Édition du 2 décembre 2025

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Afrique

Mali : dans le silence international, un génocide avance à bas bruit dans les villages touaregs

Au nord-ouest du Mali, les patrouilles conjointes des Forces armées maliennes (FAMa) et des mercenaires russes d’Africa Corps ciblent systématiquement les communautés touarègues et peules. Entre destructions méthodiques, exécutions sommaires et déplacements forcés, les violences commises fin novembre 2025 laissent apparaître les signes d’un génocide lent, assumé dans les faits mais ignoré par la communauté internationale.

Par Mohamed AG Ahmedou, journaliste, acteur de la société civile du Mali [Analyse].

Un mois de novembre marqué au fer rouge

Du 25 au 27 novembre 2025, la région de Tombouctou a été traversée par une série d’opérations militaires particulièrement violentes. Les habitants décrivent des soldats maliens accompagnés d’unités russes progressant de village en village, tirant à l’arme lourde, incendiant les habitations, détruisant les réserves alimentaires et exécutant des civils.
Des scènes quasi identiques se répètent à Razelma, Amaranane, Tissikoreye, Émimalane, Takara, Toroma, Zouéra, Nijhaltate et dans plusieurs hameaux de la commune de Gargando. Les témoins racontent des villages surpris à l’aube, des hommes exécutés devant leur famille, des femmes enlevées ou abattues, des enfants tués lors de tirs de mitrailleuses lourdes, et des anciens emmenés vivants avant d’être brûlés.

Toutes les populations ciblées appartiennent aux communautés Kel Aghazaf, Kel Ansar, Inatabane ou à des familles peules de bergers. Toutes avaient déjà signalé des violences et harcèlements répétés depuis le déploiement de Wagner et d’Africa Corps dans la région en 2023 et 2024.

Une logique de destruction qui ne peut plus relever de simples “opérations de sécurité”
Loin d’être des affrontements militaires, les opérations relèvent d’une stratégie claire : éliminer des civils, détruire les moyens de subsistance, affamer les survivants et forcer l’exil.
Les soldats déchirent les sacs de céréales, tuent les animaux, incendient les boutiques, dynamitent les tentes, sabotent les points d’eau. Dans certains villages, les habitants ont trouvé les puits remplis de sable ou d’ordures, une méthode déjà observée dans d’autres zones contrôlées par les Russes en Centrafrique.

Cette politique de terre brûlée vise à rendre toute vie impossible. Dans plusieurs communautés, les hommes ont fui vers le lac Faguibine, les femmes se sont réfugiées à Essakane et une partie des familles ont marché des heures vers Goundam pour échapper aux patrouilles.

Le génocide ne se lit pas seulement dans le nombre de morts, mais dans la destruction programmée des conditions d’existence d’un groupe humain.

Une junte politiquement responsable

Depuis 2022, Bamako a fait d’Africa Corps et des ex-Wagner le pilier de sa stratégie sécuritaire. La junte présente chaque opération comme « un succès contre les terroristes ». Pourtant, aucun élément ne montre la présence de combattants armés dans les villages visés fin novembre. Les victimes sont toutes des civils identifiés localement.

La présence systématique d’unités mixtes, la répétition des mêmes méthodes, la surveillance étroite exercée sur les survivants et l’absence de toute enquête nationale traduisent une responsabilité directe du régime malien dans ces crimes.

Certains militaires maliens, originaires de la région, ont même confié à leurs proches leur intention de quitter les rangs après avoir découvert le sort réservé à des civils qu’ils connaissaient personnellement.

Le silence international, un second crime

Depuis les premiers massacres attribués à Africa Corps en 2023, aucune réaction ferme n’a été enregistrée.L’ONU est paralysée par les jeux d’influence.La CEDEAO, affaiblie, se tait.L’Union africaine se réfugie dans la prudence diplomatique.Les puissances occidentales privilégient la confrontation limitée avec Moscou au détriment de la protection des civils.

Ce silence crée un climat d’impunité totale.Il légitime, par omission, la poursuite des attaques.Il encourage l’idée que certaines vies comptent moins que d’autres.

Les villageois de la région ne demandent pas seulement une enquête : ils demandent que les morts soient reconnus, que les survivants soient protégés, que la destruction programmée de leur existence cesse d’être ignorée.

ENCADRÉ des Victimes et localités ciblées (25–27 novembre 2025) :

Amaranane (communauté Kel Aghazaf – 4 morts identifiés)
Oumar AG Mohamed, dit Idabsa
Hamad Ahmed AG Mohamed AG Aamri
Mohamedoune AG Mohamed AG Aamri
Fils d’Oumar AG Kamoussa (nom en cours d’identification)

Nijhaltate (communauté Kel Ansar – 4 morts confirmés + 3 probables)
Morts confirmés
Attaye AG Alladi, 41 ans
Mohamed Aboubacrine AG Hamadi, 38 ans
Tafa Walat Attaye AG Alladi (fillette)
Fadimata Walet Efad AG Ahmedou AG Lissou, 20 ans

Morts probables, en cours d’identification
Deux femmes non identifiées
Une fillette non identifiée
Autres victimes signalées (enquête en cours)
Takouberte Walet Ibrahim AG Hamadi
Aïcha Walet Hammani, 28 ans
Timma Walat Hamadi
Hayou Walat Hamadi

Autres localités touchées
Émimalane : 1 mort
Takara : 2 morts
Toroma : 2 morts dont un éleveur dans son troupeau
Zouéra & Tissikoreye : pillages, exécutions d’animaux, destructions ciblées
Gargando (Idawdakane – Tinalfaghayamane) :
Alla Ag Aljoumat, dit Arzanat, 80 ans, arrêté puis brûlé vif par Africa Corps
Deux civils faits prisonniers (dont un berger peulh)
Dévastation des hameaux d’Akambou et Ingargouze

Une ligne rouge franchie

Les violences de fin novembre ne sont pas un épisode isolé. Elles s’inscrivent dans une série d’attaques coordonnées visant les mêmes communautés, avec les mêmes méthodes, les mêmes acteurs et les mêmes effets.

Un peuple peut être détruit de différentes manières :par les massacres, par la terreur, par la faim, par la disparition progressive de ses territoires.

C’est ce processus qui est à l’œuvre au Mali.Et tant que le monde détournera le regard, le pire restera possible.

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