Édition du 16 avril 2024

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Politique québécoise

Nickel dans l’air de Limoilou - Heureusement qu’il y a une mobilisation citoyenne

L’automne dernier, une citoyenne de Limoilou Véronique Lalande sonnait l’alarme suite au constat que des nuages de poussière, rouge a t-on précisé, survolaient le quartier au centre de Québec contaminant la qualité de l’air et exposant les résidantEs à un air vicié. On pointait en direction des activités de déchargement du Port de Québec. Quelques mois plus tard le tableau est pire qu’anticipé.

C’est à la fin octobre 2012 que des citoyenNEs du quartier ont remarqué qu’une fine poussière qui sera plus tard identifiée comme de l’oxyde de fer se déposait sur les maisons. Des constats similaires ont été rapportés dans les quartiers St-Sacrement plus au sud et jusqu’à Lévis sur la rive-sud. La compagnie Arrimage du St-Laurent plaide coupable mais évoque des circonstances exceptionnelles. La Direction de la santé publique banalise la situation : « Il faut qu’il y ait une exposition à long terme pour qu’il y ait des dangers, a expliqué hier la porte-parole Justine Duchesne. Ce n’est pas toxique ni cancérigène. » Et encore, ce sont surtout les personnes éprouvant déjà des difficultés respiratoires qui pourraient voir leurs symptômes s’aggraver. » (Le Soleil, 30 octobre 2012)

À Québec, on attend

Même chanson du côté de la Ville de Québec. Le porte-parole de la Ville Jacques Perron s’en remet au ministère de l’Environnement : « Ce dossier relève du Ministère de l’Environnement. Nous allons accompagner, suivre les actions du Ministère et collaborer avec leurs services. Ce dossier nous interpelle et nous allons le suivre de très près. » De tellement près que la Ville n’a rien fait depuis et attend… (Le Soleil, 26 novembre 2012)

Pourtant, le problème ne date pas d’hier. Dès août 2009, la Direction de la santé publique de la Capitale faisait état de démarches en direction du Port de Québec suite à des épisodes de nuages de poussière signalés par des citoyenNEs. Mais là encore, on pratiquait la politique de l’autruche : « On n’a pas eu de signalement cet été et on agit seulement lorsqu’on en a », a souligné Justine Duchesne, porte-parole de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale (Le Soleil, 23 novembre 2012). Loin d’une démarche de prévention, on attend que les résidantEs fassent le boulot…

Le Port de Québec n’est pas sans tache. Longtemps géré comme un royaume par son PDG, Ross Gaudreault, l’entreprise “publique” fut montrée du doigt dans un dossier de complaisance. Il fut en effet possible d’apprendre (Le Soleil, 28 novembre 2012) que les compagnies ontariennes Bioversel et Spectrum auraient utilisé des installations du port de Québec pour contourner des règles émises par l’Union européenne qui interdit l’importation de biodiésel américain sur le territoire. Les deux compagnies ontariennes ont entreposé ce carburant au Port de Québec afin d’en modifier l’origine et outrepasser les règles européennes. Selon Le Soleil, 17 navires auraient quitté le Port entre 2009 et 2010 à destination de l’Europe avec ce fameux carburant. Le Port de Québec fonctionne en vase clos au profit des entreprises qui y font affaires.

Intervention de Vigilance Port de Québec

Puis, ce fut l’intervention de scientifiques, M. Richard Saint-Louis de l’Université du Québec à Rimouski qui donne un aperçu de l’ampleur du problème. (Voir la vidéo : http://www.vigilanceportdequebec.com/echantillonnage/) Des citoyenNEs font appel aux techniciens de la Ville qui après avoir pointé du doigt sans trop de conviction l’usine de la White Birch et l’incinérateur de la Ville comme possible fautives, avouent leur incapacité à avoir accès aux installations du Port. Ces citoyenNEs prennent alors l’initiative de faire des prélèvements des poussières accumulées sur les balcons, voitures et autres surfaces extérieures et de les faire étudier par des scientifiques indépendants.

Le 12 mars dernier, une première étude confirme la présence de nickel dans l’air de Limoilou dans des concentrations dépassant les normes de sécurité est dévoilée. Dans ses cinq stations, qui s’étalaient le long du boulevard Henri-Bourassa de la rue La Canardière jusqu’à la 26e Rue (secteur Maizeret), les concentrations variaient d’environ 120 milligrammes de nickel par kilogramme de poussière (mg/kg) à 790 mg/kg. Elles surpassaient donc systématiquement, et souvent par plusieurs fois, les normes du ministère québécois de l’Environnement pour la qualité des sols pour les zones résidentielles, qui sont de 100 mg/kg. (Le Soleil, 12 mars 2013). Dans les villes, les teneurs en nickel de la poussière se situent généralement entre 10 et 50 mg/kg. Dans la ville d’Ottawa, localité la plus comparable à Québec que nous ayons pu trouver, ce taux est de 15 mg/kg. L’étude préliminaire devait voir ses résultats confirmés par une deuxième étude.

Puis en début de semaine, une autre étude confirme les appréhensions des citoyenNEs. Le Soleil (18 mars 2013) a obtenu des données du ministère du Développement durable qui montrent que les concentrations de nickel dans l’air de ce quartier étaient 5,7 fois supérieures aux normes entre 2010 et 2012. (Le Soleil, 18 mars 2013) Toujours selon l’article publié par Le Soleil, « alors que le Règlement québécois sur l’assainissement de l’atmosphère (annexes G et K) stipule que la population ne devrait pas être exposée (en moyenne, sur une période d’un an) à des concentrations en nickel supérieures à 12 nanogrammes par mètre cube (ng/m3), la station d’échantillonnage du MDDEP a mesuré pas moins de 67,9 ng/m3 en moyenne au cours de ses deux années d’opération. C’est une valeur 5,7 fois plus élevée que la norme. De 2000 à 2010 (inclusivement), la station de Limoilou a décelé des concentrations de nickel supérieures aux normes (en moyennes annuelles) 7 années sur 11. » Et pourtant, personne chez les autorités publiques n’a jugé bon d’appuyer sur la sonnette d’alarme.

Au MDDEP, le directeur du Centre de contrôle environnemental pour Québec et Chaudière-Appalaches, Jean-Marc Lachance, reconnaît que « c’est quand même préoccupant, ces données-là », mais il insiste sur le fait que « ce n’est pas parce qu’il y a dépassement [des normes environnementales] qu’il y a nécessairement un danger pour la population. On a transmis nos données à la Santé publique, et il faut attendre leurs analyses. » Bref, attendre semble le mot d’ordre, question de bien noyer le poisson.Heureusement, le Comité Vigilance Port de Québec est bien actif et promet de poursuive la bataille. Véronique Lalande présentera aujourd’hui (18 mars) les résultats de son enquête à la ministre responsable de la région, Agnès Maltais, après quoi elle rendra son « rapport » public. Quant au Port de Québec, c’est le silence radio.

Le Port de Québec est le plus gros terminal de nickel en Amérique du nord

D’après des études du Center for Disease Control, aux États-Unis et citées par Le Soleil, le nickel est considéré comme cancérigène ou possiblement cancérigène par la plupart des agences sanitaires dans le monde. Plusieurs études ont montré que les employés des raffineries de nickel, qui sont parmi les plus exposés, meurent davantage de cancers des poumons et des sinus. Mais d’où provient ce nickel ? « Le Port de Québec est le plus important terminal de nickel en Amérique du Nord », fait valoir Mme Lalande. Sa signature chimique, soit son ratio nickel/cobalt de 18/1, est très proche de celle du nickel qui sort de la mine de Voices Bay, au Labrador, qui achemine sa production par bateau à Québec. (Le Soleil, 12 mars 2013)

Rappelons finalement que les quartiers centraux de Québec ont fait l’objet de nombreuses études sur les questions de santé publique et que les conclusions montrent que (voir http://www.dspq.qc.ca/) l’espérance de vie des citoyenNEs de la Basse-ville de Québec est de 6,5 années inférieure à celles des cityoyenNEs de la Haute-Ville (étude échelonnée de 2004 à 2008), que cette statistique est en hausse car lors de l’étude précédente (1990-1994), l’écart était de 5 années. (Voir Portrait de santé de la région de la Capitale-nationale 2012)

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