Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Postes Canada : pourquoi nous faisons la grève

La dernière grève du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) remonte à 1997. Il y a 14 ans, nous sommes descendus dans la rue et avons mis en jeu nos emplois, nos foyers et l’avenir de nos familles. Aujourd’hui, nous le faisons de nouveau, non seulement pour les gens avec qui nous travaillons, mais aussi pour ceux qui travailleront un jour à Postes Canada.

Nous sommes fiers d’être une organisation de travailleurs qui fait des pieds et des mains pour améliorer les conditions de travail de ses membres. Par conséquent, nous ne nous excusons pas de refuser les concessions déraisonnables qu’exige de nous une société rentable. Au cours des 15 dernières années, Postes Canada a réalisé des profits de 1,7 milliard de dollars, et elle maintient un tarif postal parmi les plus bas des pays industrialisés. De plus, ces 15 dernières années, Postes Canada a versé au gouvernement fédéral 1,2 milliard en dividendes et en impôts. Certains croient, à tort, que leurs impôts servent à payer nos salaires. En réalité, les travailleurs des postes ne coûtent rien au Trésor public. En maintenant la rentabilité de Postes Canada, notre travail permet plutôt de ménager les fonds publics.

Tout au long de la présente ronde de négociation, nous avons tenté de régler les problèmes auxquels nos membres se butent tous les jours. Ces problèmes touchent les effectifs, la mesure des itinéraires, les heures supplémentaires obligatoires, les méthodes de livraison, la santé et la sécurité.

Nous avons proposé à Postes Canada des solutions aux défis qu’elle doit relever, mais cette dernière ne s’intéresse qu’aux concessions qu’elle exige de notre part. Les négociations sont censées être un processus au cours duquel chacune des parties met de l’eau dans son vin. Nous voulons négocier, mais lorsque l’employeur ne fait qu’exiger des concessions plutôt que de discuter avec nous, nous n’avons alors pas d’autre choix que celui d’exercer notre droit légal de grève dans l’espoir que la grève et les piquets de grève devant les lieux de travail feront pression sur Postes Canada pour l’obliger à négocier.

Déclencher une grève est une affaire sérieuse. Ce n’est pas une décision qui se prend à la légère et nous l’éviterions à tout prix si Postes Canada ne se montrait pas aussi déterminée à réduire de façon draconienne les coûts de main-d’oeuvre. Nous avons dit à Postes Canada qu’il existait d’autres solutions que celles qui consistent à priver tous les travailleurs de leur régime de congé de maladie et à réduire le salaire des futurs employés. Plutôt que de s’en prendre aux travailleurs, d’autres administrations postales ont su relever les défis que pose la diminution des volumes de courrier. Par exemple, elles se servent de leur réseau pour offrir différents services, dont des services bancaires. En 2008, dans 44 pays, l’administration postale offrait des services bancaires générant plus de 20% de ses recettes totales. De 1867 à 1969, le Canada comptait une banque postale, laquelle offrait alors une solution de rechange fiable aux grandes banques commerciales. Dans la foulée de la crise financière, la pertinence d’une telle solution de rechange n’aura jamais été aussi grande.

Grâce à des idées novatrices comme celle-là, Postes Canada pourrait continuer d’être une entreprise rentable et efficace qui respecte son obligation d’assurer un service universel et qui répond aux besoins de la population. Elle n’a pas à opter pour la facilité en serrant la vis à ses employés au lieu d’améliorer ses services. Malheureusement, plutôt que de travailler avec nous pour trouver des solutions, elle choisit de tirer parti de la récession et d’exiger des travailleurs qu’ils fassent les frais de ses prévisions quant à la baisse des volumes de courrier. Postes Canada achète peut-être pour des milliards de dollars de nouvelle technologie, mais ses pratiques en matière de relations de travail remontent à l’ère du disco.

Les propositions de Postes Canada quant aux salaires et aux avantages sociaux font reculer ces derniers à ce qu’ils étaient au XXe siècle, et ce, bien que le coût de la vie ne cesse d’augmenter et qu’il soit de plus en plus difficile pour le salarié moyen (dont font partie les travailleurs des postes) de joindre les deux bouts. Il n’est pas possible de « moderniser » une entreprise en appliquant les normes de travail que Postes Canada veut mettre en place. Il n’est pas non plus possible de subvenir aux besoins d’une famille avec un salaire amputé de 22%. C’est toutefois ce à quoi Postes Canada s’attend de la part des futurs employés. Le fait que la société d’État tienne autant à ce recul, ainsi qu’à d’autres, nous oblige à déclencher la grève.

Nous savons qu’une grève des postes complique la vie de la population, bien que nos actions ne soient pas dirigées contre elle. En tant que travailleurs des postes, nous avons à coeur de bien faire notre travail. Il n’est pas facile de devoir envisager de composer avec des gens en colère, y compris des clients que nous connaissons et servons depuis des années. Cependant, nous savons aussi que bien des gens nous soutiennent, car ils comprennent que, parfois, les travailleurs doivent faire la grève pour défendre un principe important comme celui d’avoir un bon emploi.

Nous avons la certitude que bien des gens comprendront qu’il est devenu nécessaire de faire la grève afin d’obtenir de Postes Canada qu’elle négocie sérieusement. Nous espérons surtout que les jeunes travailleurs, dont nous défendons les salaires et les avantages sociaux, reprendront le flambeau et s’opposeront avec le même acharnement que le nôtre aux reculs que Postes Canada pourrait vouloir leur imposer un jour.

L’auteur est président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et négociateur en chef.

Denis Lemelin

Président national Syndicat des Travailleurs et des Travailleuses des Postes.

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