Édition du 3 décembre 2024

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Europe

Lutter contre les violences d’extrême droite en Allemagne, « c’est la tâche d’une génération »

« Il faut appeler le problème par son nom. Nous avons un problème de racisme », dit Kerstin Köder. Elle est députée régionale dans le Land allemand de Saxe, dans l’est du pays. C’est là que, fin août et début septembre, des manifestations d’extrême droite ont réuni des milliers de personnes à plusieurs reprises dans la ville moyenne de Chemnitz.

Tiré de Equal Times.

Des responsables du parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutschland, qui a 92 sièges au Bundestag, le parlement allemand) ont défilé aux côtés de néonazis et de membres de différents groupuscules de la mouvance. Certains manifestants ont exhibé des saluts hitlériens. En marge des rassemblements, de violentes agressions xénophobes ont eu lieu.

Le 3 septembre, par exemple, le propriétaire d’un restaurant casher de la ville a été agressé et blessé, des propos antisémites proférés à son égard. « Depuis le 26 août 2018, l’organisation a enregistré à Chemnitz en tout 24 cas de blessures corporelles et 11 cas de menaces dirigées contre des migrants, des journalistes et des contre-manifestants », a fait savoir le centre d’aide aux victimes de violence raciste de la région, RAA Sachsen.

Cette nouvelle vague de violence d’extrême droite, qui n’a jamais totalement disparue en Allemagne, a choqué le pays.

« Que s’est-il passé à Chemnitz ? Ce sont des actions organisées de l’extrême droite », a analysé sur la radio publique allemande Deutschlandfunk le politologue Andreas Zick, directeur de l’institut de recherches sur les conflits et la violence de l’université allemande de Bielefeld. « De plus en plus, de telles actions sont perçues par certains comme des actes de résistance », poursuivait-il. Depuis des années, l’extrême droite allemande crie son opposition à l’accueil de réfugiés en Allemagne et à la politique de la chancelière Angela Merkel.

« Nous sommes plus nombreux »

« Il n’existe pas d’excuse à la violence raciste », a réagi celle-ci, le 12 septembre devant le Bundestag. « Les juifs, les musulmans, font partie de notre société tout comme les chrétiens et les athées. Ils ont tous leur place dans notre société, dans nos écoles, dans nos partis. Je suis reconnaissante à tous ceux qui s’engagent pour notre démocratie », a-t-elle ajouté, s’adressant aussi à « tous les réfugiés qui vivent pacifiquement en Allemagne » et aux bénévoles qui ont aidé et aident encore à leur accueil. Car cette Allemagne-là, celle qui a ouvert ses frontières et ses portes à des centaines de milliers de réfugiés en 2015, des exilés venus principalement de Syrie et du Moyen Orient, existe toujours.

Face aux violences de Chemnitz, la société allemande a réagi par une manifestation pour la tolérance le 1er septembre, qui a réuni plusieurs milliers de personnes dans cette ville de l’est du pays. Le 4 septembre, plus de 50.000 personnes se sont rendues au concert antifasciste organisé sous le slogan de « Nous sommes plus nombreux ». Et pendant tout l’été, des dizaines de milliers de personnes ont aussi manifesté à travers tout le pays pour demander une politique migratoire européenne accueillante, à l’appel de l’organisation Seebrücke, ce qui signifie « pont de mer ».

« Laisser des gens mourir en Méditerranée pour cloisonner un peu plus l’Europe et pour des raisons de stratégie politique, c’est insupportable et cela va contre l’humanité. La migration fait et a toujours fait partie de notre société ! » peut-on lire dans le manifeste de l’organisation.

« Au lieu de fermer les frontières, nous avons besoin d’une Europe ouverte, de villes solidaires, et de ports sûrs. Nous nous solidarisons avec toutes les personnes qui sont en fuite, et qui attendent de la politique allemande et européenne des routes sûres d’exil, une décriminalisation du sauvetage en mer, et un accueil humain et digne des personnes qui ont dû fuir ou sont encore en fuite. Pour en finir avec les expulsions et la fermeture et pour une liberté de mouvement pour tout le monde », ajoute le manifeste.

« Nous avons lancé le mouvement fin juin à Berlin, au moment où le navire de sauvetage du Lifeline errait en mer Méditerranée et qu’aucun pays ne voulait l’accueillir », rappelle Maura Magni, une des coordinatrices du mouvement. « Puis, des gens se sont mobilisés par dizaines de milliers lors de dizaines de manifestations dans plus de 100 villes du pays, dont de très petites villes », ajoute-t-elle. Les manifestations se poursuivent en septembre. « Ce sont pour beaucoup des personnes qui s’étaient engagées bénévolement pour l’accueil des réfugiés en 2015 qui manifestent aujourd’hui », précise Maura Magni. Le 1er septembre encore, plus de 2.000 personnes sont descendues dans les rue de Berlin à l’appel de Seebrücke. Au même moment, une manifestation d’extrême droite et une contre-manifestation avaient lieu à Chemnitz.

Les immigrés perçus comme une menace

« Nous avons constamment cette distance entre ceux du haut et ceux du bas, ceux qui sont contre la migration et ceux qui sont pour. Les institutions qui devraient modérer ces conflits nous manquent, ou bien elles ont perdu la confiance de la population », analyse Andreas Zick, de l’université de Bielefeld, sur la radio publique allemande. En 2016, l’institut d’Andreas Zick avait réalisé une étude qui montrait bien cette division de l’opinion allemande entre ouverture et xénophobie. « La majorité de la population a une attitude positive quant à l’accueil de réfugiés en Allemagne, disait l’étude. Plus de la moitié des personnes interrogées sont pour leur accueil. »

Mais, de l’autre côté, 40 % des personnes interrogées disaient penser que la société allemande était menacée par l’islam. La tendance vers l’intolérance était plus manifeste en ancienne Allemagne de l’Est. « En comparaison avec 2014, l’accord avec les déclarations d’extrême droite a doublé chez les Allemands de l’Est », soulignait ainsi l’étude.

Même une partie du parti de gauche allemand Die Linke commence à adopter des positions hostiles aux migrants. Le 4 septembre, Sarah Wagenknecht, chef du groupe Die Linke au Bundestag (parti de gauche), a lancé son propre mouvement, appelé « Aufstehen » (« debout », « se soulever ») qui, même s’il n’est pas un parti, va de fait faire concurrence à Die Linke. Cela fait des années que Madame Wagenknecht est contestée au sein de son parti pour ses prises de position sur la question migratoire.

Alors que le parti Die Linke a une ligne d’ouverture des frontières. Sarah Wagenknecht plaide de son côté pour une fermeture face aux migrations de travail : elle considère les migrants comme des concurrents qui font baisser les salaires des travailleurs nationaux. Son mouvement « Aufstehen » a reçu le soutien de quelques 80 personnalités, quelques politiques, issus de Die Linke, du parti social-démocrate et des Verts allemands, mais surtout d’universitaires, d’écrivains, d’artistes. Plus de 100.000 personnes se sont inscrites via le formulaire en ligne pour participer au mouvement. L’objectif affiché de Sarah Wagenknecht est de reconquérir les électeurs partis vers l’abstention et, surtout, vers l’extrême-droite, en particulier dans l’est du pays.

C’est dans l’est de l’Allemagne que le parti d’extrême-droite AfD enregistre ses meilleurs scores. Lors des dernières élections législatives, en 2017, il a recueilli 25 % des voix en Saxe, 18 % en Mecklembourg-Poméranie, 22 % en Thuringe… Ces régions sont aussi les plus touchées par le chômage : le taux de chômage est toujours bien plus important dans l’est de l’Allemagne, 6,8 %, qu’à l’Ouest, à 4,8 %. Le produit intérieur brut par habitant est toujours bien moindre à l’Est qu’à l’Ouest. En outre, l’est de l’Allemagne souffre aussi, depuis la Réunification en 1990, du dépeuplement.

« Depuis 1989, tout a été déconstruit ici. Les emplois ont disparu, les gens sont partis ailleurs, donc, les écoles ont fermé. Et comme il n’y a plus d’école, il n’y a plus de bus… Et les salaires sont restés beaucoup plus bas qu’à l’Ouest, tout comme les retraites », rapporte l’élue de gauche de Saxe Kerstin Köder. Dans cette région, un parti ouvertement néonazi, le NDP (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), a siégé pendant dix ans au Parlement régional. « Cela signifie que, pendant dix ans, on a entendu des choses comme “les étrangers sont criminels” lors des sessions parlementaires et dans le débat public. Le NPD est sorti du Landtag (parlement régional) en 2014, mais l’AfD y est ensuite entrée. Et c’est aussi en Saxe que le groupe terroriste d’extrême droite NSU (Nationalsozialistischer Untergrund) a trouvé refuge quand il est entré dans la clandestinité », souligne l’élue*.

« Il n’y a nulle part ailleurs en Allemagne autant d’actes et de violences d’extrême-droite qu’en Saxe. Il y en a eu ces dernières années à Dresde, Heidenau, Bautzen, Freital, Meissen… Ce qui se passe dans ces manifestations, c’est une attaque contre notre démocratie et notre État de droit », alertait l’ancien député social-démocrate Wolfgang Thierse, et ancien Allemand de l’Est, fin août sur la radio publique allemande NDR.

« Le danger est grand, le problème a été minimisé pendant des années. J’espère qu’aujourd’hui, enfin, le problème va être considéré comme il se doit, que la police et la politique vont faire ce qu’il faut. »

« Quand on me demande aujourd’hui si j’ai une idée pour faire quelque chose contre cette montée de l’extrême-droite, je dis qu’il est peut-être déjà trop tard », rapporte à Equal Times l’élue locale Kerstin Köder. Pour elle, lutter contre l’extrême droite dans sa région, « c’est la tâche d’une génération. Il faut que la police et la justice poursuivent les violences racistes. Et il faut aussi travailler sur l’éducation. Mais tout cela prend du temps. »

* Le groupe terroriste d’extrême droite NSU a tué au moins neuf personnes entre 2000 et 2007. Huit des victimes étaient d’origine turque, un était grec, une policière. Deux des membres du groupe se sont suicidé en 2011. Le procès de la dernière membre connue encore en vie de ce groupuscule, Beate Zschäpe, s’est terminé en juillet dernier. Elle a été condamnée à la perpétuité.

Rachel Knaebel

Auteure pour Basta Mag (France).

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