Tiré de Alternatives.
Les modifications législatives
Le projet de loi C-56, présentement à sa première lecture à la Chambre des communes, vient modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels.
Plusieurs modifications suggérées par le projet de loi porteront sur « l’isolement préventif ». La Loi actuelle ne définit pas l’expression, mais se contente d’en décrire l’objectif, soit celui « d’assurer la sécurité d’une personne ou du pénitencier en empêchant un détenu d’entretenir des rapports avec d’autres détenus ».
En milieu carcéral, l’isolement fait référence à une pratique par laquelle unE détenuE est placéE à l’écart, isoléE de 22 à 24 heures par jour dans une cellule individuelle sans contact humain ni quelconque distraction. Tantôt qualifié de préventif tantôt de disciplinaire, l’isolement est utilisé pour purger la peine, pour administrer la population carcérale, pour punir un comportement quelconque à l’intérieur des murs correctionnels. Dans tous les cas, et de manière colloquiale, c’est le « trou ».
Selon la législation actuelle, l’isolement préventif doit prendre fin « le plus tôt possible ». Le projet de loi suggère des précisions en fixant un délai : l’isolement préventif ne devrait pas durer plus de 21 jours, sauf sur ordonnance du directeur du pénitencier. Advenant une telle ordonnance, une audition doit être tenue – en présence du détenu-e- pour examiner si le maintient de l’isolement préventif est justifié.
Le plafond de 21 jours sera réduit à 15 jours dix-huit mois après l’entrée en vigueur du projet de loi C-56.
Une pratique à bannir
En 2011, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture Juan E. Méndez assimilait l’isolement à une forme de torture, recommandant de la proscrire pour les détenuEs vulnérables (mineurs, personnes enceintes, personnes avec une condition psychiatrique) et à la limiter à quinze jours pour les autres. De son propre aveu, ce plafond est arbitraire puisqu’il n’existait – à ce moment - en droit international aucun autre plafond et que les effets psychologiques néfastes à long-terme se font sentir dès la première semaine. L’idée des quinze jours a fait son chemin jusqu’aux assemblées générales des Nations Unies pour devenir une norme internationale minimale pour le traitement des détenuEs. Ce sont les Règles Nelson Mandela.
Depuis, c’est la valse des poursuites judiciaires. Chacune invoque à son tour une ou des violations de la Charte canadienne des droits et libertés.
En janvier 2017, la Cour Supérieure du Québec a autorisé une action collective contre le Procureur général du Canada au nom des personnes incarcérées en isolement solitaire pour plus de 72 heures et les personnes ayant une condition de santé mentale qui ont été placées en isolement solitaire peu importe sa durée. En Ontario, un autre recours collectif reproche au gouvernement du Canada d’avoir placé en isolement des personnes ayant des conditions de santé mentale au lieu de leur fournir des soins psychiatriques adéquats.
Plus à l’ouest, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique s’est alliée à la Société John Howard dans le cadre d’un recours constitutionnel. Il y est allégué que les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition violent les garanties constitutionnelles à la vie, la liberté et la sécurité de la personne, à la protection contre la détention et l’emprisonnement arbitraire et les droits à l’égalité. Le procès commencera en juillet 2017.
Arbitraire et systémique
L’enjeu autour de la question de l’isolement cellulaire des détenuEs n’est pas une affaire de délai, mais une question d’arbitraire.
L’isolement cellulaire n’est défini dans aucune loi. La décision initiale d’envoyer une personne au trou n’est balisée par aucune loi. Le nombre de fois qu’une personne se fait envoyer au trou par année n’est pas limité si les séjours sont de moins de 21 jours. Il n’y a pas d’interdiction de placer en isolement les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou qui sont à risque de suicide.
Pourtant, les effets néfastes permanents de l’isolement cellulaire sont largement documentés. Même Charles Dickens a écrit sur le sujet en 1842. Il ne semble y avoir que les agents correctionnels qui s’opposent, de nos jours, à la fin de l’isolement cellulaire.
Guy Langlais, un Métis originaire de Montréal s’est suicidé en avril 2017 après 118 jours en isolement. Ashley Smith est morte seule dans une cellule d’isolement en 2007 à l’âge de 19 ans. Adam Capay, 24 ans, de la Premières Nations de Lac Seul en Ontario a passé plus de quatre ans en isolement en attendant son procès. Yu Fan Chang, 48 ans, a été retrouvé mort dans sa cellule d’isolement en Colombie-Britannique.
Un rapport de 2015 du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur les tendances en isolement cellulaire durant les dix dernières années est sans équivoque : (1) Les personnes autochtones et noires séjournent en moyenne plus longtemps et plus souvent en isolement cellulaire et (2) l’isolement est trop souvent la seule option pour les détenuEs avec des problèmes importants de santé mentale.
Dans ce contexte, réduire la durée du séjour au trou sans l’encadrer davantage parait de l’ordre de la demi-mesure. Si Ottawa estime que l’isolement cellulaire est une mesure carcérale si grave qu’elle doit être limitée dans le temps, pourquoi se contenter de moduler la durée du séjour ?
Le gouvernement fédéral a la responsabilité de gérer ce qui se passe dans ses pénitenciers par une législation claire sur le recours à l’isolement cellulaire - au lieu de lignes directrices dont l’application est laissée aux soins des agents correctionnels. À défaut de bannir entièrement la pratique. Ottawa doit, immédiatement et au minimum, définir l’isolement, interdire complètement le recours à la pratique pour les personnes vulnérables et prévoir que des tiers puissent se pencher rapidement sur chaque cas d’isolation cellulaire.
Les prisonnières et prisonniers ont aussi des droits constitutionnels.
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