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Argumentaire

Projet de loi 25 – Non à la hausse du tarif patrimonial d’électricité

Lettre envoyée aux députés de l’Assemblée nationale, le 5 juin 2013

Montréal, le 5 juin 2013

Madame la députée

Monsieur le député

OBJET : Projet de loi 25, articles 1 à 7

Le projet de loi 25 intitulé : « Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 20 novembre 2012 » est actuellement à l’étude à la Commission des finances publiques. Malheureusement, puisque la Commission n’a pas convoqué de consultations, il nous a été impossible de lui présenter notre point de vue. Nous vous transmettons donc par la présente quelques-unes de nos préoccupations, en espérant que nos arguments pourront ainsi être communiqués et pris en compte.

Nous voulons attirer particulièrement votre attention sur les articles 1 à 7, qui portent sur le dégel du prix du « Bloc patrimonial » d’électricité et sur la modification de certains pouvoirs de la Régie de l’énergie.

Nous soutenons que ces changements législatifs constituent et entraînent une utilisation abusive de la tarification d’un service essentiel, l’électricité, et l’instauration de taxes indirectes sur les activités d’Hydro-Québec réglementées par la Régie de l’énergie. Nous demandons par conséquent à tous les élus de s’y opposer.

Le dégel du Bloc patrimonial

Le bloc d’électricité que l’on nomme Bloc patrimonial correspond à la production du parc hydroélectrique le plus ancien, celui qui est issu de la grande période de la nationalisation de l’électricité des années 60 et 70. Son prix actuel, soit celui qu’Hydro-Québec Distribution (HQD) paye à Hydro-Québec Production (HQP) aux fins de revente, a été fixé en 2000, par voie législative, à 2,79 ¢ / kWh. Ce prix demeure bien au-dessus du coût de production réel du parc des « barrages patrimoniaux » qui est d’environ 2,1 ¢ / kWh. L’écart actuel entre le tarif patrimonial et le coût de production de l’électricité issue de ces barrages génère déjà pour Hydro-Québec Production un profit imposant, soit environ 1,15 milliard par année.

Le dégel du prix du Bloc patrimonial n’est donc nullement justifié par une question de coûts. Il servirait strictement à gonfler les profits d’Hydro et le dividende qu’elle verse au gouvernement à même ses profits. La mission première d’Hydro-Québec est de fournir le service d’électricité aux plus bas taux compatibles avec une saine administration financière. Cette mission est donc détournée au profit d’une logique comptable et mercantiliste par ces manœuvres qui ne visent qu’à remplir les coffres de l’État : les tarifs d’électricité deviennent sournoisement un substitut fiscal à l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés.

L’indexation proposée du tarif patrimonial entraînera, à elle seule, des augmentations annuelles de la facture d’électricité d’environ 1,2%. Ces hausses majoreront celles qui peuvent être accordées par la Régie de l’énergie dans le cadre de la réglementation sur les tarifs d’électricité.

Il semble d’autant moins admissible de vouloir hausser arbitrairement les tarifs d’électricité dans un tel contexte, c’est-à-dire sans que ces hausses soient nécessaires à une saine administration d’Hydro-Québec, qu’il s’agit d’un moyen fortement régressif de renflouer les coffres de l’État. Au Québec, les ménages composant le premier décile de revenus allouent environ 8,75 % de leur budget à la dépense d’électricité, contre 1,21 % pour ceux du décile le plus riche. Bon nombre de ménages parmi les plus pauvres sont locataires, dans des logements mal isolés et difficiles à chauffer, qui consomment donc plus d’électricité. Face aux hausses de tarifs, les ménages plus pauvres ou de la classe moyenne ne peuvent réduire que de façon marginale leur consommation. Les possibles changements de comportements et le peu de mesures d’efficacité énergétique qui sont à leur portée n’auront que des effets négligeables sur leur consommation d’électricité, parce que la majeure partie de cette consommation est liée à des besoins de base.

Ainsi, il est faux de prétendre que les bas tarifs d’électricité favorisent le gaspillage d’énergie et constituent une forme de subvention aux ménages les plus riches. Une hausse marquée des tarifs de l’électricité piégerait la majorité des ménages, ne laissant qu’aux plus riches la capacité de réduire leur consommation (géothermie, rénovations majeures, appareils de haute performance, etc.). En plus d’être touchés plus durement du fait de la régressivité de la mesure, les ménages les moins fortunés disposeront de moins de moyens pour échapper à cette augmentation de leur facture.

La hausse du tarif patrimonial restreindra immanquablement l’accès à l’énergie pour bon nombre de ménages à faible revenu ou à budget modeste pour qui la facture d’énergie représente un réel fardeau.

Mesures législatives concernant la Régie de l’énergie

L‘actuelle Loi sur la Régie de l’énergie confère à ce tribunal de réglementation économique le pouvoir de déterminer les montants des dépenses qu’elle juge nécessaires à la prestation des services de transport et de distribution d’électricité et à la saine administration des divisions réglementées d’Hydro-Québec. Ultimement, la Régie fixe les tarifs de façon à ce qu’ils permettent de récupérer les dépenses encourues par les divisions réglementées d’Hydro-Québec, les divisions Distribution et Transport, et qu’ils procurent à l’actionnaire unique, le gouvernement du Québec, un rendement jugé juste et raisonnable.

Or, le projet de loi 25 entend déposséder la Régie de l’énergie de certains de ses pouvoirs quant à la détermination des tarifs d’électricité.

En effet, c’est le gouvernement, et non plus la Régie, qui déterminera, arbitrairement plutôt que sur les besoins et les dépenses réels, les montants liés aux charges d’exploitation d’Hydro-Québec Distribution et Transport qu’ils pourront inclure dans leurs « dépenses » et que devront payer les usagers d’Hydro par l’entremise de leurs tarifs.

Puisque ces montants seront déterminés arbitrairement, sans lien avec les dépenses réelles nécessaires à la prestation du service, qui actuellement étudiées par la Régie sur la base des demandes et des prévisions d’HQ, nous y voyons la mise en place d’un mécanisme qui permettra une taxation indirecte des activités réglementées d’Hydro-Québec. Ainsi, les montants qui, pour une saine gestion, doivent être récupérés dans les tarifs pourront dorénavant être artificiellement gonflés par le gouvernement sans aucune justification.

En particulier, le projet de loi aura pour effet d’interdire à la Régie de prendre en compte pour l’établissement des tarifs la diminution des coûts d’exploitation ; cela permettra à la société d’État de récupérer les 225M$ d’économies en masse salariale que le gouvernement lui a enjoint de faire dans son dernier budget, gonflant ainsi le dividende à lui verser. Le gouvernement interdit donc à la Régie de faire bénéficier les consommateurs de ces économies relatives aux charges d’exploitation, ce qui aurait été le but et l’effet de la Loi actuelle.

La compétence de la Régie quant à la détermination des tarifs, et son devoir de protection des consommateurs d’électricité, s’en trouveront fortement amoindris.

Conclusion

L’adoption du projet de loi 25 permettra, par l’augmentation du prix de l’électricité patrimoniale et la fixation arbitraire des montants dont la Régie devra tenir compte à titre de dépenses pour la fixation des tarifs, la mise en place d’une mécanique de taxation indirecte des activités réglementées d’Hydro-Québec.

En conséquence, dans le cadre de l’étude du projet de loi, et en vue de contrer ces manœuvres qui auraient pour effet de dénaturer un organisme réglementaire, d’appauvrir les citoyens et de taxer régressivement un besoin essentiel, et ce, en contradiction avec la mission qui devrait rester celle d’Hydro-Québec, nous vous enjoignons d’entreprendre auprès des membres de la Commission sur les finances publiques toutes les démarches qui sont en votre pouvoir afin :

* Que soient annulées toutes les hausses prévues relativement au prix du bloc patrimonial, pour que continue de prévaloir dans le futur le tarif de 2,79 ¢/kWh actuellement en vigueur ;

* Que soient retirées du projet de loi les dispositions qui visent à lier la Régie de l’énergie ou à limiter ses pouvoirs, de façon transitoire ou permanente, quant à la détermination des tarifs d’électricité ;

Nous vous demandons également dans le cadre de vos travaux à l’Assemblée nationale, de veiller à ce :

* Que cesse immédiatement l’utilisation abusive d’un service essentiel tel que l’électricité comme moyen de financement de l’État ;

* Que soit assuré le financement de l’État par l’entremise d’une fiscalité progressive, par l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés.

Union des consommateurs

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