Édition du 16 avril 2024

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Québec

Lettre à Paul St-Pierre Plamondon et aux orphelins politiques

Un premier événement des « orphelins politiques » a lieu cette semaine. Je profite de l’occasion pour m’adressez à vous, M. St-Pierre-Plamondon, car j’admire votre sens du service public, mais je crois que votre analyse de la conjoncture politique est erronée.

Tout d’abord, concédons que le virage à l’ultra-droite opéré par le Parti libéral du Québec (PLQ) depuis l’ère Charest a laissé de côté des fédéralistes de gauche. Ne formant pas une grande portion de l’électorat, les fédéralistes de gauche sont arrivés sur la scène québécoise presque par accident, avec la vague orange de 2011. Au niveau provincial, quelques-uns votent Québec solidaire, d’autres se résignent à voter PLQ pour ne pas donner un pouce de terrain aux indépendantistes.

Ce sont eux, les véritables orphelins politiques. D’ailleurs, tout porte à croire qu’ils ne seront plus orphelins longtemps. Un NPD-Québec sera probablement sur les bulletins de vote lors de l’élection québécoise de 2018. S’il concentre ses efforts pour percer le bloc d’électeurs libéraux qui semble inamovible malgré les scandales, ce parti fera œuvre utile. Peut-être pourrait-il même forcer le PLQ à se rendre à l’évidence et à procéder à une réforme du mode de scrutin.

Il en va tout autrement de la nébuleuse des orphelins politiques. Ne se sentant pas représentés par aucun des trois partis de l’opposition, vous ouvrez la porte à la fondation d’une nouvelle formation politique qui voudrait, selon vos propres mots, fédérer les six québécois sur 10 qui ne votent pas PLQ. Cette analyse ne tient la route pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, s’il existe certainement de véritables indécis dans les 60 % de Québécois non-libéraux, une importante proportion d’entre eux adhère réellement à la formation politique pour laquelle ils votent, que ce soit QS, le PQ ou la CAQ. Une nouvelle option sur le bulletin de vote ne changera pas la façon dont ils veulent voir le Québec se développer.

De plus, au lieu de prendre position sur la question nationale, comme le fera le NPD-Québec en se positionnant fortement pour le fédéralisme, vous proposez quelque chose de peu original : cesser d’en parler. Cela ressemble en tout point à la stratégie de François Legault, qui proposait un moratoire de 10 ans sur la question. En d’autres mots, le parti fondé par les orphelins politiques serait une sorte de CAQ social-démocrate. Si c’est le cas, vous répéterez les mêmes erreurs de fond et de forme que les caquistes.

Sur le fond, ne pas prendre position sur la question nationale c’est se mettre la tête dans le sable car, tôt ou tard, cette question vous rattrape. Quelle sera la position des orphelins lorsque le gouvernement fédéral approuvera le pipeline Énergie Est, et ce, malgré le désaccord clair d’une majorité de Québécois ? C’est un exemple parmi tant d’autres du caractère incontournable de la question nationale dans notre débat public.

Sur la forme, cette ambivalence n’a pas servi la CAQ, car même si la question nationale prend moins de place dans une campagne électorale que dans les décennies passées, elle demeure un enjeu essentiel pour beaucoup d’électeurs. Après deux élections, Legault s’en est rendu compte et a donc opéré un virage à 180 degrés, se réclamant maintenant d’un nationalisme fort, qui n’est qu’une copie dépoussiérée de l’autonomisme de l’ADQ de Mario Dumont. Bref, ils prennent position.

Finalement, il y une grande naïveté derrière l’idée que de fonder un nouveau parti est une chose facile. Étant un membre fondateur de Québec solidaire, je peux témoigner qu’une telle entreprise est une tâche titanesque. Avant l’échéance électorale de 2018, vous devrez trouver un chef, fonder des associations de circonscription et trouver 125 candidats (dont au moins 63 candidates, si cela partie fait partie de vos valeurs). Il faut ensuite rédiger et adopter en congrès (si cela fait partie de vos valeurs) une plateforme électorale. Après vient le plus difficile : le financement. Une campagne électorale digne de ce nom coûte environ 30 000 $ par circonscription. Le tout multiplié par 125 circonscriptions (si vous avez de l’ambition) et additionné aux dépenses nécessaires à la campagne nationale. Faites le calcul, et c’est ce que vous devez accumuler d’ici un an et demi. Bonne chance.

Une fois la campagne arrivée, les médias ne vous feront pas de cadeau. Vous ne serez pas invité au débat des chefs, les demandes d’entrevues se feront rares, et peu de journalistes se rendront à vos points de presse. Si vous avez un autobus de campagne, peut-être que Le Devoir vous fera la fleur d’y assigner un ou une journaliste, mais ce sera tout.

Tout ça, QS l’a vécu à ses débuts et le vit encore un peu. Demandez aux militants d’Option nationale, c’est leur lot quotidien. Ce sera certainement le vôtre si, malgré la diversité politique offerte par quatre partis présents à l’Assemblée nationale, vous ne vous sentez absolument pas représenté par aucun d’entre eux.

Pour toutes ces raisons, M. St-Pierre-Plamondon, si vous voulez vraiment faire œuvre utile en tant que progressiste qui veut battre Philippe Couillard, prenez position sur la question nationale et joignez le parti qui occupe cette place sur l’échiquier politique. Si l’ordre constitutionnel canadien vous convient, vous serez à votre place au NPD-Québec. Si, au contraire, vous pensez que l’indépendance est un combat qu’il faut mener au même titre que celui de la justice sociale, de l’écologie ou du féminisme, Québec solidaire bénéficiera de votre énergie et de votre ambition pour le Québec.

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