Tiré de Canadian dimension.
Ellen Gabriel et Sean Carleton
18 septembre 2025
S’il existe de bonnes raisons de résister à l’expansionnisme américain et de rejeter le rêve de Trump d’annexer le Canada comme 51ᵉ État, ce nationalisme « agressif » risque de raviver une nostalgie superficielle qui dissimule la propre histoire coloniale du Canada. Si cet écueil n’est pas évité, le pays ne pourra prétendre être sérieux dans son engagement à améliorer ses relations avec les peuples autochtones ou à construire un avenir plus fort et plus juste.
Un exemple frappant de cette attitude est la nouvelle vidéo We Are Canadian (https://www.cbc.ca/news/canada/we-are-canadian-video-1.7475829) , un remake de la publicité de bière I Am Canadian (https://www.youtube.com/watch?v=BRI-A3vakVg) diffusée il y a 25 ans. Destinée à rassembler les Canadiens, elle occulte en réalité le bilan d’agressions coloniales du pays — exactement le type d’antagonisme qu’elle prétend dénoncer. La vidéo évoque brièvement la soi-disant « crise d’Oka », qu’il faut plutôt rappeler comme ayant été le siège violent des communautés mohawks de Kanehsatà:ke et Kahnawà:ke à l’été 1990. Ce moment est utilisé comme un simple clin d’œil aux « imperfections » du Canada, notamment son traitement des peuples autochtones mais, ce faisant, il trivialise les événements.
L’été dernier marquait le 35ᵉ anniversaire de la Résistance mohawk, moment opportun pour réfléchir à la façon dont la vidéo déforme ces événements. Voir le siège absorbé aujourd’hui dans une nostalgie nationaliste est un signe inquiétant que le Canada se prépare peut-être à relancer une nouvelle vague de colonialisme « agressif ».
Au sommet de la rhétorique martiale de la vidéo, le narrateur s’interrompt un instant pour admettre : « Sommes-nous parfaits ? Non. » Derrière ces mots défile la photo iconique Face to Face, montrant un guerrier masqué faisant face à un soldat canadien en 1990. L’image est puissante, mais son utilisation est problématique. Depuis des décennies, journalistes et politiciens s’en servent pour présenter le conflit comme une affaire de « guerriers machos », détournant l’attention de l’enjeu réel : le vol continu des terres autochtones par le Canada. Cela alimente aussi la déshumanisation des Mohawks, qui défendaient leurs terres contre des incursions violentes justifiées au nom de la « sécurité publique » et de la croissance économique.
En traitant l’image comme un symbole d’imperfections passées, la vidéo suggère que la violence du Canada envers les peuples autochtones est derrière nous. Ce n’est pas le cas. La colonisation continue. La surveillance et le contrôle policier des communautés autochtones ne se sont jamais arrêtés. Ces dispositifs servent encore les spéculateurs fonciers, les promoteurs immobiliers et les entreprises extractives, et non la réconciliation.
L’usage trompeur de la photo de 1990 et la référence aux « imperfections » du Canada sont significatifs, car la Résistance mohawk n’était pas un incident isolé. C’était une tentative de l’État d’écraser les défenseurs autochtones des terres qui s’opposaient à l’agrandissement d’un terrain de golf et de condominiums de luxe sur une pinède sacrée et un cimetière actif — terres appartenant aux Kanien’kehá:ka sous Kaianera’kó:wa. Le siège de 78 joursm mené par la Sûreté du Québec, la police urbaine de Montréal et finalement l’armée canadienne, a révélé la violence coloniale du Canada pour ce qu’elle était : non pas une erreur, mais une défense délibérée de l’expansion coloniale.
Réduire de tels événements à une simple « imperfection » occulte la réalité d’un Canada agresseur colonial et génocidaire. Au mieux, la vidéo évoque vaguement la réconciliation, mais cette promesse sonne creux. Dix ans se sont écoulés depuis la publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation et de ses 94 appels à l’action. Bien que certains progrès aient eu lieu, le Canada continue de résister aux changements profonds nécessaires pour placer la vérité avant la réconciliation.
Le pays fait face à un choix. Va-t-il apprendre de son passé et bâtir des relations plus solides avec les peuples autochtones, ou bien, sous la pression de l’expansionnisme américain, redoubler d’agressivité coloniale comme en 1990 ? Les événements récents suggèrent la seconde option.
Le premier ministre Mark Carney, malgré des promesses initiales de soutenir la réconciliation, a maintenu le même cap colonial que ses prédécesseurs. En forçant l’adoption du projet de loi C-5 sans respecter réellement l’exigence juridique du consentement libre, préalable et éclairé, il a montré que la rhétorique de la réconciliation continue de masquer le statu quo. La propriété par l’État de pipelines traversant des territoires autochtones en est un autre exemple flagrant. Les actions de la Couronne qui affectent ces territoires devraient entraîner plus que de simples consultations symboliques ou séances « d’engagement » que l’on peut ignorer sans conséquence. C’est le même vieux manuel du capitalisme colonial.
Le plan canadien « elbows up » pour affirmer sa souveraineté ressemble moins à une défense contre l’agression américaine qu’à une intensification du déni des droits autochtones au service de gains économiques à court terme. Cette posture peut projeter une image de force, mais il s’agit de la force d’un État colonial refusant de changer.
À l’approche du 35ᵉ anniversaire de la fin de la Résistance mohawk, le 26 septembre, il convient de rappeler que la voie de l’agression coloniale n’est pas inévitable. C’est un choix. Les Canadiens peuvent garder les coudes levés, mais ils devraient aussi garder les yeux et les oreilles ouverts — pour apprendre l’histoire longue et toujours actuelle de l’agression du Canada contre les peuples autochtones et pour s’engager à la combattre.
La menace que Trump fait peser sur le Canada — et les façons dont les Canadiens se défendent — ne devrait pas détourner de l’effort essentiel de placer la vérité avant la réconciliation, de construire de meilleures relations avec les peuples autochtones et de créer un avenir plus durable et plus juste.
Katsi’tsakwas Ellen Gabriel est Kanien’kehá:ka, Wakeniáhton (clan de la Tortue), artiste, documentariste et militante autochtone pour les droits humains et l’environnement, vivant sur le territoire de Kanehsatà:ke Kanien’kehá:ka. Elle est coauteure, avec Sean Carleton, de When the Pine Needles Fall : Indigenous Acts of Resistance.
Sean Carleton est un historien allochtone et professeur agrégé à l’Université du Manitoba.
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