Édition du 23 avril 2024

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Syndicalisme

Un choix difficile pour les membres du STTP

Au cours des dernières semaines, les membres du STTP de partout au Canada et au Québec ont débattu de l’opportunité d’accepter ou non la prolongation de leur convention collective telle que proposée par le Conseil exécutif national (CEN) du syndicat. Depuis un mois les membres ont eu l’occasion de participer aux assemblées d’informations en présentiel ou par vidéoconférence pour ensuite effectuer leur vote. Les assemblées de vote se terminent le 3 septembre.

Les directrices et directeurs nationaux des régions de l’Atlantique, du Québec, de Montréal, de Toronto, du Centre et de l’Ontario, des Prairies et du Pacifique sont unanimes à appuyer la recommandation de prolonger la convention collective. L’unanimité n’a jamais été facile à obtenir. C’est la première fois que cela se produit depuis les années 1990, souligne Nancy Beauchamp, factrice rurale et maintenant directrice nationale de la région Montréal-Métro.

La convention collective actuelle est le résultat d’une décision de l’arbitre MacPherson , suite à la loi de retour au travail adoptée par le gouvernement libéral de Justin Trudeau le 26 novembre 2018. La direction nationale du STTP a maintenant négocié une prolongation de deux ans qui comprend plusieurs améliorations à la convention collective imposée ainsi qu’une augmentation de salaire. Sylvain Lapointe, ancien président de la section locale de Montréal et dirigeant national pendant de nombreuses années, souligne qu’accepter de prolonger une convention collective imposée par un arbitre n’est pas sans précédent dans l’histoire du STTP. À trois autres occasions (1992, 1999 et 2012), après que le syndicat eut reçu l’ordre de retourner au travail, des ententes ont été conclues avec la Société canadienne des postes qui prolongeaient le délai prévu par la loi.

Selon le président de la section locale de Montréal, Alain Robitaille, « La proposition d’accepter l’entente de prolongation permettra également d’avoir suffisamment de temps pour évaluer les lacunes des nouveaux droits contenus dans la convention collective existante afin d’ajuster le Programme national de revendications actuel. Le syndicat n’a pas eu la possibilité de tester ces nouvelles dispositions depuis l’entrée en vigueur de la convention collective actuelle.

Coleen Jones, directrice nationale de la région du Pacifique, explique que l’impact de la pandémie est toujours présent et que le syndicat doit se préparer pour la quatrième vague cet automne. Au cours de la dernière année et demie, le STTP a dû faire face à de nombreux problèmes, notamment « les travailleurs aux prises avec des problèmes de garde d’enfants, ceux qui s’occupent de leurs ainés ou de partenaires qui ont perdu leur emploi, les familles qui essaient de joindre les deux bouts avec un seul revenu , etc. De nombreux membres doivent d’abord récupérer, afin de se préparer à riposter le moment venu. »

Dans son article paru dans Rank and File portant sur la situation du STTP (“‘No’ campaign emerges to kill dubious Canada Post deal”), (1) Doug Nesbitt fait la promotion des positions de la section locale d’Edmonton, notamment : « Nous ne devrions jamais ratifier un contrat inadéquat qui nous est imposé en arbitrage. Ce n’est pas un gain. » Cependant, cet argument ne prend pas en compte le contexte social et politique dans lequel se dérouleraient les négociations– en particulier la pandémie – ni la mobilisation nécessaire pour gagner l’adhésion du public et éviter une législation de retour au travail.

L’augmentation des salaires a été au centre du débat. Certains membres le considèrent comme inférieur à l’inflation. En plaidant sa cause, le syndicat explique que les augmentations salariales du STTP de 2 %, 2,5 % et 2,9 % pour les années 2018 à 2021 ont été égales ou supérieures à celles obtenues dans la plupart des conventions collectives au cours des dernières années. De plus, l’ajout d’un montant forfaitaire unique de 500 $, n’ouvrant pas droit à la pension, représente une augmentation de 2,8 % du salaire de la première année par rapport au salaire annuel actuel.

Selon Coleen Jones, « La proposition salariale actuelle est plus avantageuse que celle récemment négociée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC-AFPC) (8,08 % sur quatre ans). Cela représente à elle seule unréel progrès, surtout par rapport à d’autres syndicats. Le STTP a également une clause d’ajustement au coût de la vie (CIVC) et toutes les nouvelles et nouveaux employéEs sont inclus dans ces protections et avantages.

Il y a actuellement des milliers de communautés sans service bancaire mais qui ont accès à des bureaux de poste. L’ajout de services financiers maintiendra ces bureaux de poste ouverts.

Banque postale

En 2016, le STTP a lancé une grande campagne autour d’une proposition de services bancaires postaux (1) qui a été appuyée avec enthousiasme par de nombreuses organisations de gauche. Bien que la banque postale ne soit pas la question majeure, la direction du syndicat considère qu’il est important d’aller de l’avant avec cette idée, même si tous les objectifs ne se réalisent pas tout de suite. Le bulletin du syndicat explique que l’entente prévoit le lancement de nouveaux services financiers à Postes Canada, en partenariat avec une institution financière canadienne, comprenant des tests de marché dans certains endroits d’ici la fin de 2021. Il y a actuellement des milliers de collectivités sans service bancaire mais avec accès aux bureaux de poste. La fourniture de services financiers maintiendra ces bureaux de poste ouverts et permettra de créer de nouveaux emplois.

Selon Coleen Jones, le partenariat avec le secteur privé servira de terrain d’essai. Il assure une injection de fonds qui permettra de compenser les pertes subies pendant la pandémie et de créer de nouveaux emplois. Cela n’exclut pas non plus la possibilité que Postes Canada offre ses propres services sans partenariat plus tard, comme cela a été le cas par exemple au Brésil.

Dans une publication récente du groupe Facebook CUPW (Unofficial) , l’ancien président national Mike Palecek a fait remarquer que le plan ne fournit pas d’alternative publique : « il laisse les banques privées entrer dans le service postal public… ce n’est pas une banque postale, c’est un vol de banque postale ! ». Cette position contredit toutefois l’opinion exprimée dans un document officiel du STTP publié au début de 2016 alors que Palecek était encore président, intitulé « Une banque postale, une banque pour tous ! ». Selon le document : « Il existe de nombreux modèles de banques postales. Certaines administrations postales mettent sur pied leur propre banque. D’autres agissent à titre d’intermédiaires financiers en fournissant des services en partenariat avec des banques et d’autres institutions financières, par exemple des coopératives d’épargne. » (2)

Une stratégie politique

Il y a plusieurs facteurs à considérer dans la décision de comment livrer la bataille et dans ce cas-ci à quel moment. D’abord et avant tout, il est judicieux de choisir le moment le plus propice et de développer un rapport de force. À l’ère de la législation de retour au travail, il est essentiel pour tout syndicat du secteur public de développer une stratégie pour gagner le soutien du public. Dans le moment présent, la pandémie a fragilisé l’économie et de nombreuses personnes se retrouvent dans des situations précaires. La négociation n’est jamais facile et la menace de loi spéciale ajoute du poids au rapport de force patronal. À quelques semaines des élections fédérales, on ne sait pas qui va gagner, mais il y a fort à parier que le futur gouvernement n’hésitera pas à adopter à nouveau une loi de retour au travail. Le STTP obtiendra-t-il le soutien public dont il a besoin ? Sinon, il revient à la case départ.

La décision doit tenir compte du contexte ainsi que du rapport de forces, évaluer les gains par rapport aux revers possibles. Il faut aussi considérer l’impact de ne pas livrer bataille maintenant sur l’ensemble des problématiques . Cela explique la volonté de nombreux membres du STTP d’aller de l’avant avec les négociations maintenant en refusant l’entente afin de régler les problèmes dont Postes Canada est responsable.

Comme le souligne Jane Marsh, militante de longue date et membre de l’exécutif de la section locale de Toronto : « Il y a beaucoup de nouveaux membres à Toronto qui veulent riposter parce que la convention collective actuelle imposée par l’arbitre a entraîné des reculs. » Se battre et refuser l’accord proposé est bien sur une stratégie à considérer, à condition cependant qu’elle ait un espoir de succès et ne conduise pas les membres vers une situation désavantageuse par rapport à l’acceptation de l’accord de principe. Quelle que soit l’issue du 3 septembre, la décision appartient aux membres et la lutte doit continuer.

(1) No’ campaign emerges to kill dubious Canada Post deal
(2) Une banque postale, une banque pour tous ! https://www.cupw.ca/fr/campaign/resources/une-banque-postale-une-banque-pour-tous-feuille-de-renseignements
(3) Idem

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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