Édition du 17 juin 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2025

Ni Poilievre, ni Carney, Mères au Front au pouvoir !

Voilà comment j’envisage la prochaine élection fédérale et le nouveau cycle politique qui s’ouvre sous nos yeux. Face au fascisme qui vient et à l’oligarchie libérale qui prétend nous protéger : Résistons !
Texte trop long, en trois actes.

Acte I : Le courage retrouvé

Hier, j’ai eu eu la chance de participer au rassemblement montréalais des Mères au Front qui a réuni des milliers de personnes sur Ste-Catherine pour souligner la Journée internationale des droits des femmes. Parallèlement, des rassemblements et chaînes humaines avaient lieu dans des dizaines de municipalités au Québec et au Canada, avec un enthousiasme inattendu. Il y a avait de l’énergie, de la joie, de la colère, de la beauté, une atmosphère de résistance.

Maudit que ça fait du bien de vivre ce moment de "bonheur public", comme le souligne Hannah Arendt qui fait de cet affect le cœur de l’action politique.

Cette année, le 8 mars revêtit une signification historique particulière, car ce fut la première et plus importante mobilisation collective au Québec depuis l’élection de Trump.

Les discours étaient hautement politiques, tissant des liens entre les luttes historiques pour les droits des femmes, les menaces du fascisme et de la broligarchie qui prétendent vouloir refaçonner l’ordre du monde, mais aussi un appui aux peuples écrasés par les guerres et les puissances impérialistes (Ukraine, Gaza), des articulations avec la nécessaire transition écologique, le besoin de construire un monde viable pour nos enfants, l’humanité et le vivant.

Face à la léthargie, le sentiment d’impuissance et d’isolement qui nous amène à "doomscroller" la fin du monde sur nos ordis et nos téléphones, on se sort enfin du fatalisme et on retrouve une puissance d’agir. Voilà un ingrédient clé de la résistance.

Bien sûr, cette mobilisation du 8 mars ne changera pas le monde en soi ; mais c’est le début de quelque chose. La Multitude sort dans la rue, non pas sous la bannière d’une seule cause ou d’une revendication centrale, mais de plusieurs causes convergentes, dans un front large et uni.

C’est cet esprit du 8 mars que j’ai retrouvé sous une forme différente et percutante en après-midi à l’Usine C, en allant voir l’étrange pièce "Use et Abuse" des artistes Christian Lapointe et Alix Dufresne qui renouent avec le caractère brut, subversif et radical de la performance, sur fond d’une conférence d’Alain Deneault sur le capitalisme, la gouvernance et les industries culturelles.

C’était beau, brutal, drôle et violent, exprimant de façon crue et cathartique cet aspect "rage" qui nous habite à différents degrés ces temps-ci. Un moment clé fut Alix qui brandit une pancarte qu’elle venait d’écrire au marqueur noir sous le coup de l’improvisation : "8 mars tous les jours tabarnak !". Le public a applaudi.

Une discussion portant sur la soumission du secteur culturel aux impératifs budgétaires et du managérialisme s’en est suivie, exprimant de fortes résonances avec le Front commun pour les arts qui se met en place ces temps-ci. La lutte contre l’austérité en culture, en éducation, en santé, contre les cours de francisation et les initiatives de transition socio-écologique, tout cela converge en ce moment ; ça bouillonne.

L’argent ne manque pas ; ce sont les oligarques, des entreprises comme Northvolt, IBM et SAP (qui ont empoché des millions dans le scandale SAAQclic), Amazon, Tesla et d’autres compagnies contrôlées par des milliardaires qui s’enrichissent actuellement alors que les gens se serrent la ceinture pour l’épicerie, leur logement ou hypothèque. Plusieurs craignent actuellement pour la perte de leur emploi ou leur sécurité à cause d’une guerre tarifaire déclenchée par un tyran qui rêve de faire de nous une succursale des États-Unis.

***

Acte II : Le marasme des élections fédérales

Dans cette conjoncture unique et extrême, Justin Trudeau a démissionné et la course à la chefferie du Parti libéral du Canada vient de couronner son nouveau leader, Mark Carney.

Il devient ainsi le premier ministre du Canada, sans même avoir été élu dans une élection générale. C’est assez hallucinant : le chef d’un État, non-élu par la population, devient maintenant l’homme qui devra tenir tête à Trump... d’ici la prochaine élection qui sera déclenchée sous peu.

Les conservateurs le dépeignent déjà comme un technocrate et un membre de l’élite mondialiste, ce qui est vrai en bonne partie : Carney a été gouverneur de la Banque du Canada (suite à la crise financière de 2008), gouverneur de la banque d’Angleterre (durant la période du Brexit), et un grand partisan du capitalisme vert. Tout l’establishment médiatique le positionne déjà comme le digne successeur de Trudeau, et un "homme fort" capable de répondre aux grandes crises économiques en raison de ses compétences d’économiste.

Il est plus à droite que Trudeau, il fait la promotion de la rigueur budgétaire, plaide pour l’usage de l’IA dans la fonction publique, et commence déjà à concéder une série de choses à l’administration Trump au niveau économique et environnemental. Je ne doute pas de son expérience et de son "expertise", mais face à l’administration Trump, il incarne une sorte de "rempart néolibéral" qui apparaîtra comme un "moindre mal" face au techno-fascisme décomplexé du duo Trump-Musk.

Autrement dit, Carney est un membre de l’oligarchie libérale qui défendra les intérêts de cette oligarchie locale dans le contexte d’une guerre commerciale inédite avec les États-Unis.

Par ailleurs, celles et ceux qui seraient tentés de voter Poilievre pour se débarrasser de l’héritage Trudeau ou du "capitalisme woke" risquent d’être déçus. Le Parti conservateur dirigé par Poilievre est largement aligné sur le plan idéologique et politique avec le trumpisme au Sud de la frontière, avec quelques différences près (Canada Strong, version soft du Make Canada Great Again).

Le triomphe de Poilievre a heureusement été refroidi par l’arrivée de Trump et le carnage qu’il a instauré au niveau domestique et international depuis le 20 janvier 2025. Toute la complexité de la droite radicale canadienne consiste maintenant à se positionner à la fois "contre" Trump et "pour" ses politiques, dans un contexte de tension croissante avec les États-Unis.

Mais dans les deux cas, que ce soit le Parti conservateur de Poilievre qui incarne une broligarchie fascisante semi-décomplexée, puis le Parti libéral sauvé par Carney qui incarne l’oligarchie néolibérale mesurée, avec un chef parlant vaguement français et qui est en bonne partie déconnecté des préoccupations de la population, nous sommes face à un choix déchirant et stratégique.

Certains iront voter pour le moindre mal (Carney), d’autres auront ce ressentiment anti-Trudeau tellement enraciné qu’ils voteront pour Poilievre (malgré les risques), d’autres s’abstiendront, d’autres iront voter NPD, Verts ou pour le Bloc québécois en guise de protestation.

Une partie de moi dit "tout sauf Poilievre", admettant ainsi la légitimité du vote utile et stratégique afin de faire barrage contre l’extrême droite. Personnellement, je comprends les gens qui voteront ainsi, d’autant plus qu’il est faux et dangereux de faire une pure équivalence entre néolibéralisme et fascisme.

Cela dit, je ne peux m’empêcher de penser en même temps aux gens qui ne pourront voter pour le Parti libéral de Trudeau/Carney suite au génocide à Gaza, au projet du pipeline Trans Mountain, et à certaines mesures liberticides que ce gouvernement a mis en place pendant la pandémie.

Le problème principal est que les anti-Trudeau iront se jeter dans les bras de Poilievre (ou encore Maxime Bernier), croyant se battre contre l’autoritarisme et l’oligarchie, sans réaliser qu’ils voteront du même coup pour une version encore pire et autoritaire de cette oligarchie, convergeant avec le délire trumpiste.

Et les gens qui ne veulent ni Trudeau ni Poilievre, espérant un Canada plus progressiste (NPD, Verts) et/ou un Québec indépendant (Bloc), chercheront à obtenir vos votes dans les prochaines semaines, sans avoir une chance réelle de prendre le pouvoir. En termes plus simples, le système politique canadien me semble complètement bloqué.

***

Acte III : Résistons encore

Je ne souhaite pas ici convaincre qui que ce soit pour qui voter, ni même de voter. Mais l’important reste à mes yeux cette donnée fondamentale : ni sous Poilievre, ni sous Carney, nos communautés et nos territoires seront en sécurité. L’un accélère l’annexion du Canada aux États-Unis, l’autre propose d’y mettre un frein par une vassalisation économique du Canada au service de l’oligarchie américaine, canadienne et mondiale.

Dans les deux cas, on aura besoin d’une vigilance extrême, de mouvements sociaux combatifs, d’autonomie collective, de résilience, de réseaux d’entraide locaux, de groupes de résistances clandestins, de luttes territoriales contre l’extractivisme, d’une démocratie forte et vivante à l’échelon municipal et régional. On aura aussi besoin de rebâtir un internationalisme radical, et s’inspirer de luttes de libération nationale qui se sont effectuées dans un cadre plus large contre l’impérialisme et le colonialisme.

Une pseudo-indépendance à la Trump ne fonctionnera pas, ni au Canada ni au Québec. À l’inverse, une belle gouvernance néolibérale du statu quo version Mark Carney ne fera que nous enfoncer dans une impasse, par une prolongation du Canada tel qu’il a existé mais qui ne peut plus durer.

Il faut raviver la gauche et le mouvement écologiste certes, cela ne sera pas d’abord par les urnes. Il faudra dynamiser les mobilisations citoyennes et les solidarités partout, au-delà des cadres établis des partis politiques, trop souvent englués dans leur calendrier électoral et restreint.

Voilà l’esprit des Mères au Front, qui s’incarne aussi dans d’autres mouvements qui prennent forment au Québec comme ailleurs : les Soulèvements du Fleuve, Multitudes, Stand Up For Science, les actions directes contre les concessionnaires Tesla, le mouvement 50501 (50 protests, 50 states, 1 movement), les luttes pour la libération palestinienne, la solidarité avec l’Ukraine, Black Lives Mater, le mouvement féministe, LGBTQ+, et d’autres expressions du mouvement pour la justice climatique.

La transformation sociale passe avant tout par ce changement clair de nos consciences et de cet appel décomplexé à l’action directe, à l’amour, à la rage et à l’espoir qui se ne contente plus d’un sauveur de gauche, du centre ou de droite : résistons ensemble pour la suite du monde.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Élections fédérales 2025

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...