Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

Pour une relance des arts pour les arts

La ministre de la culture et des communications Nathalie Roy sort finalement de sa torpeur sous les pressions du milieu et annonce un soutien financier de près de 400 millions$ (en fait seulement 110 millions$ en argent neuf). Si cet apport d’argent peut permettre de respirer à court terme, il ne fait que reporter le problème à plus tard et ne s’attaque pas aux fondements des problèmes vécus par le secteur des arts.

Les réactions offusquées de plusieurs intervenants.e.s du milieu des arts et de la culture ont marqué les lendemains de la première déclaration de la ministre Nathalie Roy sur les mesures de déconfinement du secteur. Selon plusieurs, celle-ci a fait la démonstration de son incompréhension des enjeux et, plus généralement de son incompétence en annonçant la réouverture de plusieurs musée québécois, des comptoirs de prêts de bibliothèques publiques ainsi que la réouverture de 5 ciné-parcs avec un ton qui convenait davantage aux grands événements qu’à une annonce somme toute très limitée et qui en a laissé plusieurs sur leur faim. Et l’annonce de ce lundi 1er juin ne fait qu’ajouter des briques à un édifice dont les problèmes ne se limitent pas à une question de financement.

Ce qui a le plus déçu est le fait que les mesures ont été annoncées sans élaborer davantage sur une stratégie de relance de l’ensemble du secteur. Pourtant, ce gouvernement affairiste répète constamment que l’incertitude est le pire ennemi des entreprises. Or, il apparaît que la ministre Roy elle-même a érigé l’instabilité en système au sein même de son ministère. En effet, son cabinet a connu 3 directeurs au cours des 11 derniers mois, un nouveau records semble t-il. Ou bien la perception des caquistes de ce que sont les arts comme instrument pour réaliser des affaires dans des secteurs connexes (hôtels, restauration, etc.) fait en sorte qu’une simple injection de capital ferait en sorte que le secteur retrouvera son dynamisme.

Avec la pandémie, nous avons l’occasion de redéfinir les grands objectifs de la politique culturelle du Québec. D’y injecter des sommes additionnelles, ça va de soi mais pour en faire quoi ? Et pourquoi ? Pour qui ? Les mesures annoncées lundi ne comportent aucune réorientation des grands objectifs de la politique des arts. Les mesures de distanciations sociales et toutes les recommandations de la Direction de la santé publique continueront de dicter le rythme de réouverture des studios et des salles. Cela fait en sorte que les mesures annoncées lundi ne peuvent redémarrer la diffusion d’événements de façon régulière. Aucune salle ne va rouvrir dans les conditions recommandées par le DSP tout en étant rentables à moins de vendre les billets à des prix prohibitifs ou d’être compensées par des subventions, ce qui ne peut être une solution à long terme pour un parti comme la CAQ qui s’en tient au libre marché. L’occasion de revoir en profondeur les tenants et aboutissants du secteur existe encore. Voici quelques avenues qui pourraient être explorées.

Des états généraux des artistes

La plupart des gens déplorent que les géants du web comme les GAFAM pillent littéralement les contenus des créations artistiques (musique, littérature, reportages, etc,) sans payer en retour la valeur réelle de ces créations. Ces multinationales s’approprient le travail des artistes et il faut lutter avec conviction contre ce phénomène. Mais d’autres acteurs du secteur pigent aussi dans le plat de bonbons avant même que les artistes de reçoivent un malheureux sou : compagnies de disques, gérances de toutes sortes, studios d’enregistrement, à peu près tous les acteurs et actrices en périphérie du secteur sont davantage protégés des risques financiers liés aux arts bien avant les artistes qui sont pourtant les personnes centrales dans ce processus. Il serait temps que les artistes soient au centre de la redéfinition des tenants et aboutissants du secteur des arts. Pour faire un premier pas en ce sens, il faut mettre en place des mécanismes permettant un débat large sur l’orientation que doit prendre la création artistique et les mesures à mettre en place pour y parvenir, notamment en matière de soutien public. Tenir des états généraux des artistes ayant pour mandat de revoir l’ensemble des objectifs et des procédés du secteur serait une bonne façon d’entreprendre un tel exercice. Renforcer le droit d’auteur en serait une autre. Renforcer les dispositifs pour contrer les GAFAM viendrait compléter ces mesures. Or, en cette matière, le gouvernement Legault semble peu enclin à faire face à ces géants.

Mettre à contribution les réseaux des diffuseurs publics

Il faut donner de l’air à la création et à la diffusion des œuvres et ce rapidement. Il est réaliste de penser que la pandémie va affecter le secteur pour de nombreux mois encore. On évoque la fin de l’année 2021 pour revoir des concerts en salle, les pièces de théâtre devant publics, etc. Compte tenu que le gros des revenus d’artistes proviennent de ces activités, il est important d’élaborer des alternatives qui feront le pont en attendant la découverte de vaccins ou de solutions permettant aux artistes de rencontrer leurs publics en salles. Ainsi, les gouvernements fédéral et provincial pourraient donner à la Société Radio-Canada et à Télé-Québec le mandat de mettre à la disposition des artistes leurs différentes plate-formes audio-visuelles et numériques afin de favoriser la diffusion des œuvres et des événements.

Les médias publics devraient mettre en priorité l’appui à la création et à la diffusion des artistes et en faire la promotion. De cette façon, la dépendance des artistes face à des sites comme Facebook ou Spotify ou autres pour la diffusion de leurs œuvres serait grandement fragilisée. Ultimement, il s’agirait de créer une plate-forme québécoise offerte à tous les artistes en musique, théâtre, cinéma et autres disciplines pour trouver des occasions de rencontrer les publics et de faire connaître leur travail. La collaboration avec les diffuseurs publics peut s’étendre par la suite à d’autres diffuseur comme la Place des arts, le Grand théâtre de Québec ou des salles en régions avec présence du public tout en respectant les mesures de distanciation.

Par ailleurs, le ministère doit maintenir les subventions prévues pour la tenue des événements, de façon à conserver leur capacité de diffusion d’ici à ce que la pandémie soit chose du passé. Enfin, il doit revoir les critères d’attribution des subventions aux événements et aux artistes de façon à ce que les objectifs comme l’attraction de touristes ou les retombées économiques ne figurent plus comme critères. Les arts ne sont pas des instrument pour favoriser le plan d’affaires des restaurateurs ou des hôteliers.

Mettre en place un programme de soutien financier aux artistes, premiers pas vers un revenu citoyen

Les programmes d’aide se sont multipliés au cours des dernières semaines. Par contre, plusieurs artisans des arts n’y trouvent pas leur compte. Les artistes possèdent des profils de revenus a-typiques : des années de création sont peu source de revenus alors que les années de tournée, lancement d’oeuvres ou diffusion numérique génèrent davantage de revenus. Une politique de soutien au revenu des artistes doit donc tenir compte de ces particularités du secteur. Elle doit s’appuyer sur des mesures comme la PCU mais avoir un horizon beaucoup plus long soit jusqu’au moment où nous aurons dépassé la crise. Sans une telle mesure, le milieu risque de perdre de large pans de ses artistes qui devront réorienter leurs carrières face à l’inconnu. Ce serait une perte terrible de talents.

De nombreuses études montrent qu’un revenu citoyen permet de lutter contre la pauvreté ce qui constitue une caractéristique chez plusieurs artistes. Il permet de mettre en place les conditions pour que chaque individu puisse jouir de conditions de base et créer dans des circonstances (presque) normales. Il offre un soutien aux personnes marginalisées dans le secteur (femmes, minorités culturelles, etc.). Il offre les mêmes conditions aux artistes, qu’ils ou elles habitent Montréal ou Gaspé. Il permet de mieux répartir les revenus et de s‘assurer que personne ne verra ses œuvres laissées en plan parce qu’elle fut incapable de la compléter faute de moyens. Une fiscalité adaptée aux réalités du milieu pourrait déterminer un seuil au-delà duquel un impôt serait imposé pour éviter de creuser un écart de richesse.

Déjà toutes sortes de prestations sont offertes aux personnes touchées par la Covid-19. Il serait plutôt simple de mettre en place un tel programme qui tiendrait compte des particularités des réalités des artistes. Et selon la ministre, l’argent est disponible. Seule une totale incompréhension des réalités du secteur ainsi que le mépris pour les travail des artistes peut motiver l’inaction. D’ailleurs, un tel programme devrait être élargi à l’ensemble des salarié.e.s du secteur, un peu sur le modèle du soutien aux intermittent.e.s en France.

Entreprendre la révision du statut de l’artiste

Au-delà de la crise, le gouvernement Legault a déjà annoncé que la révision de la « Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma ». Un rapport devait être remis à l’été 2020 mais ce ne sera évidemment pas le cas, pandémie oblige.

Une telle politique doit s’appuyer sur une reconnaissance large du statut de l’artiste. Elle doit surtout redonner la priorité aux artistes dans l’écosystème du secteur des arts alors qu’actuellement, ils et elles sont les derniers à passer à la caisse.

Sortir les arts de la logique de profits

Le capitalisme a réussi a travestir le rôle des arts dans la société, notamment au cours des trente dernières années. Industrialisation de la production et de la diffusion des arts, instrumentalisation par l’industrie du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, intrusion des commanditaires privés et formatage pour leurs besoins, spéculation sur les catalogues de musicien.ne.s, les arts sont devenus une source de profits pour plusieurs secteurs de la finance. Pourtant, plusieurs s’entendent pour affirmer que les créations artistiques ne sont pas des marchandises. Qui ne se rappellent pas des débats entourant « l’exception culturelle » qui devait exclure la culture des règles des ententes de libre-échange et de commerce mondial ? Une promesse qui n’a pas été tenue. Les arts sont devenus, avec le soutien des Etats, une source de profits tant pour les entreprises que pour des individus entrepreneurs.

Il faut sortir les arts de cette logique et mettre en place un plan nous menant vers une gratuité progressive des arts publics. Il faut se rappeler que dans un passé pas si lointain, nous pouvions assister à des concerts gratuits, accéder aux sites des festivals sans payer ou au pire, acheter à prix populaire un macaron ou autres objets pour manifester notre soutien à l’événement. Nous pouvions amener nos « consommations » sur place. Puis, les marchands du temple ont vu l’opportunité de faire des profits avec de tels attroupements de personnes. Les hôteliers ont fait pression, les restaurants et les bars se sont joints à la danse. Tout ce qui gravitait autour des événements ont cherché des façons de mettre à contribution ces activités afin de « faire des affaires. »

Les pouvoirs publics doivent reprendre là où ils ont abandonné la scène aux profits des entreprises privées. Depuis des années, le ministère de la culture distribue des montants importants que les villes et MRC redistribuent par la suite aux diffuseurs des différentes régions. Pourquoi ces municipalités ne seraient pas plutôt les maîtres d’oeuvre de la diffusion, ce qui n’exclut pas les collaborations avec les organismes du milieu.

Bien sûr, une telle politique risque de bousculer plusieurs acquis des dernières années. Les grandes multinationales des arts comme Live Nations ou Ticketmaster ou même les grands d’ici comme Evenko ou Québecor ne trouveront certainement pas leur compte dans le politique exprimée ici. Mais elle n’est pas conçue pour eux ni pour les nombreux arrivistes qui pillent le travail des artistes. Elle est présentée comme une proposition pour redonner l’avantage à celles et ceux qui sont au centre de la création.

Plusieurs le disent : nous ne pouvons pas revenir à la réalité d’avant la pandémie. Nous devons revoir nos manières de faire. Dans le secteur des arts, la priorité devrait être de revoir le système de fonds en comble afin de redonner aux artistes la place centrale qui leur revient et du même coup écarter les prédateurs et autres profiteurs. Cette priorité devrait être accompagnée d’une volonté ferme de rapprocher les artistes de la population, à rendre les arts plus accessibles pour tous et toutes.

Les propositions de QS

Québec solidaire et Catherine Dorion ont présenté une proposition pour la relance du secteur. Cette proposition en 10 points qualifiée d’ambitieuse mise davantage sur la relance par la bonification du financement que sur une réforme en profondeur des mécanismes du secteur lui-même. On veut offrir un certificat-cadeau de 60$ à tous et toutes pour assister à des événements culturels. Un soutien plus généreux aux médias est demandé. On veut bonifier les budgets des organismes étatiques comme le CALQ et la SODEC et le soutien aux différentes disciplines artistiques. Et comme tous le monde, on veut imposer les GAFAM pour régler la facture sans toutefois préciser les moyens à prendre pour y parvenir. Si de telles mesures en elle-mêmes peuvent être utiles, elles ne s’attaquent en rien aux problèmes structurels vécus par le secteur. De fait, elles ne comportent aucun aspect sur les orientations à suivre pour sortir de la crise en meilleure forme ni sur la stratégique à adopter pour y parvenir. Une réelle réflexion programmatique sur le sujet devra être mise à l’ordre du jour par la formation de gauche au risque d’apparaître comme un parti parmi d’autres mais juste un peu plus généreux.

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