Dr. Vicente Navarro, Counterpunch,org, 7 septembre 2009
Traduction : A.Cyr
Malgré tout je l’ai soutenu contre John McCain. J’ai été heureux de le voir élu et pour plusieurs raisons. L’une d’elles étant qu’il est Afro-américain et que ce pays avait besoin d’un président noir. Le fait que son élection indiquait la fin de l’ère Bush, en était une autre. Mais, la principale était que je le tenais pour un honnête homme entouré de personnes correctes capables de promouvoir le changement depuis une position centriste et ainsi, soutenus par la gauche, créer des ouvertures pour certains progrès dans ce pays. Après seulement sept mois d’exercice, je ne doute toujours pas qu’il soit un honnête homme, mais je suis atterré par son manque de jugement entre autre dans le choix de quelques uns de ses proches conseillers. Je doute maintenant qu’il soit capable d’impulser les changements dont nous avons besoin. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai jamais eu de grandes attentes quant à ses politiques, mais il n’est même pas à la hauteur des plus faibles d’entre elles.
Quelques septiques de gauche, me diront : « Mais à quoi t’attendais-tu ? » Je m’attendais au moins à ce qu’il démontre les mêmes capacités d’astuces dont il avait fait preuve, avec son équipe, durant la campagne à la présidence. Il paraissait être un brillant stratège ; son élection en est une preuve. Ma plus grande déception concerne ses stratégies dans l’actuelle bataille pour la réforme des assurances maladie. Ça ne peut pas être pire. Et je suis angoissé à l’idée qu’un échec à ce chapitre pourrait bien vouloir dire l’impossibilité de sa réélection en 2012.
Première erreur
Un des premiers objectifs de l a réforme de la couverture maladie vise, selon le président Obama, à réduire les coûts globaux des soins de santé. Il a répété à satiété que « notre système économique ne peut plus supporter des coûts aussi élevés et des niveaux de hausses incontrôlés ». Il l’a dit sur des tons différents selon les auditoires, mais c’était toujours le même message. Un de ses arguments privilégié est de lier ce besoin de contrôler les coûts des soins de santé avec celui du déficit. Il insiste sur le fait que le déficit du budget fédéral tient à l’augmentation du financement des divers programmes de soins financés par l’État. Donc, il parle principalement de la réduction des coûts.
Le simple citoyen qui reçoit ce message comprend que c’est probablement par la réduction des bénéfices que l’objectif sera atteint. Cette perception n’est pas erronée puisque le président a indiqué que le financement des futures primes pour les actuels quarante-huit millions non assurés, serait tiré des améliorations de gestion des programmes existants, comme Medicare. Pour le citoyen moyen, (qui est plus que sceptique face au processus politiques), cela ressemble à une autre façon de parler de diminutions de bénéfices. Pas étonnant que ce soit les bénéficiaires de Medicare, les personnes âgées, qui soient les plus inquiètes. « Que le gouvernement se tienne loin de Medicare ! » qu’on a entendu dans les assemblées publiques cet été n’est pas une remarque aussi paradoxale ou ridicule que les médias libéraux ont bien voulu le dire. Ça a beaucoup de sens, au contraire. De plus en plus d’assurés, singulièrement les personnes âgées, évaluent que l’introduction des non assurés dans le système sera faite à leur dépens.
Deuxième erreur
Bien sûr, le deuxième objectif de la réforme est de donner une couverture d’assurance à ces quarante-huit millions qui n’en n’ont pas en ce moment. C’est une obligation urgente et inévitable. Les Américains ne peuvent pas se réclamer de la démocratie, prétendre être les champions de la défense des droits humains avec une telle faille à domicile. Il faut résoudre cette situation une fois pour toute. Mais l’ampleur du problème réside aussi dans le nombre d’Américains qui sont sous assurés. Ils sont cent soixante-huit millions. Trente deux pour cent d’entre eux ne connaissent même pas cette réalité, tant qu’ils n’ont pas besoin d’avoir recours à leur assurance. C’est un énorme problème humain, social et économique. Parmi ceux qui sont en phase terminale quarante deux pour cent se demandent comment ils vont pouvoir faire face aux dépenses impliquées et comment leurs familles vont faire pour s’en sortir. La majorité d’entre eux sont assurés mais leurs assurances ne couvrent pas tous les soins et tous les besoins reliés à leur maladie, loin s’en faut. Le coût des co-assurances, les délais de carence et autres dépenses peuvent représenter jusqu’à dix pour cent des revenus disponibles de ces personnes. Durant la dernière campagne présidentielle, lorsque M. Obama et Mme Clinton ont évoqués la question de la nécessaire réforme de l’assurance maladie, ils ont racontés les histoires déchirantes d’individus et de familles qui ont souffert dans l’actuel système. Mais aucune des propositions en débat en ce moment ne résoudraient ces problèmes. Il serait plutôt embarrassant pour M. Obama, au cours de la prochaine campagne présidentielle, de se faire demander ce qui est arrivé à ces gens depuis 2008.
Troisième erreur
Obama prévoit financer l’inclusion des nouveaux assurés dans le système par les impôts sur le revenu des plus riches,(mesure très populaire comme le montrent les sondages),et par des transferts de fonds obtenus par une meilleure gestion des programmes existants, (mesure très impopulaire comme nous l’avons dit plus tôt). On retrouve ici, les problèmes qui sont toujours apparus lorsque l’on met en place des programmes qui ne visent que de petits secteurs de la population, des segments de cette population, comme les pauvres par exemple. Les programmes qui n’offrent pas de bénéfices à toute la population sont intrinsèquement impopulaires. C’est pour cette raison que les mesures de lutte contre la pauvreté ne sont pas populaires. Les contribuables ont l’impression que par leurs impôts ils contribuent à quelque chose qui ne leur apporte rien. La compassion n’est pas et n’a jamais été une motivation suffisante pour établir des politiques sociales. La solidarité, oui ! Vous êtes prêt à soutenir les autres parce que vous comprenez que lorsque vous en aurez besoin, vous serez soutenu à votre tour. La longue histoire de l’élaboration des politiques sociales aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, montre que l’universalité est plus susceptible d’obtenir l’appui public que les programmes limités auxquels n’ont accès que des tranches de population qui doivent faire la preuve de leurs besoins. Cette histoire montre que la meilleure façon de venir à bout de la pauvreté n’est pas de créer des programmes anti-pauvreté mais bien d’établir des mesures universelles, tels le développement de l’emploi et des revenus pour tous. En matière d’assurance maladie, venir à bout de l’absence de couverture et des couvertures insuffisantes est lié au même problème, à savoir, le manque de pouvoir du gouvernement de faire respecter ces droits universels. Il n’existe, nulle part au monde, y compris dans le très sophistiqué modèle Suisse, de programmes d’assurance maladie qui ne couvrent la totalité des populations sans que les gouvernements n’y aient mis la main, utilisant leur pouvoir pour contrôler les coûts et les pratiques. Les diverses propositions déposées par l’administration Obama jusqu’ici ne font que jouer avec le problème, elles ne le résolvent en rien. Que vous appeliez ce rôle du gouvernement du nom de « payeur unique » ou de quelque nom que ce soit, notre expérience aux États-Ùnis nous a déjà montré (ce que les autres nations savent et on expérimenté), que sans intervention de l’État, toutes les mesures mises de l’avant par cette administration ne seront en définitive que du sauvetage des compagnies d’assurances, de pharmacies et du complexe médical.
Quatrième erreur
Je comprends que le président ne veuille pas plaider pour un programme gouvernemental centralisé. Mais c’est une erreur magistrale que d’avoir exclu cette option d’entrée de jeu. Elle doit être étudiée de discutée ne serait-ce que pour rendre sa propre proposition respectable. (Rappelez vous que Martin Luther King a été accepté par l’establishment comme vis-à-vis parce que derrière lui il y avait Malcolm X qui leur inspirait une peur bleue).C’est aussi l’erreur fatale qu’à fait Bill Clinton en 1993.Lorsqu’il a retraité sur l’universalité dans sa proposition, elle est devenue de facto « celle de gauche »pour aussi incroyable que cela puisse paraître et s’en était finie au moment d’arriver au Congrès. La gauche a pour tâche, dans ce pays de rendre le centre respectable. S’il n’y a pas de proposition de gauche, celle d’Obama devient « de gauche » et cela limite considérablement ce qu’il sera capable d’obtenir des législateurs.
Mais en mettant de côté l’option gouvernementale universelle, M. Obama commet une autre erreur. Il se met à dos les membres de la gauche qui soutiennent cette option. Sans eux il ne peut être élu en 2012. Bien sûr il ne peut gagner avec leur seul appui mais il ne peut certainement pas gagner sans leur mobilisation. Son élection en 2008 en est la preuve. Et, en ce moment, la gauche est en colère contre lui. Cela me surprend mais M. Obama s’apprête à payer le même prix que le président Clinton a payé en 1994.(…) (Comme à ce moment-là), Nous pourrions assister à une mobilisation de la droite et à une démoralisation de la gauche. C’est d’ailleurs commencé. Pourquoi ne voyons nous pas dans ces assemblées populaires les forces vives de la gauche défendre les propositions présidentielles ? Parce que l’option qu’elles privilégient a été écartée d’emblée alors qu’elles se sont battue pour faire élire ce président.
Voilà ce qui me tracasse. Qui est l’alternative à Barak Obama ? Sarah Palin ou quelqu’un de semblable. Elle et ses pareils ont beaucoup d’appuis parmi ceux et celles qui se sont mobilisés en faveur de John McCain. La campagne qu’ont menée les médias libéraux pour la ridiculiser est méprisée par une large partie de la classe ouvrière et contribue paradoxalement à augmenter ses appuis. J’ai bien peur que dans un proche futur, le pays se retrouve dans une ère de fascisme sympathique. Je n’utilise pas ce terme à la légère. J’ai grandit sous le fascisme dans l’Espagne franquiste, et je le reconnais immédiatement, dès qu’il se pointe. Et nous le voyons grandir dans notre base ouvrière en ce moment. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous permettre de voir le président échouer avec son projet de réforme. Pourtant une bonne partie de son personnel et de ses conseillers s’y acharnent. Les idéologues tels son chef de cabinet, Ramh Emanuel, qui au cours de sa carrière à la Chambre des représentants était soutenu par Wall Street et son frère Ezekiel, qui a déjà déclaré qu’un rang inférieur de priorité de soins devrait être accordé aux personnes âgées, mènent la nation sur un bien mauvais chemin.
Je n’ai aucun doute que le président, en honnête homme qu’il est, veuille donner une couverture de soins à tous et toutes. Mais il se trompe lourdement dans ses stratégies. Ça pourrait lui coûter la présidence, comme je l’ai déjà dit et mener le pays vers une situation très pénalisante. Il aurait dû s’appuyer sur une large mobilisation contre le complexe médico-industriel pour que toute la population ait la couverture dont bénéficient les membres du Congrès en rendant universel le programme Medicare. Là réside la solution ! Et pour y arriver, il aurait dû insister sur le fait que non seulement tous seraient assurés, ce que la majorité de la population appuie, mais sans perte de bénéfices pour qui que ce soit.
Le fait qu’il n’ait pas adopté cette stratégie tient à la nature de la démocratie américaine. L’énorme pouvoir que détiennent les industries d’assurances et de pharmacie dénature notre démocratie et en limite la portée. Devant cette réalité le rôle de la gauche est de soulever la résistance et la révolte (j’applaudit à l’action des professionnels de la santé qui ont perturbé une séance du Comité des finances du Sénat), comme elle l’a fait dans la lutte pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam dans les années soixante et soixante-dix. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’administration Obama change. Sans mobilisation agitation et pression rien de plus positif ne se produira.