Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Éditorial

Pour un Québec indépendant, pluraliste et égalitaire

Ausstôt élu, François Legault joue la carte du nationalisme identitaire et demande à son ministre de l’immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, de préparer un projet de loi sur l’interdiction des signes religieux auprès des personnes en autorité et de préparer un test permettant de juger de l’adhésion des personnes immigrantes aux « valeurs québécoises ». Le ministre doit aussi préparer la réduction en 2019, du nombre de personnes immigrantes acceptées au Québec de 20%, soit l’équivalent de 10 000 personnes de moins et cela au nom d’une meilleure intégration. Quel message livre-t-il à la population ? Quelle posture politique cherche-t-il à construire ? Pourquoi centrer l’attention du public sur ces enjeux.

Une catholaïcité identitaire stigmatisante

Le gouvernement de la CAQ veut-il opérer une véritable séparation de la religion et du pouvoir politique ou s’attaquer au pouvoir de l’Église sur la vie politique ? Il n’en est rien. En fait, il s’agit principalement de prescrire que les personnes en autorité et le personnel enseignant n’aient pas le droit de porter des signes religieux. Tout le monde comprend que ce sont les personnes de religion musulmane, et particulièrement les femmes que l’on doit discipliner. Comme l’écrit Benoit Renaud : Le droit québécois et le droit canadien ne reconnaissent pas ce « droit de ne pas connaître la religion des autres » et lui préfèrent la liberté d’afficher son identité religieuse. Présumer qu’une personne qui porte un symbole permettant d’identifier son appartenance religieuse ne peut pas exercer sa profession de manière impartiale n’est rien d’autre qu’un préjugé, un « malaise » qu’il faut surmonter pour vivre dans une société pluraliste. Le devoir de réserve concerne l’expression d’idées politiques, ainsi que l’impartialité dans les décisions et les actions. Simplement dire (par un signe ou en parole) : « Je suis Juif » ou « Je suis chrétien » n’est pas en soi une atteinte à ce devoir.  [1]

Le gouvernement laisse encore entendre que les personnes qui ne se plieront pas à la loi annoncée pourraient perdre leur emploi ou du moins être reclassées dans un autre emploi. Pour ce qui est des vestiges restant du pouvoir de l’Église catholique : la présence du crucifix à l’Assemblée nationale, dans les palais de justice, les subventions gouvernementales aux écoles religieuses ou l’exemption fiscale accordée aux institutions religieuses en ce qui concerne le paiement de la taxe foncière générale ne seront pas touchés. Tout cela serait une question de défense du patrimoine du Québec.

Le test des valeurs repose sur un modèle essentialiste et culturaliste de la nation

Ce test des valeurs que nous prépare le gouvernement de la CAQ devrait permettre d’identifier ceux et celles qui seraient aptes à s’intégrer à la nation et les personnes qui, compte tenu de leurs valeurs, ne le pourraient pas. Ces personnes pourraient éventuellement être définies comme porteuses de régressions pour la société québécoise et mettre en danger son avenir. Ce projet du gouvernement Legault manipule en fait la rhétorique du danger des valeurs portées par les immigré-e-s. Ce test constitue en soit un durcissement des conditions d’accueil des personnes migrantes.

En fait, toute cette démarche repose sur une conception essentialiste et culturaliste de la nation qui fige la nature et l’évolution de sa réalité. Les valeurs actuelles sur les rapports hommes-femmes reflètent-elles la réalité du Canada français du temps de la revanche des berceaux, celle où prédominait de larges familles, le retour à la terre ou l’omniprésence de la religion dans toutes les sphères de la vie sociale ? En fait les caractéristiques de la nation québécoise sont en perpétuelle redéfinition. C’est le fait de vivre sur un même territoire, de partager des luttes communes pour donner à la société l’orientation qui définit les caractéristiques de l’identité nationale. Toute nouvelle question de société vient modifier cette identité. La question environnementale est un exemple de cela. Les populations immigrées qui se sont installées au Québec ont participé de cette redéfinition et cela continuera à se faire malgré les politiques qui visent à présenter une partie des nouveaux arrivants ou des différentes communautés culturelles comme un danger pour la nation, comme un éventuel ennemi de l’intérieur, qu’il faudrait contrôle et surveiller. [2].

La baisse des seuils d’immigration ou comment présenter cette dernière comme danger pour la nation québécoise

François Legault présente son option de réduire le taux d’immigration comme un choix rationnel pour ajuster les ressources aux problèmes liés à une intégration réussie. Il masque par là le caractère politique de sa proposition. En fait, il sait très bien que l’immigration est présentée par la droite nationaliste comme un instrument de dénationalisation de Montréal, comme un instrument de la régression démographique des Québécois-es francophones et comme un cheval de Troie servant à favoriser le recul de la langue française.

Prêter aux immigrantes la responsabilité du recul du français, c’est refuser de comprendre que ce recul repose sur le fait que les fédéralistes et les élites nationalistes se sont avérés incapables d’imposer une véritable défense du français dans les lieux de travail et qu’il est maintenant courant d’exiger le bilinguisme y compris dans des milieux francophones. L’anglais est maintenant plus facilitant que le français pour obtenir un emploi. C’est là une réalité à laquelle doivent s’adapter les nouvelles personnes arrivantes et la droite nationaliste ose leur prêter la responsabilité pour le recul du français. C’est vraiment inacceptable.

On ne peut pas leur prêter la responsabilité du poids des fédéralistes dans la société québécoise. C’est pourtant ce que la droite nationaliste comme Joseph Facal [3]qui affirmait, que toute hausse de l’immigration se faisait dans l’intérêt électoral du Parti libéral, et qu’elle contribuait à sceller l’avenir constitutionnel du Québec… Prêter aux personnes migrantes et aux communautés ethnoculturelles qui constituent une minorité de la population du Québec, l’impasse de la lutte pour la souveraineté, c’est se laver les mains de ses propres responsabilités.

Pourquoi le gouvernement de la CAQ joue-t-il cette carte à ce moment-ci ?

François Legault ne fait que surfer sur les craintes de l’étranger que les politiques sécuritaires instillent à flot continu. Il sait très bien que les flux migratoires vont se développer dans les années à venir alors que les guerres se multiplient dans l’espoir de s’accaparer les richesses pétrolières et gazières des pays du sud, que les changements climatiques agissent comme des facteurs d’expulsion de population. La réponse des autorités politiques des pays occidentaux a été de tenter d’interrompre les flux migratoires et de multiplier les contrôles administratifs et policiers aux frontières. C’est vrai en Europe comme aux États-Unis. La droite nationaliste dans différents pays sait qu’il est possible d’instrumenter les difficultés économiques et la précarité qui en découlent pour construire un bouc émissaire défini comme responsable des problèmes engendrés par la crise capitaliste actuelle. Alors qu’il s’apprête à continuer la politique austéritaire menée par le gouvernement Couillard, il est bon de détourner l’attention sur les premières victimes de ces politiques d’austérité.

Mais cette carte identitaire a de plus l’avantage de balayer à l’arrière-scène les débats cruciaux sur les politiques d’austérité du gouvernement Legault se prépare à mettre de l’avant.

Les politiques néolibérales sur l’immigration devraient être dans la cible des indépendantistes

Les politiques du gouvernement Legault sur l’immigration sont centrées sur la défense des intérêts des affairistes. Comme le gouvernement qui l’a précédé, le gouvernement Legault ne veut que d’une immigration qui satisfasse aux besoins d’entreprises précises. Il ne visera qu’à organiser une sélection de plus en plus pointue des personnes immigrantes pour répondre à des offres d’emplois précis. Pour d’autres secteurs du patronat, il se permettra de développer une immigration temporaire, qui n’a pas accès à la protection des normes du travail. Ces travailleurs-euses étrangers ont donc des conditions de travail ultra-précaires. Si on ajoute, une politique restrictive d’accueil des personnes réfugiées ( et François Legault n’a pas été avare de commentaires démagogiques et alarmistes sur les réfugié-e-s d’origine haïtienne à l’été 2017), on peut affirmer que les politiciens fédéralistes néolibéraux se payent à peu de frais un soutien dans des secteurs des communautés issues de l’immigration qui ne peut s’expliquer que par la politique inepte conséquence d’un nationalisme étroit.

Pour un Québec pluraliste et égalitaire : seule voie pour bâtir une nouvelle majorité populaire pour la justice sociale et l’indépendance

Contrairement à l’approche du nationalisme régressif de Legault et cie, les indépendantistes internationalistes doivent en finir avec le nationalisme étroit. Cela ne sera possible qu’en s’engageant avec détermination aux côtés de ceux et celles qui, en franchissant les frontières, revendiquent de mieux vivre, de fuir les situations de survie auxquelles ils-elles sont acculées. Il faut savoir accueillir les personnes réfugiées et refuser de limiter l’immigration à la seule utilité économique pour les entrepreneur-e-s. La libre circulation, le droit d’installation et l’égalité dans l’accès aux droits sociaux pour les immigré-e-s sont des droits fondamentaux pour l’humanité. Car l’immigration est une opportunité économique. Les personnes migrantes nous rendent plus riches collectivement, car ils et elles travaillent, consomment, créent de nouvelles richesses et paient des impôts.

Une hospitalité véritable peut se concrétiser par une série de luttes à mener conjointement avec les nouveaux et nouvelles venu-e-s :
• contre les discriminations économiques et reconnaissance des formations acquises.
• pour la syndicalisation et l’accès aux droits syndicaux de ces travailleuses et travailleurs immigrés
• pour favoriser l’accès à la francisation, à des mises à niveau et à de nouvelles qualifications
• pour s’opposer aux expulsions des demandeurs d’asile ou des sans-papiers [4]
• pour permettre la régularisation des sans-papiers – car personne n’est illégal.

Ce Québec pluriel passe également par une lutte systématique contre le racisme et l’islamophobie. Il faut se mobiliser pour ne pas laisser la droite et l’extrême-droite pourrir l’espace public par ses idées réactionnaires sur l’immigration Il faut en finir avec une laïcité identitaire et discriminatoire pour renouer avec le vrai sens de la laïcité visant la liberté de conscience et d’expression culturelle dans l’espace public.

Au-delà de ces luttes essentielles, il faut favoriser l’élargissement des droits politiques par la promotion d’une conception de la nation québécoise plurielle et civile qui élargit les droits politiques de ces communautés en leur donnant accès au droit de vote tant au niveau local qu’au niveau du Québec.

C’est en faisant du Québec une terre capable d’accueillir dignement les personnes réfugiées et migrantes et de mobiliser les moyens nécessaires pour leur offrir une véritable hospitalité, que les indépendantistes pourront définir un Québec pluriel, véritable front d’émancipation sociale et nationale de toutes les composantes de la société québécoise. C’est ainsi que l’on pourra unir ce qui doit être uni, la majorité populaire et qu’on pourrait enfin en finir avec la domination des élites nationalistes et fédéralistes qui sèment la division dans le camp populaire.


[1Québec solidaire doit prendre position contre la liste de prohibitions de Bouchard-Taylor, mardi 17 avril 2018

[2Voir, Le Blogue de Saïd Bouamama, Manipulation de l’identité nationale

[3Voir la chronique de Joseph Facal, Immigration : Le bal des hypocrites, Journal de Montréal, 7 septembre 2016

[4Le gouvernement Trudeau annonce aujourd’hui, 30 octobre 2018, qu’il veut atteindre une cible de 10 000 expulsions par année, téléjournal de Radio-Canada

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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