Édition du 23 avril 2024

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Europe

Notre soutien à l’Ukraine : moral, politique et stratégique

Nous soutenons le peuple ukrainien et l’Ukraine parce que c’est une nation indépendante et souve- raine victime de l’agression de la Russie. Nous sou- tenons le droit des Ukrainiens à se défendre et, pour ce faire, à se procurer des armes partout où ils le peuvent. Notre soutien à l’Ukraine est fondé sur des principes moraux et politiques ainsi que sur une analyse stratégique.

Ma mère, une femme de la classe ouvrière, m’a appris dès mon plus jeune âge qu’il fallait prendre le parti de l’opprimé : de l’enfant qui est brutalisé, de la femme qui est maltraitée, du travailleur qui est sous- payé et exploité, de la personne noire qui est discriminée. Et à plusieurs reprises, je l’ai vue prendre leur défense. Si je n’étais jamais devenu socialiste, ces raisons suffiraient à faire de moi un défenseur de l’Ukraine. Vladimir Poutine détruit l’infrastructure industrielle du pays et rend impossible les semailles et les moissons. Il bombarde immeubles, habitation, écoles et hôpitaux. La Russie a tué des milliers de milliers d’Ukrainiens – hommes, femmes et enfants –, en a déplacé des millions et a forcé plus de 5,5 millions d’entre eux à fuir vers d’autres pays. Donc, comme n’importe quel enfant peut le constater, nous devons être aux côtés du maltraité, de l’Ukraine, contre la brute.

Devenu adulte et socialiste, j’ai été convaincu par les arguments marxistes selon lesquels il fallait soutenir le droit des nations à l’autodétermination, comme le Vietnam qui luttait alors pour son indépendance. J’en suis venu à croire que nous devions nous opposer à toutes les puissances impérialistes. L’impérialisme, c’est la tentative de soumettre une nation à une autre sur le plan économique, politique ou militaire. Il était clair que mon pays, les États-Unis, était une puissance impériale, mais il en était de même de l’Union soviétique qui dominait l’Europe de l’Est.

J’en suis venu à croire que les nations coloniales et néocoloniales, quel que soit leur gouvernement, méritaient notre soutien dans la lutte contre l’empire. J’ai appris que dans l’histoire de la lutte contre l’empire, les socialistes avaient soutenu l’État éthiopien, malgré son monarque réactionnaire, contre l’Italie fasciste (1935-1937), la République bourgeoise espagnole contre la Phalange fasciste de Franco (1936-1939) et le gouvernement nord-vietnamien, malgré sa politique stalinienne, dans sa guerre contre les États-Unis (1955-1975). (Cependant, nous n’avons pas soutenu les talibans dans leur lutte contre l’occupation américaine, car ils menaient simultanément une guerre réactionnaire contre une grande partie de la population afghane. Il en est de même en Irak où Saddam Hussein était engagé dans une guerre d’oppression contre la population kurde et était rejeté comme oppresseur par une grande partie de la population arabe).

Alors comment pourrais-je aujourd’hui, avec de tels principes, ne pas soutenir l’Ukraine, l’ancienne colonie russo-soviétique ? Oui, il y a de la corruption dans le gouvernement, oui, il y a un petit mais dangereux mouvement néonazi dans le pays, et Zelensky lui-même est un néolibéral. Mais un anticolonialisme authentique et l’autodétermination signifient que les Ukrainiens doivent faire face à ces problèmes eux- mêmes – avec notre solidarité, bien sûr. En tant que socialistes, notre soutien s’adresse principalement à la gauche ukrainienne, aux socialistes, aux anarchistes et aux membres de la gauche indépendante qui com- battent la Russie tout en s’opposant à la politique néolibérale de Zelensky.

Nous soutenons également l’Ukraine pour des raisons stratégiques plus larges et à plus long terme. Des gouvernements autocratiques et autoritaires, dont certains ont des ambitions impériales, existent aujourd’hui dans de nombreux pays, non seulement en Russie, mais aussi en Chine, en Inde, en Turquie, en Syrie, en Arabie saoudite, en Iran ou encore en Hongrie. L’extrême droite menace la démocratie dans d’autres pays, aux États-Unis, en France, au Brésil ou encore au Bélarus. La défense de l’Ukraine est aussi une défense stratégique de la démocratie contre l’autoritarisme. Malgré tous les problèmes que nous pose le gouvernement ukrainien, les perspectives de la démocratie en Ukraine seront bien meilleures si le pays n’est pas conquis par un agresseur réactionnaire, meurtrier et autocratique.

Les idées morales, politiques et stratégiques qui sous-tendent notre soutien à l’Ukraine nous rendent également méfiants à l’égard des États-Unis, de l’Union européenne et de l’OTAN. Notre soutien à l’Ukraine est fondé sur son indépendance politique, qui pourrait être remise en cause par sa dépendance militaire à l’égard des États-Unis et des nations européennes. Si la dépendance conduit à un contrôle de la guerre par les États-Unis, cela pourrait conduire à une guerre par procuration menée par les États-Unis, augmentant le danger d’une troisième guerre mondiale, une guerre nucléaire. Poutine, dans le même temps, menace d’une guerre génocidaire pour anéantir l’Ukraine et s’il ne peut pas, alors il prévoit de la démembrer, ayant déjà saisi la Crimée et annexant maintenant Donetsk, Louhansk et la côte de la mer Noire. Pour toutes ces raisons, nous devons continuer à soutenir l’Ukraine et renforcer sa capacité à rester politiquement et militairement indépendante.

Nous sommes pour la victoire de l’Ukraine et la défaite de la Russie. Nous sommes aux côtés de la gauche ukrainienne, des militants anti-guerre russes et de l’opposition démocratique et soviétique russe.
Nous sommes solidaires de l’Ukraine. Victoire à l’Ukraine !

Dan La Botz
Syndicaliste, cofondateur de Teamsters for a Democratic Union, jour- naliste et auteur d’ouvrages sur le mouvement syndical américain, il est membre du comité de rédaction de la revue new-yorkaise New Politics.

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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