Édition du 16 avril 2024

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International

Le lourd impôt payé par le peuple congolais pour ses immenses richesses naturelles

À entendre les médias en ce moment, une guerre viendrait tout juste de se déclarer dans l’est de la République démocratique du Congo. Or, il en est tout autrement ; cette guerre, sous toutes sortes de formes et impliquant de multiples alliances, dure depuis la fin du règne dictatorial du maréchal Mobutu.

Richesses en cause

Ancienne colonie belge, la République démocratique du Congo, est devenue indépendante en 1960. En 1961, les services secrets belges faisaient assassiner son// premier président, Patrice Lumumba, au cour d’une guerre civile qui dura de 1960 à 1963. [1] Ce premier acte extérieur dans le jeune pays indépendant n’est que le tout début d’une longue série d’intrusions dans sa vie politique et économique par beaucoup d’intéressés dont ses plus proches voisins.

Car, le Congo est le pays d’Afrique le plus riche en matière premières minières et possède des minerais qu’il est le seul à détenir dans le monde. Une grande quantité de ces richesses se trouvent dans l’est du pays, soit la province du Kivu, de l’Ituri à sa frontière nord et jusqu’au Katanga à sa frontière sud. L’Ituri se situe en plein milieu d’une des zones aurifères les plus importantes de la planète. Et on trouve au Kivu du coltan,(colombo-tantalite) un alliage rarissime et indispensable à la fabrication des téléphones cellulaires, ordinateurs portables et autres équipements numériques. [2] C’est dire son importance en ce moment. L’ensemble du pays regorge d’or, de diamants, de cuivre et autres ressources précieuses. Ceci explique cela.

Le pouvoir colonial avait instauré un système d’exploitation (dans tous les sens du mot) à son propre profit. [3] L’auteur ajoute que la Belgique n’a pas colonisé le Congo mais qu’elle en a profité au maximum. Le pillage a commencé, selon lui, en 1865.

Après la mort de Patrice Lumumba, le maréchal Mobutu finit par prendre le pouvoir, le faisant fonctionner, lui aussi, à son profit. Au cours de ces années coloniales et immédiatement post-coloniales, l’exploitation minière a été confiée à des compagnies à prépondérance belge et européennes. Tous les profits étaient exportés en Europe mais le pouvoir imposait aux compagnies, selon un modèle paternaliste, de fournir à ses employés un minimum d’aide médicale, de logement et à leurs enfants, un minimum d’éducation. Mobutu a maintenu ce régime tout en transférant les profits dans ses comptes de banque en Suisse et ailleurs bien en sécurité.

Politiques de pauvreté

Jamais, le développement d’un pouvoir politique central et fort, n’a fait parti des plans et actions de ces gouvernements. Le colonisateur belge n’a formé aucune classe dirigeante contrairement à d’autres.
Et l’épisode Mobutu, soutenu par les Étas-Unis [4] n’a pas renversé la situation. Dès les années 90, il a été soucieux de se conformer aux prescriptions de la Banque mondiale et son premier ministre a commencé à privatiser, plus particulièrement les entreprises minières pour renflouer la dette de l’État. En 1995, commence le démantèlement de la puissante Gécamines. Les compagnies étrangères se la partagent dont les canadiennes Lundin, Banro, Mindev et Barrick Gold à capitaux canado-belges. [5]

Ce démantèlement d’une compagnie d’État amène des changements à plusieurs niveaux. Premièrement, ces nouveaux propriétaires n’ont aucune obligation vis-à-vis leurs employés. Ils licencient en masse, et aucune des protections antérieures ne sont maintenues. Il y a eu des révoltes notamment contre la Banro et à la mine de Kilo-Moto en Iturie. Or, Laurent Désirée Kabila qui a accédé au pouvoir en 1997 grâce à l’appui conséquent de ses voisins veut revenir sur ces juteux contrats pour les compagnies et leur imposer à nouveau des obligations sécuritaires et sociales.

De 1997 à 2003, le pays sera en guerre constante, civile, régionale, qui a impliqué au moins 6 gouvernements africains dont le Rwanda et l’Ouganda. [6] Toujours en rapport avec l’appropriation des produits miniers du pays. Cette guerre a été appelée par la population, « première guerre mondiale africaine ».

En 1998, Paul Kagamé président du Rwanda et Yoweri Museveni président de l’Ouganda, voyant que leur ancien allié tentait de se soustraire à leur emprise, et considérant que l’est du Congo représente une zone naturelle d’extension de leurs pays vont, avec des stratégies et moyens différents, chercher à renverser Laurent-Désiré Kabila, avec l’approbation des occidentaux. Encore là, des factions rebelles congolaises servent d’instruments à ces ambitions. [7] Très souvent, il s’agit de déserteurs de l’armée congolaise et les chefs des rebelles sont souvent des hauts gradés issus de cette armée. C’était précisément le cas de L.D. Kabila.

Cette fois, ce sont les banyamulinges, Congolais de souche rwandaise, qui lancent un mouvement de rébellion au Kivu. [8] Toutefois, tous se frappent à une résistance plus importante que prévue de la part de la population et du gouvernement central.

Dans les faits, le pays finit par être partagé en quatre territoires autonomes qui sont administrés par le gouvernement central et trois factions rebelles. Tout ce monde doit se financer et le font en s’appropriant, par tous les moyens, le trafic des matières premières. [9] Ils rançonnent aussi les populations locales, si peu aient-elles. Ils font régner une terreur indescriptible où les viols et assauts sexuels de toutes espèces sont élevés en arme de guerre.

Tout au long de cette période, le gouvernement Rwandais s’est aussi servi de la présence de Tutsi dans l’est congolais et de ce que les milices interhamwés et des Hutus génocidaires s’y soient réfugiés après le génocide de 1994, pour y intervenir militairement au nom du maintient de sa propre sécurité. Toutefois, bien des observateurs ont noté que, lors d’expéditions, alors qu’il leur était possible de s’en prendre aux Hutus, les troupes Rwandaises ou les factions à leur solde, ont poussé plus loin sur le territoire leur action destructrice sans les inquiéter plus que d’autres. Le génocide devient une arme politique pour d’autres fins, soit établir un protectorat rwandais sur l’est congolais. [10] On peut même se demander s’il n’y a pas d’intention d’annexion pure et simple.

En 1999 un cessez-le-feu est intervenu mais les combats et les massacres se sont poursuivis sur le terrain. En 2000, l’ONU autorise le déploiement d’une force pour garantir le cessez-le-feu.

Le 16 janvier 2001 Laurent-Désiré Kabila est assassiné et son fils Joseph le remplace. Un an plus tard commence une opération dite de « dialogue national » qui implique le gouvernement, les factions rebelles, la société civile et la classe politique. Il en ressortira, en 2003, un accord qui amènera le retrait des troupes rwandaises et ougandaises du territoire congolais, et un partage du pouvoir entre le président, et quatre vice-présidents issus du gouvernement, des partis d’opposition, de la société civile et de l’opposition armée. [11]

Or, cette entente se fait sur fond d’immense faiblesse des structures gouvernementales et politiques. Certes, il s’est constitué, au fil des ans une élite politique et économique mais elle s’est, soit accrochée à Mobutu pour obtenir une part du butin, soit elle s’est trouvée dans l’opposition et a été constamment pourchassée. Ainsi, malgré ces tentatives de dialogue national, et au-delà des ententes, « …l’absence d’une culture étatique, démocratique, gouvernementale, juridique et managériale des politiques publiques …. » [12] , se fait sentir douloureusement et laisse un espace politique et de terrain à tous ceux qui aspirent à prendre pied dans ce pays riche. Ainsi, sur le strict plan de l’occupation du territoire, jamais le pouvoir central n’a réussi à occuper vraiment l’est du pays comme d’autres régions d’ailleurs. Le Congo est un immense pays, grand comme presque la moitié du Canada.

Même avec des effectifs renforcés, les casques bleus des Nations Unies n’ont pas non plus réussi à faire cesser les exactions encore moins à installer la paix.

Le partage du pouvoir, issu des ententes dites de Sun City en 2003, a fait la part (bien) plus belle aux seigneurs de la guerre qu’à la société civile. Se sont installés au gouvernement d’ex-rebelles accusés par ailleurs, par les Nations Unies de pillage de banques et massacres à grande échelle dans l’est du pays. À l’un on confie l’économie et les finances et à l’autre la sécurité et la défense…. [13]

Un mois après la signature de ces accords et l’adoption d’une constitution de transition, les massacres continuaient toujours en Ituri . [14]

Tout au long des ces douloureuses années, la population a dû subir les pires exactions de la part de toutes les troupes impliquées dans les combats Elles survivent en pillant et tuent sans discernement. Constamment, les habitants doivent prendre les routes pour rejoindre des camps d’accueil.

Le site d’Alternatives [15] nous informait que le rapporteur officiel de l’ONU pour la RDC estimait à 32,000 le nombre d’assauts sexuels entre 2005 et 2008 et pour le seul Kivu. Ce ne serait que la pointe de l’iceberg. Même les forces onusiennes ont participé à ces actions . [16]

La démocratie à la rescousse

Les accords de Sun City prévoyaient aussi des élections générales et libres. Elles ont eu lieu en 2006 grâce à la communauté internationale qui les a organisées et payées. Le parlement a donc été renouvelé et Joseph Kabila tient maintenant son pouvoir du vote populaire. Ce fut un moment exceptionnel pour cette nation. C’était les premières élections depuis 1960. Et on s’entend à dire qu’elles furent justes et libres. Ce qui tient presque du miracle dans les circonstances.

Mais, l’histoire va se répéter. En 2007, Kinshasa a conclut avec la Chine cette fois, pour 9 milliards de contrats, notamment de travaux d’infrastructures, contre 10 millions de tonnes de cuivre et en 2008 le ministère des mines dénonce les contrats antérieurs intervenus entre le gouvernement temporaire et les compagnies minières. Il en annonce une révision. [17]

Sur le terrain, avec l’argument ethnique, les factions rebelles sont toujours actives. Les escarmouches sont nombreuses. En janvier 2008, les forces de Laurent Nkunda continuent à défier l’armée congolaise. Pourtant une conférence à Goma prend en compte ses revendications au nom des Tutsis congolais. Et encore une fois, on y a scellé une promesse de désengagement de tous les groupes armés. Promesse sans lendemain. La mauvaise foi de tous les côtés a caractérisé cette conférence.

Encore et toujours la guerre

L’offensive actuelle a commencé en août dernier. L. Nkunda et ses troupes, ont réussi à occuper un immense territoire et à se rendre aux portes de Goma où il a décrété, dans un premier temps, un cessez-le-feu unilatéral. Il exige des négociations d’égal à égal avec le gouvernement central et menace autrement, de le déloger. Ses troupes sont bien mieux préparées que les troupes congolaises. Elles sont mieux armées, organisées, et payées. Ce qui n’empêche pas les exactions de toutes sortes. Entre autre, forcer les réfugiés à lever le camp, afin qu’ils ne constituent pas de grandes concentrations favorisant l’arrivée de l’aide humanitaire internationale.

L’armée congolaise n’a jamais été à la hauteur des besoins. Mal organisée, mais équipée, et avec des soldats très mal payés en comparaison des rebelles, elle est incapable de ternir le terrain, encore moins de repousser une véritable armée. Dans la soirée du 29 octobre, des soldats en déroute ont pillé, violé et tiré avant de déguerpir. [18] Un reportage de Independant Tv [19] , faisait état de soldats qui abandonnaient leurs postes.

L’ONU de son côté ne réussit pas à jouer le rôle qu’on attend d’elle. Les casques bleus se sont montrés incapables de bloquer l’avance des rebelles aussi bien que de protéger les populations civiles, ce qui est pourtant leur mandat [20]. Colette Breackman [21] souligne que les forces onusiennes sont actuellement prises à partie par les rebelles qui les prennent pour cible ayant déjà détruit deux blindés et visant les hélicoptères de combat, et par les civils qui se voient laissés pour compte. Personne ne veut renforcer cette mission. Soit par impuissance, par indifférence ou par …intérêt. [22] Une certaine rivalité à l’intérieur même des intérêts capitalistes européens et américains engagés dans les activités minières n’y serait pas pour rien non lus. Pourtant, rappelons-nous qu’au cours des années 1990-2000, la communauté internationale, via les Nations Unies, a réussit, au Libéria et au Sierra Leone, a faire cesser le trafic illégal de diamants qui servait à financer une guerre aussi terrible que celle-ci.

Soulignons que le 27 octobre, le commandant de cette mission, le général espagnol Vincente Diaz de Villegas a annoncé sa démission 2 mois après sa nomination. [23] Ce geste faisait suite à des bombardements contre les troupes rebelles.

Sur le terrain, on rapporte maintenant la présence de soldats angolais. L’Angola a la meilleure armée africaine hors de l’Afrique du Sud. Le pouvoir central congolais a à nouveau fait appel à son appui, comme dans le passé.

Conclusion

Ce qui nous est rapporté quotidiennement par les médias ne semble pas rendre compte de toute la réalité. Pendant que nous nous échinons à tenter de comprendre l’écheveau inextricable des alliances et trahisons, que nous nous désespérons de voir des innocents massacrés sans coups férir, le vrai jeu se passe ailleurs. Dans des lieux à l’abri des oreilles et des regards indiscrets, pour leur plus grand profit.

Le journal Le Potentiel en appelait, le 15 octobre dernier à la Cour pénale internationale pour ‘initier des actions judiciaires contre des criminels économiques et de guerre, quel que soient leur pays et leur nationalité’.

De son côté, Colette Breackman, dans son carnet au journal Le Soir, liste ceux qui, selon elle profitent de la guerre, et ont intérêt à ce qu’elle dure. Cela va des officiers de l’armée congolaise qui détournent les soldes des soldats et se font construire des maisons, à des commerçants qui soutiennent les rebelles Tutsis sachant qu’ils pourront ainsi, continue à exporter tranquillement leur coltan pendant quelque temps encore, aux Hutus qui depuis le génocide de 1994 vivent dans les forêts de cette région (et tous ceux qui les ont rejoints), qui savent que malgré toutes les promesses, pourront continuer leur activité d’extraction et de commercialisation de minerais, sans être trop inquiétés. Les ONG y auraient aussi quelqu’intérêt.

Il n’est pas faux de dire que la population n’a plus grand recours à court terme en tous cas. Les nouvelles conférences et discussions amorcées en ce moment, ne devraient pas faire mieux que les autres si personne n’ose aller débusquer les problèmes à leur source : les trafics sous tendus par les rapports ethniques hérités eux aussi de la colonisation.


Carte : La République démocratique du Congo.
(Carte : RFI)

Source : http://www.rfi.fr/actufr/images/092/congo_432.jpg


[1Bischoff Allain, Les enjeux internationaux, Radio France, France culture oct. 2008

[2Braeckman Colette, Le Congo transformé en libre-service mner, Le Monde diplomatique, juillet 2006

[3Bischoff Alain, o.p.

[4Bischoff Alain, o.p.

[5Braekman Colette, op.cit. Le Monde diplomatique, juillet 2006, Deneault Alain, avec Delphine Abadie et William Sacher, Noir Canada, pillage, corruption et criminalité en Afrique, éditions Écosociété, Montréal 2007.

[6Braeckman Colette, Le Monde diplomatique, octobre 1999

[7Breackman, op.cit.

[8Le Monde diplomatique, juillet 2003, p.22 enncadré

[9Braeckman Colette, op.cit., juillet 2006

[10Bischoff Alain, op.cit.

[11Le Monde diplomatique, juillet 2003, op.cit.

[12Mwayila Tshiyembé, Transition à hauts risques au Congo-Zaïre, Le monde diplomatique, juillet 2003.

[13Breackman Colette, op.cit., juillet 2006

[14Le Monde diplomatique, juillet 2003, op.cit.

[15Mars 2008

[16Lendman Stephan, Countercurrents.org, 16 février 2007

[17Breackman C., Le soir, 29 oct., 2008

[18Gettlemean Jeffrey, New York Times, 2 nov, 2008

[19Ler soir ; op.cit.

[20Gettelman J., op.cit.

[21Le soir, op.cit.

[22Bischoff, A. op.cit.

[23Le Potentiel, Kinshasa, 28 oct., 2008

Mots-clés : Congo International
Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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