Édition du 10 décembre 2024

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Quand l'extrême droite se met au vert

S’intéresse-t-on suffisamment aux appropriations de la question écologique par la droite de la droite ? Convaincu du contraire, le chercheur Antoine Dubiau examine, dans Écofascismes, les liens plus ou moins opportunistes entre les idéologies fascisantes et la préservation des écosystèmes. (Manouk Borzakian)

Tiré du blogue de l’auteur.

On a dû s’habituer, ces dernières années, aux récupérations les plus hypocrites de la question environnementale par la logique marchande. Un exemple récent défraie la chronique en Tanzanie, où les autorités tentent d’expulser des dizaines de milliers de Masaï du cratère du Ngorongoro pour y préserver la biodiversité… et, selon toute probabilité, pour y permettre l’organisation de safaris de luxe, avec l’appui de multinationales du tourisme.

Au moins aussi inquiétante que ce passage de l’écologie à la moulinette du marché, la « fascisation de l’écologie » constitue une autre tendance de fond actuelle, étudiée par Antoine Dubiau. Explorant les discours écologiques contemporains, le chercheur montre comment l’écologie politique, bien que le plus souvent perçue – et se percevant – comme de gauche, offre des prises à son appropriation par l’extrême-droite ou, plus subtilement, à sa contamination par des thématiques réactionnaires.

Trop de monde sur Terre ?

Exemple avec la démographie, serpent de mer de la question environnementale au moins depuis la publication en 1968 de La Bombe P par le couple Ehrlich et celle en 1972 du Rapport Meadows – émanant du Club de Rome, dont il est bon de rappeler les positions très conservatrices de plusieurs de ses membres. Il est devenu banal de désigner la croissance de la population mondiale comme l’une des principales, sinon la principale cause des désordres environnementaux. Cette vision du problème, résolument occidentalocentrée, prend soin d’ignorer les prévisions des Nations unies, dont le scénario moyen prédit une stabilisation de la population mondiale à la fin du 21e siècle. Elle se garde surtout de tenir compte des écarts considérables entre les différentes parties du monde en matière d’impact sur les écosystèmes. Comme le rappelle Antoine Dubiau, les discours antinatalistes postulent une population mondiale « parfaitement uniforme », quand les habitants les plus riches de la planète polluent plusieurs centaines de fois plus que les plus pauvres.

Un exemple puisé dans la politique suisse permet de se convaincre du danger de cette « démographisation » de l’écologie. L’association Ecopop – pour Écologie et population – y milite depuis quelques décennies pour limiter l’immigration et consacrer une partie de l’aide au développement suisse au contrôle de la natalité. La focalisation du débat sur la démographie permet de ne pas questionner les modes de vie dans l’un des pays les plus riches du monde, moins encore la responsabilité de l’économie nationale dans le dérèglement climatique. Même si les liens entre Ecopop et la droite xénophobe helvétique sont avérés, l’argument de la préservation des ressources naturelles ne manque pas d’attirer la sympathie de personnalités étiquetées à gauche.

Autre exemple important analysé par Antoine Dubiau : la collapsologie. Résolument à la mode et émanant de la gauche, les théories effondristes offrent un discours simple – l’effondrement du système dans son ensemble est en cours – et agissent comme un « un grand attracteur » : elles agrègent une constellation hétérogène d’oppositions à la société industrielle. Prolongeant les nombreuses critiques de la collapsologie, Antoine Dubiau rappelle les limites scientifiques de ses thèses. Il insiste surtout sur leurs conséquences politiques : en décrivant l’effondrement comme inéluctable et uniforme – peu importe qui sont les responsables et qui seront les premières victimes –, les discours effondristes dépolitisent le débat sur l’environnement, en actant un événement qui n’a pas encore eu lieu mais contre lequel il est impossible d’agir. Cet « imaginaire de l’urgence », par ailleurs omniprésent dans la culture populaire depuis quelques décennies, nourrit les discours survivalistes émanant de l’extrême-droite suprémaciste.

Aux racines droitières de la pensée écologiste

Si l’écologie n’est pas immunisée contre les incursions d’idéologies fascisantes, l’inverse est aussi vrai. Au prix de quelques raccourcis et amalgames, le politologue Stéphane François a consacré plusieurs analyses à la généalogie réactionnaire de l’écologie politique : la dénonciation des dégâts environnementaux de la société industrielle et l’opposition au libéralisme économique et au productivisme offrent des passerelles entre la pensée écologiste et les mouvements intellectuels les plus réactionnaires.

Antoine Dubiau consacre une part de son analyse de cette « écologisation du fascisme » au cas de la « Nouvelle Droite ». Celle-ci opère, dans les années 1980, un virage écologique teinté de romantisme et de déclinisme. En lieu et place d’une critique du système économique et des inégalités qu’il génère ainsi que de son impact sur l’environnement, les figures les plus connues de la Nouvelle Droite, comme Alain de Benoist, mêlent rejet de l’américanisation de la société et de la mondialisation, nostalgie des valeurs du passé et vision ésotérique de la nature.

Plus largement, explique Antoine Dubiau, l’écologie « permet la mise en cohérence de divers mythes et mysticismes réactionnaires ». La peur du métissage et du dépérissement de la « race » blanche se fond dans une « écologie néo-païenne » fantasmant l’enracinement des cultures européennes dans leur environnement, les populations étrangères apparaissant comme des espèces invasives venant troubler un supposé équilibre plurimillénaire. On retrouve les fondements mystiques des précurseurs de la géopolitique et leur vision des peuples comme des organismes vivants.

Quelle écologie de gauche ?

Là encore, la droite catholique et une partie de la gauche antimoderne se retrouvent dans un grand élan confusionniste. Le mérite du livre est, de ce point de vue, double. Il incite à « prendre pleinement la mesure du risque » de l’écofascisme : l’écologie y sert de fondement à une vision figée de l’ordre social, dans laquelle la préservation de la nature se confond avec celle de la « race » blanche.

Et il rappelle la nécessité d’un travail théorique en profondeur pour fonder une écologie de gauche, identifiant au passage quelques écueils. Il évoque, en creux, l’un des principaux défis des pensées de gauche : construire un discours cohérent dénonçant la société marchande et les dégâts humains et naturels qu’elle provoque, tout en ne cédant pas à un romantisme réactionnaire.

À lire

Antoine Dubiau, Écofascismes, Éditions Grevis, 2022.

« Perspectives printanières », le blog d’Antoine Dubiau.

Élodie Vieille-Blanchard, « Le rapport au Club de Rome : stopper la croissance, mais pourquoi ? », Reporterre.

Manouk Borzakian

(Lausanne).

Gilles Fumey

(Sorbonne Univ./CNRS).

Bernard Duterme

Auteur pour le site Reporterre (France).

Nashidil Rouiai

(Université de Bordeaux).

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