GES du Québec en attribue seulement 10% au secteur de l’agriculture (2022) indépendamment de la part alimentaire dans les secteurs de la transformation, du transport, de la climatisation et des déchets. Le CIRAIG, en tenant compte de toute la chaîne alimentaire, a « calculé que, en moyenne, l’assiette d’un Québécois génère 2,5 tonnes équivalent de CO2. Cela représente le quart de nos émissions de gaz à effet de serre. » La part animal (viandes et produits laitiers) compte pour la moitié de ce 25%. Il semble que l’étude du CIRAIG ait exclu la déforestation due à l’agriculture toutefois modeste au Québec vis-à-vis, par exemple, le Brésil. Mais elle a inclus le gaspillage alimentaire qui compte pour « 20 % du bilan de carbone attribuable à la production de la nourriture ».

On s’interroge sur les raisons pour lesquelles la « délicatesse » invoquée ne vaudrait pas aussi pour les secteurs de transport, de l’habitat et des produits ménagers (électroménagers, produits électroniques, vêtements). Le battage publicitaire capitaliste tolère tout à fait la stigmatisation de l’auto solo à essence à laquelle le capitalisme vert veut substituer celle électrique-électronique quitte à ce qu’elle soit un VUS encore plus profitable. Idem pour les produits électroniques et électro-ménagers remplaçables par ceux soit plus économes en énergie par leur électronification soit prétendument plus performants pour la même raison. (Microsoft y a vu avec son nouveau logiciel Windows 11 qui nous oblige souvent à acheter un nouvel ordinateur.) Quant aux vêtements, le truc capitaliste consiste à intégrer le cycle de la mode à même le cycle productif avec le prêt-à-porter jetable ce qui déshabille les écologiques friperies structurant le recyclage des vêtements… quoique pointe à l’horizon l’électronification du vêtement, en ce moment un luxe fantaisiste.

L’habitat et l’aménagement du territoire et celui urbain sont un noyau plus dur en ce sens que demeure incontournable la villa campagnarde, plus prosaïquement appelée maison unifamiliale, pour ne pas que s’effondre le château de cartes de la consommation de masse dont elle est l’assise. Cette assise est indispensable à l’accumulation capitaliste dont l’autre face est l’économie de guerre permanente, se justifiant par la prolifération des guerres, qui reprend du poil de la bête. La prééminence de la villa campagnarde, en combinaison avec l’auto solo électrique-électronique, permettent le maintien de l’étalement urbain qui dévore les milieux naturels en association avec l’agro-industrie carnée. Cette dernière se présente comme l’autre versant incontournable du capitalisme vert dont l’équivalent de l’auto solo électrique-électronique est la haute-technologique et ultra-transformée viande cultivée, à ne pas confondre avec la viande végétale, qui arrive à peine à percer le marché due à sa cherté et à ses potentiels risques pour la santé.

On frappe ici le blocage à la fois matériel et idéologique qui fait le lit de l’extrême-droite. Crispée sur ses acquis ou en rêvant, la propagande capitaliste — dite publicité — aidant, la prétendue classe moyenne, en réalité la petite bourgeoisie et la couche supérieure du prolétariat qui est aussi la plus organisée, cherche un bouc émissaire à ses misères et frustrations pour ne pas voir l’éléphant capitaliste dans la pièce. Aiguillonnée par l’extrêmedroite et de plus en plus par la droite qui lui vole sa thématique, la « classe moyenne » blâme la population immigrante, se gardant une petite gêne pour ne pas dire racisée, comme voleuse de logements, de services publics et d’emplois. La raison fondamentale à cette pénurie est pourtant la grève des investissements sociaux et pro-climat du capital qui n’y trouve pas son compte. Comme dans les pays du Nord, cette prétendue classe moyenne forme la courte majorité de la population (une composante de ce 40% de la population mondiale qui produit 40% des GES), son conservatisme survolté par la droite populiste entrave le plein déploiement de la lutte sociale. [Ce n’est pas un hasard si parmi les pays du vieil impérialisme membres du G-20, l’Italie et l’Espagne sont les plus mobilisés pour Gaza car ils en sont par habitant les plus pauvres.]

Marc Bonhomme, 4 octobre 2025

27 septembre 2025 | The Guardian
Source : https://www.theguardian.com/environment/2025/sep/27/meat-gas-emissions-reporting

Sentient Media révèle que moins de 4 % des articles sur le climat mentionnent l’agriculture animale comme source d’émissions de carbone. | Note : les mises en évidence en gras sont de moi

L’alimentation et l’agriculture contribuent pour un tiers aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, juste après la combustion de combustibles fossiles. Pourtant, la grande majorité de la couverture médiatique de la crise climatique néglige ce secteur critique, selon une nouvelle analyse de données de Sentient Media.

Les résultats suggèrent que seul un quart des articles sur le climat parus dans 11 grands médias américains, dont le Guardian, mentionnent l’alimentation et l’agriculture comme cause de la crise. Sur les 940 articles analysés, seuls 36, soit 3,8 %, mentionnent l’agriculture animale ou la production de viande, qui est de loin la principale source d’émissions liées à l’alimentation.

Ces données révèlent un environnement médiatique qui occulte un facteur clé de la crise climatique. La production de viande est à elle seule responsable de près de 60 % des émissions climatiques du secteur alimentaire et pourtant son impact est largement sous-estimé : un sondage réalisé en 2023 par le Washington Post et l’Université du Maryland a révélé que 74 % des personnes interrogées aux États-Unis pensent que manger moins de viande a peu ou pas d’effet sur la crise climatique.

Sentient Media a analysé les articles en ligne les plus récents sur le changement climatique provenant de 11 grands médias américains : le Guardian, le Boston Globe, le Chicago Tribune, CNN, le Los Angeles Times, le New York Post, le New York Times, Reuters, le Star Tribune, le Wall Street Journal et le Washington Post. Les articles d’opinion, les articles syndiqués et les articles qui ne mentionnent le changement climatique qu’en passant ont été exclus.

Le groupe final de 940 articles a été collecté à l’aide de l’intelligence artificielle, puis examiné individuellement pour en vérifier l’exactitude. De toutes les causes étudiées dans le rapport, notamment l’exploitation minière, la fabrication et la production d’énergie (55,9 %), les combustibles fossiles (47,9 %) et les transports (34 %), le bétail et la consommation de viande sont de loin les moins abordés.

La rédactrice en chef de Sentient Media, Jenny Splitter, qui a participé à la supervision du rapport, a déclaré qu’elle avait remarqué cette omission depuis longtemps en tant que journaliste couvrant l’intersection du climat et de l’alimentation. « Nous avons pensé qu’une façon d’entamer la conversation avec d’autres journalistes et salles de rédaction était de chiffrer la question », a-t-elle déclaré.

Mark Hertsgaard, directeur général et cofondateur de Covering Climate Now, une organisation à but non lucratif qui aide les salles de presse à renforcer leurs reportages sur le climat, a déclaré que les organes d’information quotidiens ont de la difficulté à mettre l’accent sur les causes profondes du changement climatique. Ils se concentrent souvent sur les mises à jour progressives plutôt que sur les raisons plus générales.

« Ce n’est pas nécessairement infâme », a-t-il déclaré. « Mais comme la crise climatique s’est accélérée, il est de plus en plus indéfendable que la couverture médiatique du changement climatique n’indique pas clairement que cette crise est due à des activités humaines très spécifiques — principalement la combustion de combustibles fossiles. L’alimentation, l’agriculture et la sylviculture viennent toutefois en deuxième position ».

M. Hertsgaard, qui traite de la crise climatique depuis 1990, a déclaré que l’alimentation et l’agriculture étaient depuis longtemps un « oubli flagrant » dans les cercles climatiques. Jusqu’en 2015, le sommet des Nations unies sur le changement climatique n’avait pas consacré de thème à l’agriculture, ce qui reflète son statut négligé dans le monde des décideurs politiques, des groupes de réflexion et des ONG - ce qui a contribué à l’analphabétisme des médias sur le sujet, a déclaré M. Hertsgaard.

Dhanush Dinesh, fondateur du groupe de réflexion Clim-Eat, spécialisé dans les systèmes alimentaires, a déclaré que les organisations de défense du climat hésitent parfois à aborder le sujet en raison du statut culturel délicat de l’alimentation, ce qui a peut-être contribué à le soustraire à l’attention des médias.

« Personne ne veut se mettre en avant et dire aux gens ce qu’ils doivent manger - c’est tout simplement trop délicat », a-t-il déclaré. « Même au sein de l’espace [de défense du climat], nous constatons qu’il y a une forte polarisation. »

Cette tension n’est pas toujours aussi organique. Lorsqu’un rapport publié en 2019 par le Lancet a montré comment les régimes à teneur réduite en viande pouvaient nourrir le monde sans provoquer de dégradation de l’environnement, une coalition soutenue par l’industrie a contribué à financer une partie des réactions négatives à son encontre. Les groupes de l’industrie de la viande bovine adoptent une approche active en matière de messages, notamment en dotant un « centre de commandement » situé à Denver et fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qui scrute les médias sociaux à la recherche d’informations négatives et déploie des contre-messages.

Selon le journaliste Michael Grunwald, le débat sur l’alimentation a aujourd’hui vingt ans de retard sur le débat sur l’énergie et les combustibles fossiles. Il a passé des années à couvrir les questions climatiques pour des médias tels que Time, Politico et le Washington Post avant de commencer à voir les liens entre la nourriture dans nos assiettes et les changements dans l’atmosphère.

« Je ne savais pas grand-chose », a-t-il déclaré. « C’était un élément important de l’équation climatique que j’ignorais de manière spectaculaire. Et je me suis rendu compte que d’autres l’étaient probablement aussi ».

Le nouveau livre de M. Grunwald, We Are Eating the Earth, explique comment les choix alimentaires façonnent la surface de la planète et jouent un rôle important dans son sort final. Cela s’explique en partie par le fait que les ruminants — en particulier les bovins — sont une source majeure de méthane, un puissant gaz à effet de serre qui réchauffe la planète 80 fois plus vite que le dioxyde de carbone.

Mais nourrir des milliards d’animaux d’élevage prend aussi beaucoup d’espace. La moitié des terres habitables de la planète sont déjà consacrées à l’agriculture, et la majeure partie de ces terres — environ 80 % — sont des pâturages et des terres cultivées destinés à l’alimentation animale, ce qui fait de la consommation de viande l’un des principaux moteurs de la déforestation à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, nous déboisons un terrain de football de forêt tropicale toutes les six secondes, une perte dramatiquement aggravée par l’appétit croissant de l’humanité pour la viande.

« Lorsque vous mangez un hamburger, vous ne mangez pas seulement une vache » a déclaré M. Grunwald. « Vous mangez des aras, des jaguars et le reste de la distribution de Rio. Vous mangez l’Amazonie. Vous mangez la terre. »

Pourtant, ce bilan tend à être largement méconnu, quand il n’est pas carrément ignoré. Seulement 15 % des articles analysés par Sentient Media mentionnent les changements d’affectation des terres en rapport avec la crise climatique.

Timothy Searchinger, chercheur principal à Princeton, a passé des décennies à démontrer que nous ne pouvons pas résoudre le problème du climat sans repenser la manière dont nous utilisons les terres.

« Chaque arbre, une fois l’eau retirée, contient environ 50 % de carbone. Les forêts stockent donc de grandes quantités de carbone », a-t-il déclaré. « Si nous continuons à défricher les forêts, nous sommes en mesure d’aggraver considérablement le changement climatique. »

Cette conversion des forêts en terres agricoles a des conséquences inconcevables : elle est responsable, chaque année, d’autant d’émissions de carbone que l’ensemble des États-Unis. Parallèlement, la population mondiale devrait passer de 8 à 10 milliards d’habitants d’ici à 2050. Pour résoudre la crise climatique, il faudra donc produire plus de nourriture avec moins d’émissions sur la même superficie de terre ou, dans l’idéal, sur une superficie encore plus réduite.

« Il n’y a aucun moyen de résoudre les problèmes d’utilisation des terres dans le monde sans modérer les régimes alimentaires - la consommation de viande, en particulier de bœuf - dans les pays développés », a déclaré M. Searchinger.

Si la consommation de viande de ruminants dans les pays riches tels que les ÉtatsUnis tombait à environ 1,5 hamburger par personne et par semaine — soit environ la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui, mais toujours bien plus que la moyenne nationale pour la plupart des pays —, cela suffirait presque à éliminer la nécessité d’une déforestation supplémentaire due à l’expansion de l’agriculture, même dans un monde comptant 10 milliards d’habitants, selon une analyse du World Resources Institute.

Bien qu’elle reconnaisse que le chiffre de 3,8 % est faible, Jessica Fanzo, professeur de climatologie à l’université de Columbia, a déclaré qu’elle ne blâmait pas tant les médias que la difficulté de traduire le consensus scientifique en action réelle — un blocage structurel qui a rendu les progrès, et donc les récits, plus difficiles.

« Les gouvernements hésitent à s’attaquer au changement de régime alimentaire, aux émissions du bétail ou à la dépendance à l’égard des engrais parce qu’ils suscitent des sensibilités culturelles et risquent des réactions politiques négatives », a-t-elle déclaré par courrier électronique. Elle ajoute qu’il est difficile d’agir sur le vaste secteur agricole décentralisé. Bill McKibben, auteur et défenseur du climat, a abondé dans ce sens, soulignant dans des commentaires envoyés par courriel que 20 entreprises de combustibles fossiles sont responsables de la majeure partie des émissions mondiales, alors que l’alimentation dépend de l’action de millions d’agriculteurs.

Pendant ce temps, la politique agricole américaine est principalement axée sur l’augmentation de la production de céréales et d’aliments pour animaux par le biais de subventions — une approche qui privilégie les calories bon marché par rapport à la réduction des émissions de carbone. Et les solutions disponibles du côté de la demande, telles que les taxes sur la viande ou les lundis sans viande dans les écoles publiques, risquent desusciter une controverse.

Mais dans cet environnement divisé, les médias peuvent jouer un rôle crucial, a déclaré David McBey, spécialiste du comportement à l’université d’Aberdeen, qui se concentre sur les liens entre alimentation et climat.

« Les campagnes d’information ne modifient pas les comportements », a-t-il déclaré. « Mais elles constituent une base importante. Si l’on veut que les comportements changent, il est important que les gens sachent pourquoi ils doivent changer ».

Source : https://www.theguardian.com/environment/2025/sep/27/meat-gas-emissions-reporting

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