Édition du 16 avril 2024

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Le 300e rapport du BAPE : un autre œil au beurre noir

Il n’est pas rare que l’on entende les groupes environnementaux ou des associations citoyennes réclamer à cor et à cri la tenue d’un Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) sur un projet annoncé [1], comme si l’exercice en lui-même était garant de résultats probants.

Dans le cas de l’usine d’engrais de Bécancour, après que l’agence fédérale environnementale se soit retirée du dossier, quelques groupes ont réclamé auprès du ministre Yves-François Blanchet un BAPE espérant ainsi déplacer l’usine du « fast track » sur laquelle plusieurs, dont la ministre Élaine Zakaïb [2], l’avaient placée.

Les 3 et 4 septembre, aux cinq questions complaisantes posées par des intervenants de la sphère économique, plus de soixante autres furent posées par des citoyens inquiets par le projet. Quant aux mémoires, ils se sont révélés légèrement favorables à la venue de l’industrie, de quelques pages dirions-nous. Mais il faut lire les transcriptions et les mémoires pour constater le réel déséquilibre : les risques l’emportant sur les avantages. Déséquilibre que nous trouvons malheureusement inversé dans le rapport soumis récemment au ministre par le BAPE.

Sur l’immense question des gaz à effet de serre (GES), le BAPE retient l’estimation basse soumise par IFFCO [3], plaçant ainsi l’usine au 14 e rang des plus grands émetteurs de GES au Québec [4]. Mais si elles devaient être doublées (hausse de la capacité de l’usine, baisse de rendement, meilleure analyse du cycle de vie, tenue en compte correcte du paramètre « gaz de schiste », etc.), l’usine pourrait être la 3e plus émettrice, concurrençant alors la raffinerie Suncor à Montréal. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter : 80% des tonnes d’équivalents CO2 émises sont gratuites « et le restant, les 115 000 autres, à un prix conservateur de 13$ chacune, pourraient être transigées de gré à gré avec le ministre de l’Environnement », lit-on à la page 55 du rapport, comme si la pollution, ça se transigeait de gré à gré !

Reprenant le mantra des promoteurs, les auteurs du rapport écrivent ensuite (p. 60) que « les engrais azotés demeurent les plus utilisés en agriculture, l’urée en étant la principale forme, et l’expansion de leur usage a notamment conduit à la hausse généralisée des rendements à l’hectare des récoltes et de l’offre alimentaire mondiale », passant ainsi sous silence le plafonnement desdits rendements dans les pays industrialisés et la non-durabilité du modèle : pensons seulement à l’appauvrissement des sols et à l’eutrophisation des deltas.

Au terme de leur analyse (p. 107), les auteurs mentionnent « et si d’un point de vue écologique, juger le projet acceptable peut paraître paradoxal, (…) diverses actions (lesquelles ?) nous portent à croire que le projet se traduirait en un gain pour l’environnement ». Comprendra qui pourra mais comme il est dit d’entrée de jeu « Pour la commission, le gouvernement a joué un rôle déterminant dans la décision d’IFFCO Canada d’implanter son usine à Bécancour. » De nombreux indices, comme le récent congé fiscal de 10 ans pour les projets de plus de 300 millions [5], vont dans ce sens et, compte tenu des prises de position antérieures du ministre Blanchet, celui-là même qui affirmait qu’il n’y a « aucun lien entre le projet IFFCO et le gaz de schiste » [6], il serait étonnant que le projet quitte sa trajectoire « fast track »…

Bref, les « écolos » ont-ils raison de réclamer à tout bout de champ un BAPE ? À la lumière du récent exercice bécancourois, la réponse est définitivement non. Mais la principale variable dans le cas présent est sans doute ailleurs : suite à la fermeture de Gentilly-2 et les « 40 maisons à vendre » [7], une compensation, quelle qu’elle soit, devait être trouvée…

Marc Brullemans, biophysicien
Citoyen de Trois-Rivières


[1Il en fut encore ainsi récemment dans le dossier de la mégacimenterie de Port-Daniel et celui du pétrole de schiste à Anticosti.

[3Pour ce faire, il reprend sans ménagement l’étude de dernière minute rendue au promoteur par Ernst&Young, le 4 septembre 2013, http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/engrais_becancour/documents/DA13.pdf ) « pour les fins du bureau d’audiences publiques » ; mais tel qu’expliqué dans un mémoire http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/engrais_becancour/documents/DM22.pdf, IFFCO et consorts n’ont pas mené d’analyse de cycle de vie convaincante.

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