Édition du 16 avril 2024

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Élections fédérales 2011

Sur le succès électoral du NPD au Québec : deux hypothèses et une question

Le succès élec­toral que vient de connaître le NPD au Québec, abso­lu­ment sans pré­cé­dent, va sûre­ment sus­citer beau­coup d’analyses dans les mois et, nous annonce-t-on par­fois, les années à venir.

Tiré des Nouveaux Cahiers du Socialisme
Mis en ligne le 08 mai 2011 par les NCS

Il peut être inté­res­sant pour­tant d’avancer d’ores et déjà cer­taines hypo­thèses per­met­tant d’éclairer ce succès, qui ébranle mani­fes­te­ment l’ensemble de la « classe poli­tique » qué­bé­coise, chro­ni­queurs des grands médias, com­men­ta­teurs et ana­lystes che­vronnés, per­sonnel poli­tique élu et non élu. En ce len­de­main d’élections, il est pénible, soit dit en pas­sant, d’entendre par ailleurs cer­tains carac­té­riser le vote majo­ri­taire qu’a exprimé la popu­la­tion du Québec de vote quasi fri­vole, peu sérieux. Comme si le « sérieux » en poli­tique était réservé à ce que cette classe juge tel ou aux milieux qu’elle fréquente…

S’il est vrai que la cam­pagne du NPD a pu paraître rela­ti­ve­ment vague, il n’en reste pas moins qu’elle s’est déroulée en met­tant en avant de grands prin­cipes et cer­tains objec­tifs de pro­grès social : volonté de prise en compte des besoins des majo­rités, néces­sité d’une amé­lio­ra­tion des condi­tions de vie des aînés et de la pro­tec­tion des régimes de pen­sions, contrôle des coûts du crédit par cartes ban­caires, notam­ment. Dans un cadre où l’ensemble des forces poli­tiques gou­ver­nantes s’entête depuis un quart de siècle à n’annoncer sans cesse que « du pire » et œuvrent, semble-t-il, à pré­ca­riser tou­jours davan­tage des situa­tions déjà dif­fi­ciles, le mes­sage néo­dé­mo­crate a pris le contre-pied de leur dis­cours et exprimé l’essoufflement des­dites majo­rités. Le vote massif en faveur du NPD au Québec a permis de crier : « C’est assez ! ». Vote de pro­tes­ta­tion, sans aucun doute, mais qui témoigne éloquem­ment de ce que les élec­to­rats qui veulent du chan­ge­ment ne penchent pas « natu­rel­le­ment » vers la droite, pas plus au Québec qu’ailleurs dans le monde.

Cela dit, il faut noter aussi que le NPD n’a accru au Canada anglais le nombre de ses membres au Par­le­ment fédéral que de six députés. Il a d’ailleurs par­ti­cu­liè­re­ment mal paru dans les pro­vinces où il forme le gou­ver­ne­ment : rayé de la carte au Mani­toba, par exemple, et rien de mieux en Nouvelle-Écosse. Dans cette der­nière pro­vince, il est géné­ra­le­ment accepté que le mécon­ten­te­ment popu­laire envers le gou­ver­ne­ment néo­dé­mo­crate pro­vin­cial, qui s’est réper­cuté sur le vote au fédéral, vient de ses poli­tiques bud­gé­taires, notam­ment de ses cou­pures dans les ser­vices publics. Au Québec, cet aspect des choses ne pou­vait évidem­ment se mani­fester. Le taux d’abstention, tel qu’il peut être établi en ce moment, est à peine moins élevé à l’échelle pan­ca­na­dienne qu’en 2008 : un peu moins de 40% cette année contre un peu plus de 40% alors, sur une pente quasi uni­for­mé­ment des­cen­dante depuis des décen­nies. Chiffres glo­ba­le­ment iden­tiques pour le Québec.

Para­doxa­le­ment peut-être, ces forts taux d’abstention, la montée du NPD au Canada et, sur­tout, l’exceptionnelle pro­gres­sion du vote en sa faveur au Québec pro­cèdent pour une large part d’un phé­no­mène unique. Voilà une pre­mière hypo­thèse à faire valoir. Ce phé­no­mène qui leur est commun, c’est l’absence de confiance envers le vieux sys­tème de partis, le mécon­ten­te­ment à son endroit de sec­teurs signi­fi­ca­tifs de l’électorat, la moro­sité plus grande qu’à l’ordinaire. L’abstention atteint des som­mets his­to­riques au Canada, élément qu’on doit, par­tiel­le­ment à tout le moins, envi­sager comme pro­duit du désen­chan­te­ment ou d’un bilan négatif porté à l’encontre des joutes de pou­voir habi­tuelles ; au Québec, la même absence de confiance et la même moro­sité se sont mani­fes­tées par un trans­fert très signi­fi­catif de votes en faveur des néo­dé­mo­crates en sus d’une abs­ten­tion massive.

Car il n’apparaît pas réel­le­ment plau­sible à cette étape que l’appui au NPD s’y ins­crive dans un pro­cessus de renou­vel­le­ment de l’attachement au sys­tème de partis fédéral. Pour les néo­dé­mo­crates, l’enjeu est pré­ci­sé­ment de faire la preuve doré­na­vant qu’ils méritent bien l’appui de l’électorat qué­bé­cois, et donc qu’ils n’ont pas été qu’un ins­tru­ment ser­vant encore une fois à mar­quer son éloi­gne­ment de ce sys­tème. Le Bloc qué­bé­cois a été, pour sa part, vic­time lui aussi de cette fatigue de la popu­la­tion à l’endroit des joutes élec­to­rales fédé­rales, vic­time, en quelque sorte, de ses succès du passé, qui en ont fait l’une des forces poli­tiques les plus impor­tantes. Le vote de pro­tes­ta­tion envi­sagé comme action de retrait de la joute poli­tique « offi­cielle », qu’il a exprimé pen­dant des années, deve­nait dans ce cadre encore plus mar­quant avec les can­di­dats néodémocrates.

La divi­sion au Québec entre les options sou­ve­rai­niste et fédé­ra­liste est réelle et porte sur une ques­tion de fond, une ques­tion qui n’est pas sym­bo­lique ni far­felue, comme sem­blait le croire Michael Igna­tieff, non plus qu’un leurre cachant les vrais pro­blèmes, comme on entend encore sou­vent au NPD. Et l’on sait que chaque parti pro­vin­cial et fédéral du Québec en a régu­liè­re­ment joué lorsque ses cam­pagnes ne « levaient » pas suf­fi­sam­ment, puisque bon an mal an cha­cune des deux options pou­vait compter sur quelque 40% de sup­por­ters dans la popu­la­tion. Le Bloc qué­bé­cois a d’ailleurs tenté de s’adresser direc­te­ment aux par­ti­sans de l’indépendance quand il est devenu dan­ge­reu­se­ment évident pour lui que ses appuis s’effritaient. À ce moment, l’erreur com­mise par beau­coup d’analystes avait été de juger que si le NPD gagnait en puis­sance, cela ne pour­rait se faire qu’au détri­ment du PLC, c’est-à-dire par un dépla­ce­ment de votes entre partis fédéralistes.

C’était oublier que, his­to­ri­que­ment, la robus­tesse, la fidé­lité et l’énergie poli­tiques des forces sou­ve­rai­nistes, comme de l’appui à l’indépendance, ont été asso­ciées aux cou­rants et aux sen­si­bi­lités pro­gres­sistes dans la société qué­bé­coise. Une montée du NPD au Québec sur une plate-forme de pro­grès ne peut pas relever d’une évolu­tion par­ti­sane limitée à des fédé­ra­listes. Au sein de la popu­la­tion fran­co­phone du Québec, l’appui à l’option consti­tu­tion­nelle fédé­ra­liste s’est main­tenu au fil des décen­nies comme appui de groupes davan­tage liés à la pro­priété privée, aux réseaux de la gou­verne régio­nale qui leur étaient liés, aux vieilles élites locales, etc., de même qu’aux tenants de valeurs plus traditionnelles.

Évidem­ment, il y a des par­ti­sans de réformes sociales parmi les fédé­ra­listes et des cou­rants plus conser­va­teurs parmi les par­ti­sans de l’indépendance du Québec. Mais l’absence de déve­lop­pe­ment his­to­rique du NPD au Québec vient pré­ci­sé­ment de ce que la gauche anglo­phone pan­ca­na­dienne a refusé les reven­di­ca­tions natio­nales qué­bé­coises dès le début des années 1960, for­çant la majo­rité des fran­co­phones pro­gres­sistes à quitter le parti durant les pre­miers mois de sa for­ma­tion ; ils se retrou­vèrent géné­ra­le­ment par la suite du côté de l’option indé­pen­dan­tiste puis du Parti qué­bé­cois. Si, durant la der­nière cam­pagne élec­to­rale, les néo­dé­mo­crates mar­quaient des points au Québec, c’était obli­ga­toi­re­ment du côté d’un élec­torat qui, au moins en partie, avait déjà voté sou­ve­rai­niste. L’erreur de pers­pec­tive vou­lant que les appuis au NPD ne pro­viennent au Québec que d’anciens élec­teurs libé­raux venait de cet oubli. Voilà une deuxième hypo­thèse pou­vant servir à l’explication des résul­tats de lundi. D’ailleurs, en toute fin de cam­pagne, le Bloc qué­bé­cois a de nou­veau modifié son mes­sage, en met­tant à la fois l’accent sur la ques­tion natio­nale et sur son carac­tère de parti pro­gres­siste, ce qu’on n’avait pas pro­clamé de la sorte depuis longtemps.

Depuis les années 1960, le NPD n’a pas été reconnu comme leur parti par les mou­ve­ments sociaux, syn­di­caux et com­mu­nau­taires au Québec, et encore moins son option consti­tu­tion­nelle. La gauche n’a pas milité dans ce parti et sa montée pré­sente n’a pas été prise en main par ces mou­ve­ments. Son chef qué­bé­cois Thomas Mul­cair vient du PLQ, Fran­çoise Boivin, avo­cate patro­nale, du PLC ; mais plu­sieurs de ses can­di­dats et can­di­dates étaient néan­moins des syn­di­ca­listes, des pro­mo­teurs des droits autoch­tones, des tra­vailleurs sociaux et des béné­voles com­mu­nau­taires. Il s’agit d’une dépu­ta­tion qui a tout intérêt à tenter de s’adresser aux mou­ve­ments pro­gres­sistes de la société québécoise.

Cela ne peut pas se faire en « sau­tant » par-dessus les ques­tions poli­tiques impor­tantes pour le Québec, aux­quelles les néo­dé­mo­crates doivent apporter des solu­tions com­pa­tibles avec leurs valeurs pro­fes­sées. Au nombre de ces ques­tions, bien sûr, la ques­tion du statut du Québec. Durant la cam­pagne, pas trop fort cepen­dant, Jack Layton a laissé entendre qu’il recon­naî­trait la déci­sion que pren­draient éven­tuel­le­ment les Qué­bé­cois à cet égard, par exemple dans un nou­veau réfé­rendum. À ce qu’on a pu com­prendre, le direc­teur pan­ca­na­dien de la cam­pagne du parti a désa­voué cette idée.

Il serait peut-être intem­pestif d’exiger pré­sen­te­ment une posi­tion achevée sur la ques­tion natio­nale du Québec de la part du nou­veau caucus du parti à Ottawa, et même de son caucus qué­bé­cois. Mais un point de départ pour les par­le­men­taires néo­dé­mo­crates de la pro­vince, notam­ment pour se rap­pro­cher des grands mou­ve­ments sociaux et syn­di­caux, serait de piloter en chambre une véri­table pro­po­si­tion d’abrogation de la loi dite de « clarté » : il s’agit d’une loi de domi­na­tion sur l’avenir de la popu­la­tion qué­bé­coise, puisqu’elle soumet pré­ci­sé­ment son avenir national au bon vou­loir du Par­le­ment fédéral, où les députés qué­bé­cois sont lar­ge­ment mino­ri­taires, qui lui-même doit tenir compte des avis de cha­cune des autres pro­vinces prise sépa­ré­ment, où la popu­la­tion qué­bé­coise n’a pas de repré­sen­tants. Il serait dif­fi­cile d’imaginer une for­mule plus expli­cite de déni du droit démocratique.

C’est une ques­tion qui se pose à la nou­velle dépu­ta­tion néo­dé­mo­crate du Québec : sans avoir pré­sen­te­ment toutes les réponses sur l’option consti­tu­tion­nelle qu’elle sou­hai­tera éven­tuel­le­ment sou­mettre à la dis­cus­sion, lui serait-il pos­sible de s’engager main­te­nant à piloter une pro­po­si­tion d’abrogation comme telle de la loi Chrétien-Dion ? Car cette abro­ga­tion repré­sente un préa­lable néces­saire à toute liberté de déci­sion de la popu­la­tion qué­bé­coise, et donc au libre exer­cice de la démocratie.

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