Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Au-delà du vivre ensemble, il y a le grandir ensemble

Texte intégral du discours de Webster lors de la commémoration du 29 janvier

Nous reproduisons le texte intégral de l’intervention de Webster (Aly Ndiaye) à la commémoration 2020 de l’attentat qui a eu lieu à la Mosquée de Québec le 29 janvier 2017.

https://www.reddit.com/r/Quebec/comments/ewpq5h/texte_int%C3%A9gral_du_discours_de_webster_lors_de_la/

As salaam aleykum

Kwe à nos soeurs et frères autochtones à qui appartiennent ces terres sur lesquelles nous nous trouvons et qui n’ont pas été cédées.

J’aimerais me tenir devant vous, aujourd’hui, avec un message d’espoir. Vous dire que tout ira bien, que tout ira pour le mieux, que nos frères qui ont été assassinés, lâchement, il y a de ça trois ans maintenant, ne sont pas décédés en vain, mais, et j’en suis désolé, nous n’y sommes pas encore. Il serait hypocrite de ma part de vous parler d’un futur enchanteur, à portée de main, quand notre présent est encore en chantier. Un chantier des plus difficile et ardu.

Va-t-on se réunir chaque année à cette date et vivre le reste de nos journées comme des 28 janvier ? Vivre les 364 autres jours de l’année dans le même contexte qui a permis cet acte barbare et insensé ?

Ne vous trompez pas, l’islamophobie existe au Québec, le racisme existe au Québec, tout comme le sexisme, l’homophobie (et plusieurs autres -ismes et phobies). Pourquoi sommes nous capables de reconnaître ces deux derniers, mais avons si peur, en tant que société, de faire face aux deux premiers ? Plus que de l’espoir, il nous faut du courage. Le courage de nommer, le courage de se faire face et de changer. Dire qu’il y a de l’islamophobie au Québec ne veut pas dire que nous sommes toutes et tous islamophobes ; on ne devrait pas avoir à le répéter incessamment afin de ménager les insécurités de certains. Il nous faut du courage, le courage de se regarder, de s’écouter et d’apprendre les uns des autres. Il faut d’abord nommer si nous voulons évoluer, changer, grandir et tendre vers un vrai futur commun.

Mes concitoyennes, concitoyens, courage ! Nommons le racisme systémique sans avoir peur ; ayons la sagesse et l’intelligence de comprendre que systémique ne veut pas dire systématique. Il nous faut plus de maturité, une maturité sociale, humaine, pour avoir l’audace de se faire face. Comprendre nos forces, nos faiblesses sans chercher à glorifier les unes tout en camouflant les autres.

Aucune société n’est parfaite ; la différence se trouve en celles qui sont capables de se voir comme elles sont, sans s’enfermer dans une vision passéiste, identitaire et exclusive. Ce passé qui, et je le mentionne souvent, n’est pas aussi homogène qu’on le prétend ; on n’a qu’à penser à cette présence autochtone plusieurs fois millénaire, cette présence africaine et afro-descendante depuis les débuts du 17e siècle, une présence arabo-musulmane depuis au moins le 19e siècle et des présences juives et asiatiques depuis des siècles aussi. Va-t-on laisser l’ignorance dicter qui nous sommes ? Va-t-on laisser les chroniqueuses et chroniqueurs, marchands de haine, nous dicter à quoi doit ressembler notre société ? Va-t-on laisser le gouvernement déterminer ce que les femmes doivent porter, où et quand ?

Malheureusement, c’est ce qui se passe en ce moment. L’intolérance a libre cours et le racisme est désormais décomplexé et ce, jusqu’au sein même de nos appareils démocratiques, piliers de notre société. Le chantier est bien réel et nous devons nous atteler, toutes et tous à la tâche.

L’islam et l’immigration, ou, du moins, ces idées fausses et réductrices que certains s’en font sont désormais subordonnés aux intérêts économiques des groupes médiatiques et commerciaux ; subordonnés aux intérêts électoralistes des politiques identitaires. Ces gens font appel à la peur pour des gains spécifiques qui se calculent en clic, en audimat ou en bulletins de vote.

S’il vous plaît, ne me dites pas que cette commémoration ce soir n’a rien de politique, car elle l’est ; surtout en ce moment. Ne me dites pas que ce doit être un moment d’espoir, car que faire de l’espoir si nous n’avons pas de courage ? L’espoir sans le courage d’agir n’est que rêveries.

Dans les mots d’Alexander Grant, je nous souhaite Lumière, Vie et Liberté. Libérons-nous de nos peurs, de l’intolérance et de l’ignorance.
Libérons-nous de cette emprise mortifère que sont le racisme, la xénophobie et l’islamophobie. Libérons-nous des jeux manipulatoires identitaires et, surtout, libérons-nous de la médiocrité et de l’étroitesse d’esprit.

Soyons larges, larges et ouverts.

Je n’ai besoin de personne pour me “redonner la fierté d’être québécois”. Je suis déjà fier et je n’ai jamais perdu cette fierté. Je suis Québécois, je suis Canadien, Sénégalais, Noir et Musulman. Je suis le Québec.

Le 29 janvier, qu’on le reconnaisse ou pas, est marqué dans nos têtes, nos coeurs, nos âmes, comme une journée de lutte contre l’islamophobie et l’intolérance. Que vous le vouliez ou non. Nous sommes plus grands que la peur, nous sommes plus grands que l’ignorance, plus grands que la haine. Au-delà du Vivre-Ensemble, il y a le Grandir-Ensemble. Construisons ensemble.

Aly Ndiaye, alias Webster

Aly Ndiaye, alias Webster, est né et a grandi dans le quartier Limoilou à Québec. D’un père sénégalais et d’une mère québécoise, il a toujours été fier de ses origines et se présente comme un SénéQueb métis pure laine. Sa passion pour l’histoire l’a mené à faire des études universitaires dans ce domaine.

Militant, Webster s’implique beaucoup socialement. Il donne régulièrement des conférences sur une multitude de sujets dont, son thème de prédilection, l’histoire de la présence afro-descendante et l’esclavage au Québec et au Canada depuis l’époque de la Nouvelle-France. Afin de mieux diffuser ces informations, il a mis sur pied les tours Qc History X, une visite guidée de la ville de Québec à propos de ce pan d’histoire largement méconnu. Il était aussi le commissaire de l’exposition Fugitifs ! au Musée National des Beaux-Arts du Québec d’avril à septembre 2019.

Depuis 2009, il parcourt le monde afin de présenter des ateliers d’écriture où il apprend l’utilisation créative du français à travers le rap. Il a visité plusieurs universités américaines dont Harvard, M.I.T., Howard, Georgetown et UCLA. Il a aussi donné des concerts, des conférences et des ateliers d’écriture dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Sud.

Côté musical, Webster est actif depuis 1995 ; membre-fondateur du collectif Limoilou Starz, il est un vétéran et l’un des pionniers du mouvement hip-hop québécois. Le Vieux de la Montagne est reconnu pour la qualité de ses textes ainsi que l’intelligence de ses propos. Son art est un outil qu’il affine depuis plus de deux décennies afin de véhiculer de la manière la plus créative son bagage culturel et intellectuel.

Webster est aussi l’auteur d’un manuel d’écriture hip-hop, À l’Ombre des Feuilles (Québec Amérique, 2019), et d’un livre jeunesse à propos d’Olivier Le Jeune, le premier esclave africain au Canada, Le Grain de Sable (Septentrion, 2019).

http://www.websterls.com/#intro

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