7 octobre 2025 | tiré du sit entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/07/nous-avons-demande-a-cinq-jeunes-ukrainien%C2%B7nes-pourquoi-elles-et-ils-avaient-choisi-de-partir-en-guerre-contre-la-russie/
Alors que la guerre totale menée par la Russie entre dans sa quatrième année, une génération qui a grandi sous les sirènes d’alerte aérienne est désormais en âge de combattre. Bien qu’elles et ils ne soient pas encore soumis à la conscription, ces jeunes Ukrainien·nes s’engagent volontairement dans l’armée, troquant les amphithéâtres contre les tranchées, ou tentent de concilier les deux mondes.
Leur décision intervient à un moment où l’Ukraine est confrontée à une pression croissante pour remédier à une pénurie critique de main-d’œuvre. En 2024, le gouvernement a abaissé l’âge de la mobilisation de 27 à 25 ans, puis a introduit des « contrats spéciaux » d’un an destinés aux 18-24 ans, avec un salaire de 1 million de hryvnias (24 000 dollars) et une formation supérieure gratuite.
Pendant ce temps, de nombreuses et nombreux jeunes Ukrainiens font un autre choix : quitter le pays, ce qui accentue les craintes d’une crise démographique imminente.
Le Kyiv Independent s’est entretenu avec cinq jeunes Ukrainien·nes pour savoir pourquoi elles et ils se sont engagés, comment elles et ils concilient études et service militaire, et ce qu’elles ou ils espèrent après la guerre.
Serhiy Dodurov, 21 ans
Serhiy Dodurov a envisagé pour la première fois de s’engager dans l’armée au début de l’année 2022. Il venait d’avoir 18 ans et étudiait le droit à l’Académie Mohyla de Kiev.
Au début, il pensait que l’armée « avait suffisamment de soldats », mais la multiplication des annonces de recrutement après la contre-offensive de 2023 l’a fait changer d’avis.
« Cela a été un tournant. Je ne pouvais plus me dire qu’ils n’avaient pas besoin de moi », explique Serhiy.
Il a signé un contrat en janvier 2024 et a pris un congé universitaire ; sa promotion a obtenu son diplôme sans lui. Il dit que cela lui a permis de prendre plus facilement ses distances.
Aujourd’hui, Serhiy sert dans le 412e régiment des systèmes de pilotage, connu sous le nom de Nemesis, où il travaille dans le domaine du renseignement et de l’analyse.
Il craignait de perdre le contrôle de son temps, mais la mort était également présente dans son esprit. Il a rédigé un testament avant de s’engager et prévoit de le mettre à jour.
« Il y a eu des moments dans le Donbass où j’ai vraiment pensé que je ne reviendrais peut-être pas », dit-il.
Aujourd’hui, lorsqu’il entend le mot « planification », il ne pense plus à sa propre vie, mais à ses camarades et à leurs missions.
« Le travail change votre langage et le sens des mots », dit-il.
Il lui est difficile d’imaginer la vie après la guerre.
« Il y a tellement de questions sans réponse. Ici, tout est simple : se réveiller, faire son travail, suivre les cibles, aller dormir. Et recommencer », dit-il.
Oleksandr Romanuk, 20 ans
Depuis son enfance, Oleksandr Romanuk est fasciné par le passé de l’Ukraine.
« J’ai grandi en écoutant des histoires sur les Cosaques, sur des personnes qui ont donné leur vie pour notre État et notre nation », se souvient-il. Sa mère, qui s’était portée volontaire dès le début de la guerre dans le Donbass en 2014, lui racontait souvent ce que vivaient les soldat·es.
Ainsi, lorsque la Russie a lancé son invasion à grande échelle en 2022, Oleksandr, alors âgé de seulement 17 ans, s’est précipité au bureau de recrutement local, mais il a été refoulé en raison de son âge.
Il s’est porté volontaire pour livrer des fournitures et prévoyait de s’enrôler dès qu’il serait en âge de le faire.
Fin 2023, après s’être entraîné et avoir longuement discuté avec sa mère, il a rejoint la 3e brigade d’assaut, l’une des unités ukrainiennes les plus aguerries.
Sa famille a accepté sa décision, non sans verser quelques larmes.
« Tout le monde m’a soutenu. Mais ma sœur de neuf ans a beaucoup pleuré quand je suis parti, et ça a été le plus dur », raconte-t-il.
Il est devenu infirmier de combat dans l’unité surnommée les « Decepticons ». Au début, il pensait que les infirmier·es ne participeraient pas aux assauts dans les tranchées.
« Nous participons à des assauts. Et j’ai réussi à en traverser plus d’un. Je suis fier d’y être parvenu. »
À la veille d’une mission, on lui a demandé de passer ses examens ou de se retirer. Après l’intervention des parent·es de ses camarades de classe, l’université lui a accordé un congé académique jusqu’en 2027.
Il prévoit désormais de rester dans l’armée après la guerre.
« Au début, je pensais retourner à la vie civile. Mais plus je sers, moins cela me semble possible », dit-il.
Deniz, 18 ans
Deniz attendait ce moment depuis l’âge de 15 ans. À l’époque, au début de l’invasion à grande échelle, lui et ses ami·es fabriquaient des cocktails Molotov et parlaient de défendre l’Ukraine.
Quand il a enfin eu 1 ans, il s’est rendu directement au centre de recrutement près de sa ville natale, à Soumy. Bien qu’il ait suivi une formation de chanteur et qu’il aurait pu être affecté à l’orchestre militaire, Deniz a demandé à être affecté à la défense aérienne.
Plusieurs unités l’ont rappelé, mais certaines l’ont refusé en raison de son âge. Il a également dû convaincre sa famille.
« Tout le monde était contre. Alors je leur ai dit que je travaillerais simplement comme instructeur. Pas comme soldat. Comme un emploi normal. Je savais que je finirais par signer le contrat de toute façon », dit-il.
Il est le plus jeune de son unité, entouré d’hommes deux fois plus âgés que lui. Et pourtant, dit-il, le lien qu’il ressent avec eux est unique. Il espère toujours se lancer dans la musique un jour, mais il a le sentiment d’être à sa place aujourd’hui.
« Leur expérience, leur bienveillance… tout cela change votre façon de voir les choses. Aujourd’hui, je ne sais pas comment je pourrais vivre sans tout cela », confie-t-il.
Sofiya Yanchevska, 19 ans
Pour Sofiya Yanchevska, la décision de s’engager semblait presque inévitable. « J’ai toujours su que tôt ou tard, notre génération devrait se battre », dit-elle.
Ses parent·es se sont porté·es volontaires pendant la guerre dans le Donbass en 2014 et sont ensuite devenu·es des vétérans (ancien·nes combattant es).
Lorsque l’invasion à grande échelle a commencé, ses parent·es se trouvaient au bureau d’enrôlement le 25 février. Sofiya, alors âgée de 16 ans, voulait les rejoindre. Trop jeune pour combattre, elle a passé son temps dans une base de volontaires avec les camarades d’armée de ses parent·es, étudiant entre les entraînements.
« Une sœur d’armes m’a appris l’ukrainien, une autre m’a enseigné l’histoire. Nous nous sommes préparées sur la base », raconte-t-elle.
En 2022, elle s’est inscrite à l’Académie Kyiv-Mohyla. Même après avoir signé un contrat avec la 3e brigade d’assaut indépendante à l’âge de 19 ans, elle a poursuivi ses études de droit.
Elle passait ses examens dans des abris ou des caves, interrompant parfois ses épreuves pour évacuer les blessé·es.
Au départ, elle souhaitait étudier l’administration publique afin d’aider les ancien·nes combattant·es, mais son service l’a depuis orientée vers le droit pénal international, afin de voir si celui-ci peut faire la différence et contribuer à enquêter sur les crimes de guerre.
Pendant son service, elle a rencontré son fiancé, Bohdan, 22 ans. Il avait combattu pendant la bataille de Bakhmut dans une unité d’assaut et avait été blessé. Il occupe désormais un poste différent au sein de la même brigade.
« Son rêve est d’ouvrir un bar. Je n’ai pas une vision très précise — il faut d’abord survivre pour le savoir », explique Yanchevska.
« Mais je sais pourquoi je me bats : pour ma famille et pour que mes futurs enfants puissent vivre en Ukraine, parler ukrainien, lire nos livres et regarder nos films. »
Ivanna Tsimerman, 23 ans
Pour Ivanna Tsimerman, la décision de s’engager a été prise le matin du 24 février 2022. À 20 ans, elle s’est rendue dans un bureau de recrutement. « Je m’étais déjà préparée mentalement auparavant, mais lorsque les explosions ont commencé à 4 heures du matin, je n’avais plus aucun doute », se souvient-elle.
Au départ, elle a été affectée à des tâches administratives.
« Ma plus grande crainte à l’époque était de ne pas avoir le temps de combattre avant la fin de la guerre », explique-t-elle.
Cette année-là, elle terminait également sa quatrième année à l’université d’État de Jytomyr. Elle a envisagé d’abandonner ses études, mais son doyen l’a encouragée à continuer. Elle a suivi des cours à distance selon un programme individuel et a obtenu son diplôme tout en servant dans l’armée.
Blessée en 2023 et placée dans les réserves, elle travaille désormais avec la communauté militaire « Company Group » à Kiev.
« Il est difficile de s’éloigner après avoir passé trois ans au combat. L’armée vous offre une communauté, des personnes qui pensent comme vous. C’est très difficile de trouver cela ailleurs », explique-t-elle.
Après son expérience au front, elle a du mal à croire à une paix rapide. « Bien sûr, je veux que cela s’arrête, mais ce ne sera pas un moment heureux. Trop de gens sont morts pour que cela puisse être considéré comme une fête », déclare Tsimerman.
Tania Myronyshena
Tania Myronyshena est stagiaire au Kyiv Independent. Elle a déjà écrit des articles sur la culture et l’histoire pour des médias tels que Ukrainer, Mediamaker et Wonderzine. Elle est titulaire d’une licence en édition et rédaction de l’université Borys Hrinchenko de Kiev.
https://kyivindependent.com/we-asked-5-young-ukrainians-why-they-chose-to-go-to-war/
Note de l’autrice : Bonjour, je m’appelle Tania Myronyshena. En écrivant cet article, je souhaitais montrer les choix auxquels sont confrontés les jeunes Ukrainien·nes dans un pays qui en est maintenant à sa quatrième année de guerre totale. Leur réalité les pousse à assumer la responsabilité non seulement de leur propre avenir, mais aussi de celui de leur pays, et à prendre les risques qui en découlent.
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