Édition du 16 avril 2024

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Politique canadienne

Budget coupé, bibliothécaires muselés

Quel avenir pour Bibliothèque et Archives Canada ?

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a vu le jour en 2004 à la suite de la fusion de deux importantes institutions, la Bibliothèque nationale du Canada (1953) et les Archives nationales du Canada (1872). Sa mission est de « préserver le patrimoine documentaire pour les générations présentes et futures », en plus « d’être une source de savoir permanent accessible à tous1 ». BAC dessert une grande variété de personnes : des chercheurs, des universitaires, des historiens, des étudiants et des gens du grand public. Malheureusement, depuis près de deux ans, les services se dégradent et l’accès aux ressources est devenu ardu, voire impossible pour les citoyens éloignés de la capitale nationale. À coup de coupes budgétaires et de licenciements, le gouvernement conservateur menace le patrimoine historique et culturel du Canada.

Tiré du site du journal Le Mouton noir.

En 2009, Daniel Caron a été nommé au poste de bibliothécaire et archiviste du Canada. Cet économiste de formation a entrepris, au printemps 2010, la « modernisation » de BAC. Cette refonte du modèle de services, censée améliorer l’accès aux ressources en ligne pour tous les Canadiens, a plutôt signé le début d’une ère sombre dans l’histoire de BAC.

En 2012, le gouvernement Harper a réduit le budget de fonctionnement de l’institution de près de 9,6 millions de dollars sur trois ans, ce qui a entraîné l’accélération du processus de « modernisation » – entendre de rationalisation. Alors que 48 postes avaient déjà été supprimés depuis 2004, la direction a annoncé la suppression de 215 emplois supplémentaires, notamment parmi les bibliothécaires et archivistes spécialisés. L’unité de prêt entre bibliothèques, qui envoyait aux citoyens les documents qu’ils désiraient consulter dans une bibliothèque près de chez eux, partout au Canada, a été supprimée. BAC a également annoncé qu’elle n’acquerrait plus le patrimoine documentaire complet du Canada, mais seulement une collection « représentative ». Cette décision est dangereuse puisqu’elle suppose que des choix devront être faits parmi les documents déposés à BAC : or, tout choix est par définition subjectif. Comment la population pourra-t-elle être assurée que les documents retenus ne seront pas uniquement ceux correspondant à une idéologie gouvernementale ? Par ailleurs, après avoir imposé un moratoire de dix mois sur l’acquisition d’archives par voie d’achat, l’institution continue de laisser passer des documents de valeur patrimoniale et culturelle qui devraient revenir aux citoyens canadiens, mais qui aboutiront plutôt dans les collections d’autres bibliothèques nationales ou de collectionneurs privés.

Après avoir opéré ces changements draconiens, la direction de BAC a mis le feu aux poudres en adoptant un code de conduite pour tous les employés de son institution. Adopté en janvier 2013, le code stipule que les employés de BAC doivent en tout temps respecter un « devoir de loyauté » envers leur employeur. Le code régit le comportement des employés dans leurs activités professionnelles, mais aussi dans leurs activités personnelles. L’enseignement et la participation à des conférences y sont considérés comme des activités à « haut risque pour BAC et pour l’employé en ce qui concerne les conflits d’intérêts, les conflits du devoir et le devoir de loyauté2 ». Avant de parler en public, que ce soit devant une classe d’étudiants du secondaire ou un groupe de généalogistes, l’employé doit obtenir une autorisation de son supérieur, et ce, même si l’événement a lieu en dehors du cadre de son travail. Le code de conduite a été décrié par plusieurs associations professionnelles, dont la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec, l’Association des archivistes du Québec et l’Association of Canadian Archivists. Selon l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, qui a mis sur pied une campagne pour sauver Bibliothèque et Archives Canada, le code contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés.

Les différentes initiatives entreprises par la direction de BAC semblent tendre vers un même but : contrôler l’accès à l’information. Sans prêts entre bibliothèques, le seul moyen d’accéder aux documents est de se rendre à Ottawa en prenant rendez-vous à l’avance. Malgré ces démarches, il est possible que l’accès aux documents soit restreint puisqu’aucun personnel spécialisé ne pourra accompagner le citoyen dans ses recherches. Confronté à cette situation sur Twitter par un professeur de sciences politiques de l’Université de Waterloo, le ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, James Moore, a répondu que c’est « la raison pour laquelle le Musée canadien de l’histoire [a été créé] : l’accès. L’édifice de BAC n’est pas construit ou pensé pour l’accès au public. Mais l’histoire l’est » (sic). À défaut de pouvoir accéder aux documents d’archives du Canada, les citoyens pourront se faire raconter leur histoire par les conservateurs.

Contrairement à ce qui avait été annoncé dans le plan de « modernisation » de BAC, les citoyens n’auront pas accès, à court ou moyen terme, à plus de documents en ligne. Pendant que le gouvernement justifiait ses coupures de services par la nécessité de passer sur le Web, il réduisait du même coup 50 % du personnel affecté à la numérisation. En déposant une demande d’accès à l’information, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a découvert que seulement 0,5 % des collections de BAC avaient été numérisées à ce jour. L’estimation des coûts de numérisation des livres, des revues et des journaux publiés de BAC se situe entre 1,5 et 3,5 milliards. « Selon le rythme actuel des dépenses de numérisation […], il faudrait de 300 à 700 ans à BAC pour numériser l’ensemble de ses collections.3 » Au moment de mettre sous presse, le journal Ottawa Citizen annonçait qu’une entente secrète avait été établie entre BAC et le consortium Canadiana.org, qui numériserait des millions de documents en échange de leurs droits d’exploitation pour une durée de 10 ans. Canadiana pourrait donc vendre l’accès à des documents qui appartiennent déjà aux Canadiens. Suite aux fuites dans les journaux, l’annonce de l’entente, dont les détails devaient être dévoilés le 21 juin, a soudainement été reportée à une date ultérieure.

La récente démission de Daniel Caron, pour des raisons d’abus de fonds publics, laisse espérer que le prochain bibliothécaire et archiviste du Canada saura mieux défendre et protéger son institution. En attendant la nomination qui sera effectuée par les conservateurs, une chose demeure certaine : un gouvernement restreignant l’accès à ses archives devrait être surveillé de près.

Notes

1. Bibliothèque et Archives Canada, www.bac-lac.gc.ca.

2. Lettre envoyée à Daniel Caron par l’Association des archivistes du Québec, l’Association of Canadian Archivists et le Canadian Council of Archives, www.archivistes.qc.ca/IMG/pdf/Lettre_Daniel_Caron_20130327.pdf.

3. Sauvons Bibliothèque et Archives Canada,www.sauvonsbiblioarchives.ca.

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