Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Une « rentrée » anxiogène pour les otages des libéraux

« Quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner »
Péguy, Pour la rentrée

Dans plusieurs collèges et universités, les cours reprendront exceptionnellement à la mi-août. Ce ne sera pas une « rentrée » au sens habituel du terme. Ce que l’on ne sait pas et qui passe sous le radar des grands médias traditionnels, en effet, c’est que les étudiants devront « avaler » neuf semaines de cours en six et qu’ils devront se soumettre à quatre évaluations en moins d’un mois et demi. Les collèges et les universités, pour affronter la grève historique et le printemps québécois, ont eu l’obligation de proposer des calendriers modifiés au Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Le semestre d’hiver s’achèvera à la fin de septembre et celui d’automne, qui débutera au milieu d’octobre, se terminera extraordinairement en janvier 2013. Pour ceux qui veulent voir, on le voit bien : nous n’avons pas affaire à une session d’automne ordinaire parce que l’école a été oubliée par les libéraux. Le gouvernement libéral, pour être plus précis, a improvisé une sortie de crise en prenant en otage une partie de la population. Toutes les personnes qui ont été paralysées par la grève historique, une grève qui en vérité continue encore, sont aujourd’hui prises en otage et doivent obéir à de nouvelles consignes provenant d’en haut. Ce texte voudrait mieux faire comprendre la « non-rentrée » 2012 et montrer qu’une gouvernance politique est petite quand elle fait des otages au nom d’une stratégie électoraliste qui boude le bien commun.

Qu’est-ce qu’une politique libérale ?

Le parti libéral, c’est mieux connu désormais, dirige d’abord pour ses amis. Il se sert de l’État, qui est pour lui une entreprise, a des fins particulières. Il a pour politique la privatisation des ressources naturelles et des biens publics. Il parvient en général à son objectif, depuis neuf années en trois mandats, par des modifications aux lois en vigueur, souvent des allégements, comme des exemptions de taxe sur le capital, l’augmentation des taxes des citoyens et surtout le copinage, lequel conduit piano piano à la collusion et la corruption. Voilà pourquoi son calendrier politique répond impérativement à une question très précise : à qui, parmi les proches du parti, l’ascenseur doit-il revenir ?

Prise d’otages par la loi spéciale

Évidemment, l’un des risques les plus subtils avec les agendas privés est de favoriser indirectement des « prises d’otages », c’est-à-dire de mettre sur pieds des politiques qui utilisent une partie ciblée de la population. On ignore encore trop souvent que, dans le contexte de la grève étudiante, la loi « spéciale » (projet de loi 78), en plus de modifier l’équilibre des saisons d’études, obligera par exemple les professeurs à enseigner plus tôt le matin et à terminer leurs cours plus tard le soir. Les cours seront allongés et tous les calendriers modifiés. Qu’ils auront moins de temps pour écouter leurs étudiants, les évaluer et remettre les notes à la fin du semestre. Les personnels des institutions, les professeurs et les étudiants seront bientôt débordés parce que la crise n’a pas été réglée et que le gouvernement, au lieu de se montrer à la hauteur de ses responsabilités, a tout misé sur la politique de l’autruche. Cette politique veut qu’il ne soit pas grave de remettre à plus tard, de laisser pourrir un conflit et que, finalement, il sera possible d’utiliser les élections pour rester au pouvoir.

Une question simple destinée à tout travailleur

Notre situation pour le moins exceptionnelle nous conduit à poser une question simple : quel travailleur, qui n’a pas fait de grève ou de « boycott », accepterait de voir ses conditions de travail modifiées unilatéralement et sans son consentement ? Qui voudrait voir son emploi transformé sans égard aucun à ses conditions de travail dûment négociées ? La réponse va de soi. Pourtant, c’est ce que de nombreux employés de l’État québécois vivront sous peu. Le gouvernement libéral ne semble pas penser que le petit monde de l’éducation, le cœur de la société, exige un cadre décent et adéquat. Il semble plutôt croire que les étudiants, les professeurs et les employés des institutions scolaires ne sont pas respectables (après tout, ils ont aussi « boycotté » malgré eux les cours) puisque sa loi les instrumentalise à des fins partisanes. Dans les collèges et les universités, au milieu d’août, ce ne sera donc pas l’éduction qui sera la priorité, ni la réussite des étudiants, mais l’urgence et la survie. On voudra certes s’en sortir sans trop souffrir. On se demandera comment travailler correctement lorsque la plupart des étudiants et des employés seront mêlés et perturbés, ailleurs, cherchant des points de repère dans une session perdue.

Un souhait pour septembre

C’est pour toutes ces raisons que nous anticipons une « rentrée » anxiogène. Nous craignons que les calendriers modifiés feront des « otages » et génèreront de nombreuses frustrations dans plusieurs institutions. La loi « spéciale », plus ou moins démocratique, critiquée par nos juges en toge et la Commission des droits de la personne, mais aussi par Amnistie Internationale, fera porter aux étudiants, aux professeurs, aux personnels et aux administrations des collèges et des universités une gouvernance politique douteuse, irresponsable, sans aucun doute électoraliste. À tous ceux qui se demandent si cela est acceptable, nous répondons non. Il est à souhaiter – notre pouvoir à plus de limites que de possibilités de changer les choses – que nous serons, nous les « otages politiques » des libéraux, nombreux à aller voter en septembre.

Article à paraître sur Politicoglobe

Dominic Desroches
Département de philosophie
Collège Ahuntsic

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