Édition du 26 mars 2024

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Québec

Projet de loi 2 - Lorsque les principes humanistes du Québec font naufrage : les hommes d’abord, les femmes et les enfants ensuite.

Le projet de loi 2 (PL 2) déposé à l’automne 2021 par Simon Jolin Barrette prévoit l’encadrement légal du recours aux mères porteuses. PL 2 instaure dans le Code civil du Québec le fait que la « filiation soit réputée ne jamais avoir existée » entre l’enfant et la mère porteuse (qui est celle qui porte l’enfant pendant neuf mois et lui donne naissance) afin qu’elle soit établie en faveur des personnes qui ont commandé l’enfant (parents commanditaires), suite au consentement de la mère porteuse.

Clémence Trilling, membre de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) En collaboration avec Lise Boivin.

Le droit d’accéder à une mère porteuse inscrit dans la loi

Ce n’est pas l’évolution naturelle des moeurs qui a généré cette pratique sociale. C’est l’industrie de la procréation assistée et les possibilités techniques qui ont fractionné la maternité en deux. Dans la plupart des GPA, des ovocytes sont extraits d’une donneuse. On implante ensuite dans la mère porteuse un embryon conçu grâce au sperme d’un des parents commanditaires. Cette dissociation de la maternité biologique a pour but de faciliter son effacement juridique et n’a aucune indication médicale.

Cette loi inscrira dans le code civil le droit pour tous d’accéder à une mère porteuse, au détriment de la dignité humaine des enfants et des femmes. Il n’y aura d’autre limite à l’accès à la parentalité que l’argent disponible.

Une subvention indirecte à l’industrie par les fonds publics

Les agences et intermédiaires commerciaux, encore absents au Québec grâce à l’effet dissuasif de l’article 541 du Code Civil du Québec (qui précise la nullité absolue des contrats de GPA), ne demandent qu’à s’installer ici pour profiter financièrement des subventions indirectes que constituent nos programmes sociaux.

Les « projets parentaux » par GPA « coûteront » 73 semaines au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) alors que les autres familles n’auront droit qu’à 55 semaines.

La GPA est d’ailleurs parfois présentée au Québec comme un moyen avantageux d’effectuer un retour aux études. Dans une société réellement féministe, l’accès à l’éducation serait universel et les mères n’auraient pas besoin de mettre à disposition d’autrui leurs capacités reproductrices en risquant leur santé pour s’émanciper. Une récente étude canadienne démontre bien ici même la disparité économique entre les mères porteuses (revenu inférieur à 40 000$ par an) et les parents commanditaires ,(revenus supérieurs à 80 000$)[[ Fantus S. (2020). A Report on the Supports and Barriers of Surrogacy in Canada. Journal of obstetrics and gynaecology Canada : JOGC = Journal d’obstetrique et gynecologie du Canada : JOGC, 42(6), 803–805.
1. Nous assistons à un retour au Moyen-Âge, sous couvert d’un vernis de progressisme.

Le déni de la réalité biologique de l’accouchement

Le projet de loi 2 prévoit un maigre délai de 30 jours après la naissance durant lequel la mère porteuse peut révoquer son consentement si elle s’est attachée à l’enfant. Des chercheurs réclament l’abolition de cette option pour motif de préserver la relation entre la mère porteuse et les parents commanditaires. Or, ce délai fragilise surtout l’industrie qui a besoin de garanties pour assurer sa croissance localement.

Les parents commanditaires n’auront d’autre évaluation que celle de l’épaisseur de leur portefeuille (une GPA coûterait au moins 80 000$). Seule une rencontre d’information avec un professionnel de la santé (fourni par les cliniques et les intermédiaires ?) sera requise. Encore un paradoxe, puisque les parents candidats à l’adoption sont rigoureusement évalués pour leurs compétences parentales et leur stabilité psychologique.

Qu’arrivera-t-il à l’enfant commandé qui ne convient pas aux désirs des parents, est handicapé ou dont la mère porteuse ou les parents commanditaires ne veulent pas ? Confié aux soins de la protection de la jeunesse au Québec ?

Une industrie internationale qui profite des disparités économiques

Le gouvernement semble ignorer le fait que le Canada soit devenu la plaque tournante internationale de la GPA, à savoir une destination offrant le meilleur rapport qualité prix pour les parents commanditaires étrangers.

Déjà dans les autres provinces, il y a une croissance du nombre d’enfants issus de GPA qu’on exporte vers des pays étrangers, avec passeport canadien et numéro d’assurance sociale2. En effet, il y a moyen de contourner la loi fédérale de 2004 sur la procréation assistée : du moment que la transaction et les paiements se font à l’étranger, la loi qui interdit la rémunération des mères porteuses ne peut s’appliquer. La GPA « à titre gratuit » est de plus en plus souvent dépassée par une industrie qui s’organise sur le plan international.

Étant donné que les conditions de la GPA seront plus strictes au Québec qu’ailleurs (mais jamais éthiques), il n’y aura pas suffisamment de mères porteuses pour répondre au marché local. Ce dernier se déplacera vers les pays plus pauvres, qui disposent de plus de femmes prêtes à louer leur utérus dans des conditions plus précaires. D’ailleurs, le gouvernement délivrera des « attestations » aux parents commanditaires québécois qui seront « contraints » d’aller faire des GPA à l’étranger. Quelle illusion, lorsque l’on sait la difficulté à suivre les abus et les trafics dans les pays pauvres où règne souvent la corruption !

C’est une démarche inégalitaire que d’avaliser un traitement différencié entre les femmes de pays pauvres et celles des pays riches et de profiter de leur vulnérabilité économique.

La déconstruction des principes humanistes de la société québécoise

En orientant les dépenses publiques vers cette pratique contraire à la dignité humaine et dont bénéficie une industrie milliardaire et des parents commanditaires qui sont parmi les plus nantis, le gouvernement s’affranchit de sa responsabilité sociale envers les Québécois et les Québécoises.

Pourquoi ne pas mettre en place des mesures concrètes pour favoriser la conjugaison travail/famille/étude afin que ceux qui le souhaitent puissent avoir des enfants lorsque la fertilité naturelle est la meilleure ? Il faut faire avancer les recherches sur les causes de l’infertilité. La coparentalité3 est déjà encadrée par loi et n’exploite personne.

Ce projet de loi est loin de favoriser le bien-être et la dignité humaine des femmes et des enfants. Ce n’est pas parce que c’est possible techniquement que c’est souhaitable socialement et qu’il faut le faire. Alors que le bien commun et la protection des moins nantis constituaient des repères essentiels pour la gauche, cette dernière semble impuissante à protéger la dignité humaine des plus vulnérables.

Notes

1 Fantus S. (2020). A Report on the Supports and Barriers of Surrogacy in Canada. Journal of obstetrics and gynaecology Canada : JOGC = Journal d’obstetrique et gynecologie du Canada : JOGC, 42(6), 803–805.
2 https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-how-canada-became-an-international-surrogacy-destination/
3 Deux exemples d’hommes homosexuels qui ont réalisé leur désir d’enfant sans exploiter qui que ce soit :
« Rufus Wainwrigh, père comblé », mars 2011 https://www.lapresse.ca/arts/vie-de-stars/201103/29/01-4384195-rufus-wainwright-pere-comble.php (son conjoint est un père adjoint)
« Quand l’amitié mène à la coparentalité : la belle histoire d’Andrée Martin et Florent Tanlet », 7 septembre 2021, Émission Pénélope, https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/penelope/segments/entrevue/370232/andree-martin-florent-tanlet-amis-parents-enfant-ensemble

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