Édition du 11 novembre 2025

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Syndicalisme

Plus de salaire, mais moins de démocratie syndicale – Une victoire compliquée à Air Canada

Comme le rapporte la Presse Canadienne, les agent·es de bord d’Air Canada ont rejeté à 99,1 % l’entente de principe avec la compagnie aérienne alors que le taux de participation au vote s’est élevé à 99,4% selon le SCFP. Cette décision n’aura cependant pas d’influence sur les vols, puisqu’aucune grève ni lock-out ne pourra avoir lieu. Air Canada et le SCFP avaient envisagé cette éventualité et se sont entendus pour ne pas déclencher de grève ou de lock-out pendant que les négociations se poursuivaient par voie de médiation et d’arbitrage. 5 Septembre 2025. (PTAG)

2 septembre 2025 tiré d’International Viewpoint

Après quatre jours de grève inspirants, les agent·es de bord d’Air Canada votent maintenant sur une entente de principe (EP) qui offre des gains salariaux significatifs. Mais pour obtenir cette EP, les dirigeants syndicaux ont aussi accepté de sacrifier le droit des travailleuses et travailleurs de rejeter l’ensemble de l’entente et de lutter pour plus. Le socialiste canadien David Camfield explique les circonstances inhabituelles de cette lutte – et l’entente tout aussi inhabituelle qui l’a conclue.

Les agent·es de bord d’Air Canada (AC) et d’Air Canada Rouge, environ 10 500 travailleuses et travailleurs, ont fait grève du 16 août jusqu’au matin du 19 août. Le personnel est composé à 70 % de femmes et surtout de jeunes – les trois quarts ont moins de cinq ans d’ancienneté. Ils sont membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) parce qu’Air Canada était autrefois une société d’État fédérale (une entreprise publique) qui a ensuite été privatisée.

Les travailleurs n’étaient en grève que depuis quelques heures lorsque le gouvernement fédéral libéral est intervenu. La ministre du Travail a ordonné au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), l’organisme fédéral compétent pour les travailleur·euses du transport aérien, d’ordonner au syndicat de mettre fin à la grève et de trancher le conflit par arbitrage exécutoire. Cette intervention était largement attendue, puisque les libéraux l’avaient déjà fait à plusieurs reprises, en utilisant l’article 107 du Code canadien du travail.

La plupart du temps, les dirigeants syndicaux s’étaient simplement pliés à cette décision, mais pas cette fois-ci. La grève a continué.

Le président national du SCFP, Mark Hancock, a déchiré l’ordonnance de retour au travail du CCRI devant une foule de grévistes en liesse à l’aéroport Pearson de Toronto. Le message des dirigeant·es du SCFP national et de la composante Air Canada du syndicat était clair : la grève ne serait réglée que par la négociation. C’était une défiance ouverte de l’ordonnance fondée sur l’article 107, dont les dirigeant·es du SCFP contestaient la légitimité.

Hancock a déclaré qu’il était prêt à aller en prison si nécessaire. Cela peut arriver : Grace Hartman, présidente nationale du SCFP, avait purgé une peine de prison en 1981 pour avoir refusé d’ordonner aux travailleuses et travailleurs des hôpitaux ontariens en grève illégale de retourner au travail. Jean-Claude Parrot, du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, avait lui aussi été emprisonné en 1978 pour avoir refusé de dire à ses membres de respecter une loi de retour au travail qui mettait fin à une grève postale.

La grève était absolument solide, sans surprise, car le vote de grève avait été adopté à 99,7 % avec une participation de 94,6 %. Les agent·es de bord soutenaient fermement les revendications syndicales clés : des augmentations salariales substantielles pour compenser l’érosion du pouvoir d’achat subie sous la précédente convention collective – qui avait duré dix ans ! – et la fin du travail non rémunéré, une pratique de longue date dans l’industrie. En effet, les agent·es de bord n’étaient payé·es que pour le temps passé en vol, et non pour tout le temps passé dans l’avion au sol, avant ou après un vol.
Bien que la grève ait cloué au sol tous les vols d’Air Canada et perturbé les voyageur·euses, il y avait beaucoup de sympathie pour les agent·es de bord. Le SCFP avait préparé le terrain grâce à une communication publique efficace centrée sur la question du travail non rémunéré. Des membres d’autres syndicats et des personnes pro-syndicales ont commencé à se joindre aux piquets de grève.

Pour beaucoup de syndicalistes actif·ves, de militant·es de gauche et, je crois, pour de nombreux travailleurs et travailleuses, voir Hancock déchirer l’ordonnance de retour au travail et insister pour que la grève ne prenne fin qu’avec une entente négociée a été électrisant. Pour quiconque était consterné par l’usage du fameux article 107 pour étouffer les grèves et inquiet que cela donne des idées aux gouvernements provinciaux d’ajouter des dispositions semblables aux lois provinciales du travail – qui couvrent environ 90 % des travailleuses et travailleurs de l’État canadien –, voir le SCFP tracer une ligne de résistance a été très inspirant.

Le Congrès du travail du Canada (CTC), équivalent de l’AFL-CIO aux États-Unis, a publié le 17 août une déclaration exigeant le retrait de l’ordonnance. Il promettait un appui financier et autre à la grève, ainsi qu’une « solidarité indéfectible » si le gouvernement intentait une action contre le SCFP. Sans surprise, il restait vague sur la nature concrète de cet appui, mais il s’agissait tout de même d’un soutien sans équivoque à une grève défiant la loi. Le CTC appelait aussi le gouvernement à s’engager à ne plus jamais utiliser l’article 107 contre une grève et à l’abroger dès la prochaine session parlementaire.

La grève a continué jusqu’au lundi 18 août, alors que les négociations étaient suspendues. Mais ce soir-là, on annonçait que l’équipe de négociation du syndicat rencontrerait Air Canada. Tôt le matin du mardi, un accord était annoncé et la grève terminée. Le communiqué du SCFP donnait l’impression d’une grande victoire :

« Les agents de bord d’Air Canada et d’Air Canada Rouge ont conclu une entente de principe, obtenant un changement transformationnel pour notre industrie après une lutte historique pour affirmer nos droits constitutionnels. Le travail non rémunéré, c’est fini. Nous avons retrouvé notre voix et notre pouvoir. Quand nos droits ont été bafoués, nous avons tenu bon, nous avons riposté – et nous avons obtenu une entente de principe sur laquelle nos membres peuvent voter. »

C’est ainsi que la plupart des gens qui soutenaient la grève perçoivent le résultat, mais il n’a pas fallu longtemps avant que des faits viennent nuancer ce tableau.

L’entente de principe soumise au vote ne donne en réalité aux membres que le choix entre ratifier l’accord ou le rejeter, auquel cas les salaires seraient tranchés par arbitrage, tandis que toutes les autres clauses négociées seraient quand même intégrées dans la convention collective. Ce n’est pas du tout ainsi que fonctionne normalement la négociation collective au Canada. Les travailleuses et travailleurs syndiqués ont le droit de voter pour accepter ou rejeter une entente de principe dans son intégralité, sauf en cas d’arbitrage exécutoire. Mais ici, de façon très inhabituelle, et parce que le CCRI avait déclaré la grève terminée juridiquement, les travailleuses et travailleurs font face à un vote de ratification qui ne leur permet pas vraiment de rejeter l’entente. Les dirigeant·es du SCFP ont accepté un règlement qui prive les travailleurs-euses de ce droit et les empêche de reprendre la grève pour obtenir mieux dans ce cycle. Ils n’ont pas gagné une véritable entente de principe négociée que les membres pouvaient accepter ou rejeter, ce qui aurait rendu l’ordonnance de retour au travail lettre morte, encore moins forcé son retrait.

Les travailleurs et travailleuses doivent donc se prononcer sur un vote de ratification qui ne leur permet pas réellement de rejeter l’entente. (Voir l’introduction)

Quant au contenu de l’entente de principe de quatre ans, elle prévoit des augmentations salariales. Pour celles et ceux ayant moins de cinq ans d’ancienneté, une hausse de 12 % dès la première année ; pour les autres, 8 %. Ensuite, 3 %, 2,5 % et 2,75 % les trois années suivantes. Il y a aussi une rémunération partielle au sol, d’une heure ou un peu plus par segment de vol, selon la largeur du fuselage, avec un pourcentage progressant de 50 % du taux horaire cette année à 70 % en 2028. Ce sont des gains, absolument, mais cela ne signifie pas que le travail non rémunéré est terminé ni qu’il s’agit d’un changement « transformationnel ».

Le vote de ratification est en cours, du 27 août au 6 septembre, en ligne et par téléphone, et je m’attends à ce que certains ne votent pas du tout en raison de leur déception, de leur colère et de leur résignation face au fait que, même s’ils rejettent l’entente, ils ne seront pas autorisés à se battre pour une meilleure. Mais comme les attentes étaient élevées, peut-être qu’une majorité votera non. Bien qu’il soit théoriquement possible que les agent·es de bord rejettent l’entente puis déclenchent une grève sauvage qui défie la loi et leurs responsables syndicaux, je ne pense pas que cela se produira. Il faudrait pour cela une organisation vraiment solide parmi les travailleuses et travailleurs de la base, en dehors de la structure syndicale officielle, avec des dirigeants combatifs et sûrs d’eux, des conditions préalables qui semblent douteuses en ce moment.

Dans l’ensemble, je pense que le résultat est une victoire partielle et compliquée. Les travailleurs·euses ont obtenu de réels gains salariaux, mais ils n’ont pas le droit de rejeter une entente et de lutter pour une meilleure. Ce qui s’est passé ne semble guère de nature à dissuader le gouvernement fédéral d’utiliser à l’avenir l’article 107 pour mettre fin aux grèves.

Il convient de souligner que négocier une entente que les travailleurs·euses n’ont pas réellement le droit de rejeter présentait des avantages à la fois pour la compagnie et pour les responsables du SCFP. La compagnie a obtenu la garantie que la grève ne reprendrait pas, et les dirigeants syndicaux ont obtenu une protection contre la pression de la base les incitant à se battre pour une meilleure entente et à mener davantage d’actions de grève.

De plus, le résultat d’une entente que les travailleurs·euses ne peuvent pas réellement rejeter est néfaste pour la construction syndicale. Ce n’est pas démocratique. Cela a retiré des mains des travailleurs et travailleuses la décision de savoir si l’entente était suffisante. Cela n’encouragera pas les militantes et les militants les plus combatifs, qui ont été vraiment inspiré·es par la grève, à s’impliquer davantage dans le syndicat.

Une victoire plus importante était certainement possible. Air Canada était complètement clouée au sol. Elle perdait beaucoup d’argent et était donc sous une forte pression. La direction n’était absolument pas préparée à ce qui s’est produit. Elle s’attendait à ce que le gouvernement fédéral intervienne et que les dirigeants du SCFP disent alors aux travailleurs·euses de se conformer à un ordre de retour au travail. Pendant la grève, le SCFP a publié en ligne une image contenant une citation tirée d’une entrevue accordée par le PDG d’AC, Michael Rousseau, à BNN Bloomberg le 18 août. Rousseau a déclaré : « Eh bien, nous pensions, évidemment, que l’article 107 serait appliqué, et qu’ils n’essaieraient pas illégalement de l’éviter. »

Si la grève s’était prolongée, je pense que le SCFP aurait pu remporter une victoire beaucoup plus grande pour les agent·es de bord et pour la classe ouvrière dans son ensemble. Même sans forcer le gouvernement à annuler l’ordonnance, ils auraient pu obtenir une entente avec des gains plus importants, qui ignorait l’ordre de retour au travail — une entente que les travailleurs·euses auraient pu ratifier ou réellement rejeter. Cela aurait été un précédent incroyable. Et si des actions de solidarité avaient eu lieu, de la part de travailleurs·euses d’aéroport ou de travailleurs·euses de WestJet, principal concurrent d’AC — par exemple des ralentissements, des arrêts maladie, ou le refus de franchir les lignes de piquetage — d’autres employeurs auraient paniqué en coulisses et auraient fait pression sur AC pour régler le conflit. Je ne sais pas si de telles actions de solidarité auraient eu lieu si la grève s’était prolongée, puisque c’est illégal et que la plupart des travailleurs·euses aujourd’hui n’ont aucune expérience de ce type d’action, mais il n’est pas impossible qu’au moins un peu de cela se soit produit, surtout si le gouvernement avait décidé de punir le SCFP pour avoir défié la loi.

Alors, pourquoi les responsables du SCFP ont-ils mis fin à la grève de la façon dont ils l’ont fait ? Pour les dirigeants nationaux du SCFP, je pense que l’objectif principal était de négocier un règlement avec certains gains pour les agent·es de bord. Ils ne voulaient pas que tout soit décidé par un arbitre. Après l’intervention du gouvernement, cela restait leur objectif primordial. Remporter une victoire politique contre l’utilisation de l’article 107 pour casser des grèves — ce qui aurait été une victoire pour la classe ouvrière dans son ensemble — passait au second plan. Une fois qu’ils ont forcé AC à revenir à la table des négociations, ils ont abandonné cet objectif et se sont concentrés sur le but principal.

Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Surtout parce qu’ils sont attachés à la négociation collective. Ce processus légalement encadré et strictement contrôlé est au cœur de ce que fait la couche des permanents syndicaux, qu’il s’agisse des dirigeants élus ou du personnel — cela, ainsi que la gestion des griefs, qui est la manière de traiter les différends sur les droits des travailleurs·euses entre deux rondes de négociation.

Je pense que les dirigeants du SCFP ont montré qu’ils sont prêts à soutenir une action militante si c’est ce qu’il faut pour préserver la négociation collective conventionnelle. Cela les distingue des chefs de nombreux autres syndicats. L’intervention flagrante du gouvernement avec des ordres ou des lois de retour au travail mine la négociation collective conventionnelle. Ils sont donc parfois disposés à soutenir les travailleurs·euses qui la contestent, ou même à diriger cette contestation, comme ils viennent de le faire. Ils sont parfois prêts à utiliser des tactiques militantes pour lutter pour des objectifs qui ne sont pas radicaux.

Il faut se rappeler que défier la loi peut entraîner des amendes massives pour les syndicats. Cela peut les affaiblir en tant qu’institutions, voire menacer leur capacité à fonctionner. Pour l’appareil syndical, composé de dirigeants et de permanents à temps plein, c’est un problème d’une autre nature que pour les syndiqué·es de la base, car leur fonction dépend du maintien de la machine syndicale. Donc, une fois que les principaux dirigeants du SCFP ont vu une voie vers une entente qui mettrait fin à la grève et écarterait la menace d’amendes importantes ou de poursuites pour avoir défié la loi, ils l’ont saisie.

Un connaisseur du SCFP m’a dit ceci : « Il faut reconnaître au National d’avoir si bien joué ses cartes — ils se donnent efficacement l’image de militants audacieux auprès des membres et du public, tout en contenant les luttes dans les limites du statu quo. Ils ont le beurre et l’argent du beurre. »

Ce n’est pas la première fois qu’ils agissent ainsi. En 2022, lorsque le Conseil des syndicats scolaires de l’Ontario (OSBCU) du SCFP était en négociation et qu’il a été frappé par une loi provinciale préventive pour l’empêcher de faire grève, ils ont défié la loi et ont quand même fait grève. L’organisation d’actions de solidarité pour soutenir l’OSBCU avait commencé. Dès que le premier ministre provincial a dit qu’il retirerait la loi si la grève cessait, les responsables nationaux du SCFP et d’autres dirigeants syndicaux ont fait pression sur la présidente de l’OSBCU pour qu’elle accepte l’offre et retourne à la table de négociation sans le levier que représentaient les travailleurs et travailleuses en grève et leurs nombreux soutiens. Et c’est ce qui s’est passé.

De loin, le résultat de la grève d’Air Canada peut facilement sembler être ce que le SCFP national a dit qu’il était. Beaucoup de gens pensent donc probablement que ce fut tout simplement une immense victoire. Cela encouragera les militant·es syndicaux à l’utiliser comme exemple positif. Ils pourront dire : « Regardez, le SCFP a défié la loi et a gagné, c’est ce que nous devrions nous préparer à faire si nécessaire. » C’est bien. C’est positif que les agent·es de bord aient montré qu’on peut mener une grève populaire qui défie la loi et qui gagne, même si cela cause des désagréments à beaucoup de gens. C’est bien que le geste de Hancock, déchirant l’ordre de retour au travail, ait été largement relayé dans les médias.

Mais ce qui s’est réellement passé n’est pas ce que cela semble être vu de loin. Pour moi, ce qui s’est passé confirme que nous ne pouvons pas compter sur l’appareil syndical pour nous battre et gagner de façon cohérente, même quand les responsables semblent plus combatifs. Les membres qui veulent des syndicats réellement combatifs, démocratiques et solidaires doivent s’organiser eux-mêmes et travailler à transformer nos syndicats. Nous devons construire des caucus, des groupes de membres qui prennent à cœur ce que disait le Comité des travailleurs de Clyde en Écosse en 1915 : « Nous soutiendrons les responsables tant qu’ils représenteront correctement les travailleurs, mais nous agirons indépendamment dès qu’ils les trahiront. »

30 août 2025
Source : Tempest.

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