Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Leçon de choses devant un parterre d’hommes d’affaires du Québec

Le nouveau fonds de commerce du Parti québécois

Appel au SPQ libre

C’est là l’intéressant des déclarations de Pauline Marois, faites le 22 avril dernier sur la question du déficit zéro : elles ont de quoi nous donner l’heure juste et surtout de nous rappeler —noir sur blanc— ce qu’il en est aujourd’hui du projet politique du Parti québécois. Une sorte d’électrochoc salutaire pour tous ceux et celles qui espéreraient encore des bonnes nouvelles du PQ ou qui s’accrocheraient à l’idée, qu’une fois majoritaire ce parti pourrait faire mieux, beaucoup mieux.

Car ce qui est en jeu, dans ces récentes déclarations de la Première ministre prononcées devant un parterre de gens d’affaires, ce n’est pas tant sa difficulté à se jouer des rapports de force existant, ni non plus son habileté à utiliser le peu de marge de manoeuvre dont elle dispose, elle qui se trouve à la tête d’un gouvernement minoritaire. Non ce qui est en jeu, c’est la façon avec laquelle elle tend à gérer les difficultés actuelles de son gouvernement. Et là, on a affaire à une vraie leçon de choses !

Cri de déception

Qu’en est-il en effet de ces fameuses déclarations ? À y regarder de près, il s’agit d’un cri du cœur, mieux d’un cri de déception à l’encontre du monde des affaires ? Mais pas pour vilipender par exemple la défense égoïste de quelques intérêts privés bien comptés. Non au contraire pour se plaindre du manque de reconnaissance du patronat vis-à-vis des efforts gouvernementaux visant au déficit zéro, une de ses demandes pourtant explicites : « Là où je suis un peu déçue, c’est d’entendre si peu de voix nous appuyer « (...) « Pendant la dernière campagne, on a entendu des gens répéter tous les jours que le Parti québécois était l’otage des groupes de pression et que je n’aurais pas le courage de contrôler les dépenses. Or, c’est exactement ce que je fais ».

En fait c’est plus qu’un cri du cœur, c’est un aveu concernant l’orientation même du Parti québécois ainsi que les impasses qui lui sont devenue inhérentes.

On s’en rappellera, le Parti québécois s’est caractérisé à ses débuts par ce fameux « préjugé favorable aux travailleurs », et pendant longtemps il a donné l’image d’un parti doté d’une véritable base populaire, lui permettant jusqu’à aujourd’hui d’apparaître comme préoccupé par des aspirations souverainistes et sociales et du même coup de garder en période électorale, l’appui de grandes centrales syndicales.

La peur de déplaire à son maître

Mais ces choix originaires, ces beaux idéaux ont été accompagnés par une sorte de peur rampante, une peur qui a fini ces derniers temps par prendre toute la place et faire office d’ultime politique : la peur de froisser les lobbies économiques, financiers, médiatiques faisant la pluie et le beau temps au Québec ; et plus encore la peur de ne plus être reconnu par eux comme un partenaire valable.

Voilà pourquoi le Parti québécois a été littéralement gangréné par une formidable peur, celle « de déplaire à son maître » ! D’où en contre partie, ce zèle servile qui dorénavant caractérise ses interventions : cette manière de ramper pour en faire plus qu’il ne faudrait, pour tenter de se gagner quand même les faveurs des puissants, pour en somme « être smart » et montrer qu’en dépit de son passé ou de ses idéaux, on reste un bon et loyal serviteur. En dépit de tout !

Voilà pourquoi Pauline Marois s’accroche si bêtement au déficit zéro en 3 ans, déficit planifié pourtant par le très néolibéral ministre Bachand et qu’il aurait été si facile d’étaler sur quelques années de plus. Voilà pourquoi aussi Agnès Maltais a décidé de couper coûte que coûte les plus démunis des démunis, sans même songer à faire discrètement marche arrière. Voilà pourquoi enfin on a invité solennellement Pierre Karl Péladeau à devenir le président du conseil d’administration d’Hydro-Québec, à l’encontre de toutes les prudences exigées en matière de conflits d’intérêts. Et l’on pourrait multiplier les exemples !

Social-libéralisme

Telle est l’orientation de fond aujourd’hui du Parti québécois, ce qu’on pourrait appeler son nouveau fonds de commerce. À l’instar d’ailleurs de tous ces partis, autrefois plus ou moins sociaux-démocrates, transformés à partir des années 80 en formations sociales-libérales, c’est-à-dire en formations ayant choisi d’appliquer les recettes néolibérales en leur accolant quand c’est possible, un vague volet social. Partout la recette est la même, et les désenchantements pour une grande partie de la population, toujours brutaux.

C’est que nous ne sommes plus dans les années 1960/1970, années fastes pendant lesquelles il paraissait possible de pouvoir temporairement concilier croissance capitaliste et amélioration des conditions de vie de tous et toutes. Aujourd’hui le temps est à la stagnation économique, quand ce n’est pas à la crise. Les recettes des puissants sont du côté de l’austérité. Et qui veut coûte que coûte leur plaire doit nécessairement en passer par là !
Qu’on se le dise : en ces temps de néolibéralisme exacerbé, on ne peut servir deux maîtres à la fois ; et c’est moins que jamais au sein du PQ de l’ère néolibérale que tous ceux et celles qui aspirent à plus d’indépendance et de justice sociale, trouveront réponse à leur soif de changement et d’émancipation.

N’est-il pas temps enfin pour eux de donner corps à d’autres alternatives politiques ?

Et pour commencer, qu’attend le SPQ libre pour enfin… oser faire le pas ? Assez de schizophrénie, non ?

Pierre Mouterde


Sociologue essayiste

Auteur de : Hugo Chavez et la révolution bolivienne, Promesses et défis d’un processus de changement social, Montréal, M éditeur, 2012 (avec Patrick Guillaudat)

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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