Édition du 23 avril 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Le président haïtien Michel Martelly a quitté ses fonctions dimanche, laissant un pays profondément divisé aux mains d'un gouvernement de transition

Dans les rues de Jacmel, la quatrième ville d’Haïti, dont même les lézardes sont belles, deux petits garçons en tenue d’infirmier transportent sur un brancard un cadavre de papier mâché. Autour de lui s’agitent de gros démons masqués. Le long de la rue principale, des jeunes filles balaient la rue. Et sur la carriole-poubelle du leader masqué, l’injonction à nettoyer le pays est applaudie par des spectateurs écrasés de chaleur. En Haïti, le carnaval n’est pas l’envers du quotidien mais sa confirmation burlesque.

Tiré de la revue de presse de France culture du 9 février 2016.

Dimanche dernier, les cortèges en rappelaient d’autres : les foules qui depuis plusieurs semaines conquièrent presque chaque jour les rues de la capitale, les manifestants qui courent, les groupes et les anti-groupes, les rimes riches des slogans, les pneus qu’on brûle et ceux qu’on éteint. Comme si la politique ne prenait plus ici que la forme de la théâtralité, celle de la procession et de la mascarade.

En marge du carnaval, la débâcle des élections sur l’île révèle aujourd’hui une incapacité de la classe politique locale et de la communauté internationale à répondre aux espoirs d’un peuple entier. D’où le titre de cet article à lire dans les colonnes du quotidien de Lausanne LE TEMPS : Haïti, la République des masques. Dimanche, le président haïtien Michel Martelly a quitté ses fonctions, sans remettre le pouvoir à un successeur, plongeant ainsi le pays dans une crise profonde.

Comment en est-on arrivé là ?

Le processus électoral a été stoppé suite aux contestations de l’opposition qui dénonçait "un coup d’État électoral", fomenté par le pouvoir exécutif. Au premier tour du scrutin présidentiel, le 25 octobre dernier, le candidat du pouvoir, Jovenel Moïse, avait recueilli 32,76% des voix. Face à lui, Jude Célestin, crédité de 25,29% des suffrages avait aussitôt qualifié ces scores de farce ridicule. Et c’est ainsi que le second tour de la présidentielle et des législatives partielles, initialement prévu le 27 décembre, avait été reporté dans un premier temps au 24 janvier, puis à nouveau reporté sine die, cette fois-ci, empêchant ainsi le président sortant Michel Martelly de passer le pouvoir dimanche dernier à un successeur, comme le veut la constitution.

Un accord de dernière minute a finalement été trouvé

Le parlement doit désormais désigner un président par intérim dont le mandat ne pourra dépasser cent vingt jours. Avec un premier ministre de consensus également choisi par le parlement, il aura pour mission d’organiser le second tour de l’élection présidentielle le 24 avril, afin que le nouveau chef de l’État élu puisse prêter serment le 14 mai. Sauf que cette procédure n’est pas dépourvue d’embûches. Plus exactement, précise le portail d’information HAITI EN MARCHE, cet accord a de positif qu’il permet de franchir le délai constitutionnel mettant fin au mandat du président sortant, sans tomber dans le vide total. En clair, le vide gouvernemental est évité et Haïti peut continuer de fonctionner. Mais pour le reste, non seulement cet accord n’apporte aucune réelle solution mais il semble créer davantage encore de complications. Un monument même de complications, écrit l’éditorialiste, à l’image de la crise politique haïtienne qui continue à être un dialogue de sourds. Et pourquoi ? Parce que les signataires de cet accord se sont sentis, envers et contre tout, obligés de prendre en considération tous les acteurs de la crise, y compris ceux qui disent ne pas en être les acteurs mais plutôt les victimes.

D’où cet éditorial, à lire dans les colonnes du WASHINGTON POST, suggérant désormais qu’il faudra une force supérieure pour aider, sinon contraindre, les Haïtiens à faire un choix. Une force supérieure, c’est-à-dire une inévitable intervention étrangère. Seulement voilà, si certains parlent de vertige du vide, c’est pourtant le trop plein qui s’impose ici, rétorque à nouveau l’envoyé spécial du TEMPS : trop d’acteurs étrangers (États-Unis en tête), trop d’intérêts particuliers et trop d’argent distribué.

L’Histoire se répète

Ironie de l’histoire, dimanche dernier, après le départ du chef de l’État sortant Michel Martelly, Haïti s’est une nouvelle fois réveillée sans président et ce 30 ans, jour pour jour, après la fuite du dictateur Jean-Claude Duvalier. C’était le 7 février 1986, peut on lire sur le site du NOUVELLISTE de Port-au-Prince. Ceux qui attendaient, militaient, se battaient depuis 29 ans pour vivre la fin de la longue nuit de la dictature se réveillaient enfin avec au-dessus de leur tête un nouveau soleil, une nouvelle espérance. Or 30 ans plus tard, les combats se suivent et se ressemblent avant de sombrer, avec combattants et espérance, dans la nuit de l’incertitude et des inquiétudes. Autrement dit, un mandat s’achève dans le chaos et aucun mandat clair ne commence, exactement comme il y a 30 ans.

Aujourd’hui, les idées, la pensée, la réflexion, l’ingénierie sociale économique politique de notre avenir ne reviennent à personne, se désole encore l’éditorialiste de Port-au-Prince. Il n’y a ni responsabilité, ni responsable, dit-il, pour chercher à mieux faire. Ceux qui n’ont pas organisé d’élections en 5 ans, ceux qui ont empêché le processus d’avancer, ceux qui ont foiré les élections de 2015 et ceux qui sont incapables de gagner une élection en Haïti quel que soit le jour ou l’année où elle se tiendra, tous se donnent désormais la main pour continuer à nous faire tourner en rond.

Et l’envoyé spécial du TEMPS d’en conclure : l’étrange calendrier où se chevauchaient des élections et un carnaval n’a fait que mettre au jour une comédie que tout un peuple subit depuis des décennies. Les masques aujourd’hui sont tombés. Les Haïtiens n’attendent plus ni un messie, ni un roi de carnaval. Mais ils aimeraient ne plus se contenter du placebo des défilés. Ni des promesses de papier mâché.

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