Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lettre ouverte

Minalliance et l'Institut du Nouveau Monde : une collaboration de mauvais aloi

COLLECTIF D’AUTEUR-E-S

Il est des moments où la naïveté devient coupable, il est des moments où les fausses prétentions ne convainquent plus. La collaboration annoncée entre l’Institut du Nouveau Monde et Minalliance pour l’organisation de « conversations » publiques sur la question des mines au Québec est manifestement de ceux-là.

Que sont l’un et l’autre ? L’Institut du Nouveau Monde, hautement financé par le gouvernement du Québec, se présente comme une organisation favorisant pêle-mêle la participation de la société civile à différents débats de société. Pour sa part, Minalliance n’est ni plus ni moins qu’une instance de relation publique mandatée par l’industrie minière pour orchestrer des opérations de charme auprès du public québécois, en faisant valoir sa « contribution positive » au développement du Québec selon un mode qui rappelle drôlement ce que le père des relations publiques, Edward Bernays, désignait en son temps du nom de « propagande ».

Les deux groupes organiseront en mars prochain une tournée de consultation au Québec sur notre avenir minier... que Minalliance financera seule. Rien n’échappant aujourd’hui à la commandite privée, voilà que même le processus de délibération publique sur l’avenir de nos richesses collectives et sur la notion même de bien public se trouve financé par des sociétés privées, qui plus est, dans ce contexte, celles qui ont le plus intérêt à voir le débat pencher en leur faveur, les minières. Que ce soit l’industrie qui circonscrive en Minalliance la scène du débat politique la concernant suscite un profond malaise, d’une part. Que l’Institut du Nouveau Monde cautionne le processus au nom usurpé de la société civile laisse très perplexe, d’autre part. Cette initiative se donne faussement les allures de commission de consultation publique, dont on pourrait plutôt s’attendre à ce qu’elle soit présidée par une instance tierce telle que l’État, si seulement le gouvernement du Québec acceptait que puisse être compromis par le fait même le « Plan Nord » dont il est le promoteur.

Après avoir vu l’Association canadienne des producteurs pétroliers si récemment influencer le contenu d’une exposition du Musée des sciences et de la technologie du Canada sur la question du pétrole elle-même, au prétexte qu’elle la finançait, on ne peut pas aujourd’hui prétendre sérieusement penser qu’un lobby aussi puissant que celui des mines finance magnanimement un processus de consultation concernant directement ses intérêts, sans chercher à en contrôler et le cours et l’issue. Tout cela fleure bon une entreprise de récupération à laquelle il est gênant de voir l’INM, mais surtout le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec, Solidarité rurale du Québec, Nature Québec et la Coalition Québec meilleure mine - membres du comité consultatif de la tournée - prêter leur concours, alors que nous les savons de bonne foi. Cette conversation publique fait mesure de diversion, tout en consommant les ressources limitées des groupes citoyens participants. Ne cherche-t-on pas ici à neutraliser le débat qui s’impose sur un changement fondamental qu’il faut apporter de toute urgence à nos politiques minières ?

Il faudra rapidement convenir que les délibérations factices témoignant de la nouvelle culture politique de la « bonne gouvernance », telles que celles qui s’annoncent, ont collectivement un prix. Les traités des tenants de ces procédures délibérantes modifiant en profondeur nos traditions politiques sur le mode de la gestion managériale d’entreprise en témoignent. Surtout, cette approche cherche à présenter comme égaux des acteurs civiques qui ne le sont pas, tout en postulant leur inégalité quand vient le temps de réaliser concrètement les projets de développement à l’ordre du jour. Si une organisation civique souhaite compter sur un strapontin dans ces forums conduits par l’industrie, il devient impossible pour elle de se dire contre l’exploitation minière, par exemple en ce qui regarde l’exploitation de l’or et les diamants - des projets souvent coûteux socialement et écologiquement qui ne concernent que des produits somptuaires ou les logiques du capitalisme financier. Regardez le malaise des représentants de la « société civile » à cet égard.

Cette procédure consultative risque de coincer ses participants dans des questionnements techniques, sur les taux de redevances par exemple, qui impliqueront d’emblée leur aval aux projets de développement minier, en escamotant ainsi l’enjeu fondamental de la pertinence d’exploiter notre territoire sur le mode induit par l’industrie, à son profit. La conversation publique sur l’avenir minier du Québec restera une « conversation ». Mais en fin de compte, Minalliance et tous ses membres sortiront de ces causeries en brandissant un rapport insignifiant pour elle, sinon que pour se dire quitte de son devoir de consultation. Ils promettront de considérer les doléances que leur aura présentées un public policé et docile, tout en allant de l’avant avec des projets d’exploitation minière tels qu’on les a toujours connus au Québec.

Pour ceux qui ont de la mémoire, on assiste tout simplement au déploiement de la stratégie de la carotte et du bâton à laquelle l’industrie extractive nous a habitués : des poursuites judiciaires qui ont toutes les apparences de procédures abusives contre les récalcitrants critiques, en parallèle de campagnes de charme très souvent menées sous de fausses représentations pour séduire les autres.
Aux citoyens d’être suffisamment imaginatifs pour que le débat public éclose de lui-même sans présenter comme nécessaires ces aires de discussions factices et ces alliances de mauvais aloi.


Alain Deneault, PhD, chercheur indépendant
Frédéric Dubois, producteur
Martin Frigon, réalisateur
Jean-François Lessard, auteur-compositeur-interprète
Éric Pineault, professeur au département de sociologie, UQÀM
Lucie Sauvé, chaire de recherche en éducation à l’environnement, UQÀM
Anne-Marie Voisard, Éditions Écosociété
Shannon Walsh, PhD, réalisatrice
David Widgington, étudiant de 2ième cycle en communication, Université Concordia

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