Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Les élections américaines de mi-mandat d'hier à aujourd'hui

Jack Rasmusi, counterpunch.org, 29 octobre 2014

Traduction, Alexandra Cyr

Jack Rasmus est l’auteur de Obama’s Economy : Recovery for the Few, Pluto Press 2012, et de Epic Recession : Prelude to Global Depression, Pluto 2010. Il intervient chaque semaine dans l’émission Alternatives Visions et sur le réseau Progressive Radio Network. On peut lire son blog sur jackrasmus.com

Si les Républicains-es, qui contrôlent déjà la Chambre des représentants-es et dont l’aile ultra-conservative, le Teaparty domine, devaient prendre en plus le contrôle du Sénat cette année, le Congrès deviendrait très vite le plus intensément pro-entreprises, pro-aventures militaires et même le plus anti-classe ouvrière que ce pays ait pu connaitre à ce jour.

Nous ne somme plus qu’à quelques jours du 4 novembre jour de l’élection. Il semble bien que les Républicains-es gagneront les 6 sièges absolument nécessaires pour contrôler le Sénat. En septembre dernier, alors que la plupart des médias dominants tenaient les deux partis, Démocrate et Républicain à chances égales dans cette élection, un contributeur à teleSUR English, Jimmy Clinton, prédisait : « Obama et les Democrates sont vraiment face à la possibilité de perdre la majorité absolue au Sénat en novembre ». C’est devenu quasi certain.

Et pourquoi donc ?

Les Républicains-es n’ont qu’à augmenter leur présence de 6 sièges au Sénat pour en obtenir la majorité absolue. À moins d’une semaine des élections, leur avance est confortable dans au moins six États et non négligeable dans 2 autres. Les Démocrates pourraient, de leur côté en perdre dix. Ils détiennent une légère avance dans deux États traditionnellement républicains, la Caroline du Nord et la Louisiane. Ils sont de plus en plus désespérés et s’accrochent à l’espoir de faire une percée dans les vieux bastions républicains que sont le Kansas et la Georgie par exemple. Même le New-York Times fait de grosses manchettes avec la « panique démocrate en développement ». Certains hauts dirigeants du parti, comme Jim Manley, ex porte-parole du leader démocrate au Sénat, M. Harry Read, est cité publiquement pour avoir dit : « Il y a des risques que nous perdions le contrôle du Sénat ».

(…) On estime, à cette étape de l’élection, que 4 milliards de dollars y auront été engloutis et que chacun-e des candidats-es Démocrates et Républicains-es auront ramassé 2 milliards. Avec ce 4 milliards, la population peut s’attendre à ce qu’au lendemain des résultats, une nouvelle politique agressive s’installe immédiatement. Elle sera mise de l’avant par une aile de droite pleine de confiance, encore plus conservatrice, toute dévouée aux entreprises et qui pourra agir grâce au contrôle des deux Chambres qu’elle aura gagné.

Au sommet des priorités, figurera dès le début, de nouvelles baisses de taxes et impôts pour les multinationales, un traitement plus dur des travailleurs-euses immigrés-es dans notre pays, un traitement favorable à l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste aux dépends de l’environnement, plus de forages en mer, plus d’oléoducs, un rabaissement des normes d’émissions de CO2 pour les industries, une reprise des attaques contre Medicaid, le système de soins pour les pauvres, et Medicaire celui des retraités-es, des propositions pour augmenter le financement des guerres au Proche-Orient, des demandes pour que les États-Unis soutiennent militairement et organisent des coups d’État en Ukraine, et peut-être même de nouvelles attaques contre les système de pension américain.

Dans les deux partis, les stratèges sont d’accord que ces élections portent sur les emplois et l’économie. Si la Bourse américaine se tient à des niveaux records depuis 5 ans, les ménages, qui représentent 90% de la population continuent de languir. De leur côté, les plus riches et les entreprises ont engrangé encore plus de capital et de gains aux cours de ces cinq ans.

Cela n’empêche pas l’administration Obama et les médias dominants de se « péter les bretelles » à propos des six millions d’emplois créés depuis 2009. Mais cette presse cache inopinément la situation exacte qui entoure ces emplois. Par exemple, dans une entrevue de Bloomberg News la semaine dernière, on disait que 76% de ces emplois sont des emplois de piètre qualité, composées à 60% d’emplois à temps partiel et 16% d’emplois temporaires. Et en plus, mal payées : de 50 à 65% moins que les emplois à temps plein. Ils ne comportent pas non plus de bénéfices marginaux, aucune sécurité d’emploi et des conditions largement sous les standards habituels.

En plus, si ces 6 millions d’emplois ont été créés et que la presse dominante en a fait état, elle n’a que peut parlé des 8 millions de travailleurs-euses qui ont quitté le monde du travail convaincus-es qu’il leur était impossible de trouver un emploi qui puisse répondre à leurs besoins. Si ces 8 millions étaient pris en compte dans le calcul du chômage, le véritable taux serait de 12% contrairement au chiffre officiel qui n’en déclare que la moitié.

Ces 8 millions de personnes qui ne travaillent plus (officiellement), sont potentiellement des électeurs-trices frustrés-es. Ajoutez- leur les 4,5 millions de ceux et celles qui n’arrivent même pas à trouver un emploi à temps partiel, plus les millions dont les maisons ont été saisies depuis 2009, plus les millions de syndiqués-es qui de plus en plus se rendent compte qu’ils et elles n’auront aucun bénéfice du système d’assurance santé du Président Obama et en plus qui devront dépenser le double des coûts antérieurs à cet égard, plus les millions d’étudiants-es dont les dettes se chiffrent à plus de un milliard de million de dollars, plus les millions qui en ont par-dessus la tête des politiques militaristes de cette administration, et ajoutez à tous ceux-là ce qui se joue dans les circonscriptions qui ont été déterminantes pour la victoire de M. Obama en 2012 grâce au vote des travailleurs-euses « hispaniques » et à qui il a tourné le dos encore une fois, ….., la victoire est loin d’être acquise.

Le vote stratégique des Latinos

Depuis 2009, l’administration Obama a déporté plus de travailleurs-euses Latinos américains-es sans papiers et conséquemment brisé plus de famille que tous les anciens présidents réunis : plus de deux millions. En 2013 seulement on en compte 438,000 soit 50,000 de plus qu’en 2012 ce qui était déjà 30,000 de plus qu’en 2011. Ces millions de familles affectées n’oublieront pas leur douleur au moment de voter le 4 novembre. Alors qu’il avait promis de mettre fin à ces déportations et d’utiliser ses pouvoirs exécutifs pour agir sur les lois sur l’immigration, M. Obama a reculé en juin dernier et a stoppé toute réforme en cette matière. Pas surprenant qu’en septembre dernier, un sondage de NBC/Telemundo montrait que seulement 13% des électeurs-trices Latinos avaient une opinion « très positive » du Parti démocrate.

En 2012, dans les États clés qui ont permis à M. Obama de conserver le pouvoir, le vote « hispanique » a été déterminant. Aujourd’hui ce sont ces mêmes États qui feront la différence dans la course pour la majorité absolue au Sénat ; ce sont le Colorado, la Caroline du nord, la Georgie, la Floride et quelques autres. Et, actuellement les candidats-es démocrates tirent sérieusement de l’arrière. Si jamais, les électeurs-trices latinos décident de ne pas aller voter, ce qui semble se dessiner, les Démocrates perdront ces États et du même coup le contrôle du sénat.

Un indicateur de cette situation : la semaine dernière, (celle du 21 oct. Ndt) le Wall Street Journal, avait cette manchette : « La frustration de l’électorat ‘hispanique’ menace la plus part des candidats-es démocrates ». Cet article faisait état d’un rapport des organisateurs du National Council of La Raza qui soulignait que : « plusieurs ne semblaient même pas porter attention à cette élection. M. Maria Molina déclarait : qu’on les avait si souvent laisser tomber qu’elle ne savait plus qui appuyer en fin ce compte ; qu’elle ne savait pas si elle irait voter ».

L’histoire d’une double débâcle aux élections de mi-mandat :2010 et 2014

Ces deux élections sont liées. Elles présentent la même dynamique et les mêmes processus. Commencés en 2010, ils se poursuivent aujourd’hui. La perte de la majorité à la Chambre des représentants-es en 2010 et celle qui s’annonce pour le Sénat cette année découlent des politiques adoptées par l’administration Obama à l’été 2010. Le simulacre de plan de stimulation de l’économie adopté en 2009, qui se situait à peine à 5% du produit intérieur brut (PIB) américain alors que l’économie avait décliné de 15% de 2008 à 2009 n’était pas à la hauteur des besoins. (Voyez, comparativement le plan de stimulation économique de la Chine de 15% au même moment).

À l’été 2010, la nécessité d’une nouvelle intervention économique devenait évidente, les effets du plan antérieur se dissipant et l’économie recommençant à stagner. Le chômage augmentait à nouveau de dizaines de milliers chaque mois à ce moment-là. On comptait encore 25 millions de sans emplois. Les saisies de maisons s’accéléraient au rythme d’environ 300,000 par mois. Les résultats économiques ralentissaient partout : les entreprises, les consommateurs-trices et les gouvernements locaux cessaient de dépenser.

Malgré l’ampleur du problème des saisies de maisons en 2010, l’administration Obama s’en est lavée les mains en renvoyant le problème aux « attorneys » des États. Côté emploi, il a confié au PDG de General Electric, M. Jeff Immelt la supervision et le développement de son programme. Ça a tourné à plus de libre-échange, plus de baisse de taxes et d’impôt pour les entreprises multinationales et une réforme des brevets. Pas étonnant que dans ces conditions, le nombre d’emplois perdus et de saisies de maisons aient continué d’augmenter.

Au lieu de traiter directement ces deux problèmes de chômage et de saisies de maisons, M. Obama s’est occupé à distribuer de l’argent aux banquiers et aux investisseurs. En plus du programme QE, (quantitative easing) de la Banque centrale en 2009 qui lui a fait racheter pour 1,7 mille milliards de dollars d’actifs toxiques des banques et des investisseurs riches, M. Obama lui a demandé d’y ajouter un autre 600 milliards fin 2010. En plus il a proposé 800 milliards de nouvelles coupes dans les taxes et impôts pour les entreprises.

En 2009 et 2010 les banquiers et les riches détenteurs de capitaux auront reçu au minimum, environ 4 mille milliards en subventions directes, en baisses d’impôts et de taxes et d’autres sommes au comptant. (…)

Toute cette attention portée sur les banquiers et les grandes entreprises pendant que presque rien n’était fait pour la classe ouvrière et la classe moyenne aux prises avec le chômage, les problèmes de logement, la baisse du pouvoir d’achat et de revenus a été retenue par l’électorat à l’automne 2010. Alors que les entreprises et les investisseurs étaient soutenus sans limite, la classe ouvrière et la classe moyenne américaine recevait bien peu, sinon rien du tout quand aux emplois, au soutient dans la crise du logement ni non plus d’assistance digne de ce nom. En novembre 2010 ce fut donc la débâcle pour les Démocrates. Ils ont perdu la majorité à la Chambre des représentants-es par un score historique. Ils ont aussi perdu du même coup, la majorité des gouvernorats dans les États. Ce fut un vote de non-confiance.

Cette élection ayant donné la majorité aux Républicains-es dans une bonne quantité d’États, ils étaient en position de modifier le découpage des circonscriptions (gerrymandering) pour s’assurer des victoires lors des futures élections et ainsi garder le contrôle de la Chambre. Ils n’auraient plus à trop se soucier de cet objectif.

Pendant ce temps la crise de l’emploi n’était toujours pas résolue : ce n’était qu’une vaste transformation d’emplois à temps plein en des emplois peu sûrs, de salaires élevés en bas salaires et de nouveaux-elles venus-es qui occupaient les postes restants après que des millions de travailleurs-euses aient été éjectés-es de la force de travail.

Les mêmes politiques de 2010 qui ont coûté aux Démocrates le contrôle de la Chambre continuent de hanter les candidats-es cette année : l’emploi, le logement, la stagnation et même le déclin des salaires et des revenus de la classe ouvrière, l’augmentation de son endettement et la baisse de la consommation touchent la majorité des ménages américains. (…) La crise de l’emploi n’est toujours pas résolue. (…) Pas plus que celle du logement au moins pour la classe ouvrière. Il y a bien eut une certaine récupération en 2011-2012 mais le recul a aussitôt repris. Pendant ce temps les ventes de maisons concernaient surtout les ménages aisés, les investisseurs institutionnels et les acheteurs étrangers. Les salaires et les revenus des familles médianes de la classe ouvrière continuaient de décliner de 1%, 2% chaque année depuis 4 ans et leur niveau de dette augmentait sans arrêt.

Cette situation de stagnation de l’économie affecte la vaste majorité des travailleurs-euses américaines, de l’électorat de 2014 de la même manière qu’en 2010. Et la plupart des sièges sénatoriaux que les Démocrates ont gagnés en 2008 sont remis aux voies maintenant. Ils avaient, à ce moment-là gagné des sièges historiquement détenus par les Républicains-es dans des États pro-Républicains. Il semble bien que cette année les Républicains-es les récupéreront.

Legs de 2010 et nouveaux griefs

Les politiques du Président Obama et des démocrates qui leur ont valu leur débâcle en 2010 n’ont pas vraiment changé. Elles ont peu fait pour résoudre les problèmes réels des familles ouvrières. (…) Cette année n’est pas très différente de celle-là sauf qu’il faut ajouter au tableau que les électeurs-trices déterminants des États clés, c’est-à-dire les « Hispaniques », les jeunes étudiants-es et les syndiqués-es en ont plus encaissé aux cours de la période. Il se peut fort bien que le vote soit encore plus punitif pour les Démocrates, d’autres griefs et insatisfactions se sont ajoutés chez ceux et celles qui avaient voté pour eux dans le passé.

En 2012, leur vote a été déterminant dans la victoire démocrate ; ils ont fait la différence.

Des millions d’immigrants-es latinos avaient de grands espoirs que les Démocrates et M. Obama prendraient en compte leurs besoins et leurs demandes ; ils ont déchanté. Des millions d’étudiants-es qui représentent une dette de 1 million de milliards de dollars, qui payent des milliards chaque année en surplus d’intérêts au gouvernement ne croient plus, non plus, que le Président se décidera à tracer le trait de plume qui pourrait alléger leur situation.

Dans les États du Mid-ouest, ce sont les travailleurs-euses syndiqués qui ont obtenu la victoire démocrate en 2012. Depuis 2008, la présidence et le parti leur ont montré bien peu de reconnaissance si ce n’est la perte de leurs conditions d’assurance santé négociées, effet du nouveau plan fédéral. L’administration Obama a rejeté tous les appels syndicaux pour de l’assistance et des révisions de politiques depuis 2012. Cette partie de l’électorat ne votera pas pour les Républicains-es, mais elle ne votera pas non plus pour les Démocrates. Ce sera l’abstention : on reste chez-soi le jour du vote !

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