Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Venezuela - Sécheresse, électricité, délinquance, corruption

Des élections législatives sont prévues le 26 septembre prochain au Venezuela. Le scrutin vise à élire la nouvelle Assemblée nationale. Presse-toi à gauche poursuit la publication d’une série d’articles sur le pays et le processus en cours. Le pays que plusieurs voient comme le laboratoire du socialisme du XXIe siècle connaît des avancées mais aussi plusieurs situations contradictoires. Nous souhaitons que les prochains témoignages pourront éclairer davantage une situation cruciale pour l’avenir du mouvement anticapitaliste. Cette semaine :l’état de la société et de la production d’énergie

Un contexte particulier

Une sécheresse historique

Ces derniers mois, le Venezuela a été confronté à une des plus importantes sécheresses de son histoire, conséquence du phénomène El Niño. Pour l’année 2009, la pluviométrie indique une baisse de 30 % à 60 % en fonction des régions, selon l’Institut national de météorologie et d’hydrologie (Inameh). Cette carence de pluies a notamment affecté le fleuve Caroni, qui a vu le niveau d’eau de ses affluents diminuer de 80 %. Dans l’État de Bolivar (sud du pays), où se concentre une grande partie des centrales hydroélectriques, le niveau de l’eau du barrage du Río Gurí a baissé de plus de neuf mètres. Partout dans le pays la sécheresse s’est doublée d’une forte augmentation des températures. À Caracas, le thermomètre a flirté durant plusieurs semaines avec les 40 degrés, au lieu des 27-28 degrés habituels.

Une telle sécheresse a bien évidemment un impact dramatique. En premier lieu au niveau de l’écosystème local, fortement perturbé. Mais les répercussions pour les Vénézuéliens sont aussi extrêmement importantes. Le gouvernement a dû décider des rationnements d’eau et des rationnements d’électricité, vu la baisse notable de la production hydroélectrique. Tout ceci n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes et générer un mécontentement important au sein de la population.

Pour faire face à la pénurie d’eau, le gouvernement a décidé une vaste campagne visant à la fois au rationnement et à la conscientisation afin de diminuer les gaspillages. Selon Alejandro Hitcher, ministre de l’Environnement, ces mesures ont permis, dans le seul cas de Caracas, une diminution de 30 % de la consommation d’eau, soit l’équivalent de 70 millions de mètres cube (14). Ces mesures n’ont toutefois pas suffit à limiter l’effondrement de la production agricole. La production de lait et de viande a diminué de 40 %, celle de tournesol de 30 %. Du coup, les prix flambent. Ceux de certains fruits et légumes comme la tomate, la goyave, la pastèque, ont augmenté de plus de 50 %. L’Assemblée nationale s’est ainsi vue contrainte à prendre un certain nombre de mesures afin de limiter les conséquences sur la production agricole, en prévision d’une prolongation de la sécheresse.

Les failles du système électrique national

Dans un pays qui dépend à plus de 70 % de la production d’énergie hydroélectrique, la sécheresse a aussi un impact énorme sur l’alimentation du réseau. Dans un décret présidentiel, Hugo Chávez a du déclarer le Venezuela en « urgence électrique » (15). La pénurie d’eau intervient dans un contexte où la consommation hydroélectrique a augmenté annuellement de 7 % ces dernières années. De plus, l’an passé la Colombie a diminué ses ventes d’électricité au Venezuela de 140 000 mégawatts, car elle-même est touchée par la sécheresse.

Concrètement, le décret « urgence électrique » vise à diminuer la consommation électrique. Les administrations publiques ferment leurs portes l’après-midi, les entreprises privées sont invitées à diminuer leur consommation de 20 % (arrêt des systèmes de climatisation, des escaliers mécaniques…), les centres commerciaux (gros consommateurs d’énergie) ouvrent plus tard et ferment plus tôt, toutes les villes (sauf Caracas, où le fiasco provoqué par le rationnement avait coûté son poste au ministre de l’Énergie électrique, Angel Rodríguez) subissent des coupures volontaires d’électricité de plusieurs heures… Par ailleurs des efforts ont été réalisés pour tenter d’incorporer de nouveaux systèmes de production électrique. L’objectif ? Tenter de limiter les répercussions de la baisse continuelle du barrage du Río Gurí, responsable à lui seul de 73 % de la production électrique nationale ! Le gouvernement vénézuélien s’est fixé comme objectif de se doter d’un appareil de production thermoélectrique capable de produire 5 900 mégawatts pour la fin 2010. Néanmoins de nombreuses interrogations se font jour sur la capacité du gouvernement à remplir cet objectif.

Selon l’Agence bolivarienne de l’information (ABN), seuls 605 mégawatts nouveaux ont été ajoutés à la fin du mois de février 2010. Selon certains experts, le barrage du Río Gurí, aura besoin de deux ans minimum pour retrouver son niveau antérieur. Pendant ce temps, les nombreuses coupures électriques, souvent imprévues, alimentent le mécontentement général. Si Caracas est épargné par les coupures électriques, celles-ci font déjà partie intégrante du quotidien de la population vivant dans l’ouest du pays. Non seulement elle doit faire face aux coupures pendant les heures de pointe, mais l’approvisionnement irrégulier signifie également que de nombreux appareils et machines finissent par subir des dommages, souvent irréparables... Cette situation apparaît à beaucoup d’autant plus intolérable que de nombreux experts soulignent que la sécheresse n’est pas seule responsable des failles électriques, mais que le manque de planification influe pour beaucoup sur la crise énergétique que traverse le pays. Certains sont même extrêmement alarmistes. Pour Pedro Rondón, syndicaliste de Sidor, si la consommation électrique ne diminue pas de 1 600 mégawatts très rapidement, on pourrait assister à un effondrement du système électrique national.

Jusqu’à présent, le ministère de l’Énergie et des Mines a lancé un plan d’urgence pour réparer les installations hydroélectriques endommagées dans la région andine. Mais si aucune mesure n’est prise rapidement, les Vénézuéliens pourraient connaître, dans les deux ans, des rationnements dus à un manque de production et non plus aux seuls problèmes actuels de transmission. La compagnie nationale d’électricité (Cadafe) a averti qu’il faudrait un investissement d’environ sept milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour éviter le risque de pannes électriques de grande ampleur, et un investissement de vingt milliards de dollars dans les dix prochaines années.

Alors que de nouveaux barrages sont actuellement en construction et qu’il est prévu d’en construire d’autres, la solution à long terme semble plus dans le développement de l’énergie thermique, à la fois en construisant de nouvelles centrales et en réparant celles existantes. Le Venezuela a aussi récemment signé un accord avec la Russie pour développer le nucléaire civil sur le long terme. Si quelques parcs éoliens sont actuellement en construction, comme dans la péninsule de Paraguaná (16), l’option dominante semble bien être celle d’un modèle de développement classique bien éloigné de toute préoccupation environnementale.

En 1999, le parlement a adopté une loi sur les services électriques encourageant l’investissement privé dans la production d’électricité. L’objectif de cette loi était de permettre la libre concurrence dans la production électrique tout en conservant dans le domaine public, la distribution et la transmission. Aujourd’hui, la mauvaise maintenance dans le système de distribution fait qu’il existe de nombreux points noirs qui agissent comme des goulots d’étranglement, alors que les compagnies électriques privées continuent de s’enrichir.

De leur côté, les travailleurs du secteur électrique revendiquent depuis plusieurs mois leur participation aux prises de décisions. Ils dénoncent, par ailleurs, à la fois une gestion du modèle de production électrique qui continue à être d’inspiration libérale où, aux erreurs d’appréciation de la IVe République, se sont ajoutées les erreurs de la Ve, et un manque de rationnement cohérent de la consommation électrique qui pourrait éviter un certain nombre de gaspillages (17).

De fait, si le gouvernement vénézuélien ne prend pas rapidement les mesures adéquates en écoutant notamment les nombreuses voix qui s’élèvent du côté des travailleurs du secteur électrique, il y a fort à parier que l’addition se paye lors des prochaines élections.

Les problèmes récurrents de l’insécurité et de la corruption
Un autre thème, qui va sans aucun doute peser sur la décision des électeurs lors des prochaines législatives, est celui de l’insécurité. Celle-ci frappe indistinctement et affecte surtout les couches populaires qui sont les plus exposées au crime et à la délinquance. Si les médias et la droite utilisent, comme en Europe, le sujet à des fins électorales, le problème n’en est pas moins réel et de taille. Dans la dernière décennie Caracas s’est hissée au rang des villes les plus dangereuses du continent et le nombre d’homicides au Venezuela est passé de près de 6 000 à plus de 13 000 par an (18). Entre 1999 et 2008, près de 22 000 personnes sont tombées sous les balles de la délinquance, rien qu’à Caracas (2 millions d’habitants selon l’Institut national de Statistiques). Au niveau national, un document du Corps d’investigations scientifiques, pénales et criminelles (CICPC), divulgué l’année dernière dans la presse, avance le chiffre de 101 141 homicides en dix ans (pour une population totale de 28 millions d’habitants en 2008).

Selon le rapport 2007 des Nations Unies sur l’état des villes dans le monde, l’augmentation de la violence est un phénomène global et est surtout notoire dans les pays en voie de développement qui connaissent une forte croissance urbaine. Avec une population concentrée à 93 % dans les villes, le Venezuela dépasse largement la moyenne régionale qui tourne autour de 79 %. A titre d’exemple, au Brésil, depuis les années 1970, le taux d’homicides a triplé à Rio de Janeiro et quadruplé à São Paulo. A Caracas, en vingt ans il a été pratiquement multiplié par dix. L’Organisation panaméricaine de la Santé (OPS) signale qu’entre 1980 et 2002, le taux d’homicides au Brésil est passé de 11,4 à 28,4 pour 100 000 habitants. Le Venezuela a, lui, effectué un bond de 19,4 à 50,9 entre 1998 et 2003. A contrario, le Salvador et la Colombie, jusqu’ici les plus violents du continent, ont amorcé une baisse de cette mortalité (respectivement de 62,5 à 54,9 et de 64 à 38).

La gauche sans solutions ?

Alors que Hugo Chávez dirige le pays depuis plus de onze ans maintenant, l’opposition n’hésite pas à faire le parallèle entre l’augmentation de la violence et la gestion du président. « Dites “non” à l’insécurité, votez “non” ! », était l’un des slogans utilisés pendant la campagne du référendum constitutionnel remporté en février 2009 par le camp bolivarien. Et il est fort à parier que la campagne des législatives sera de nouveau fortement axée sur le sujet. Il faut dire que déjà en novembre 2008, les élections régionales avaient laissé apparaître un certain mécontentement dans les zones les plus peuplées. Sur les sept États perdus lors de ce scrutin, quatre figurent parmi les plus violents du pays (le district de Caracas et les États de Carabobo, Zulia et Miranda).

Selon le criminologue Andrés Antillano, la délinquance pose un réel problème aux gouvernements progressistes d’Amérique latine : « Il n’y a pas de discours de gauche consistant sur le sujet. L’agenda de l’insécurité est un agenda colonisé par la droite, dans la plupart des pays ». Professeur à l’Institut des sciences pénales de l’Université centrale du Venezuela (UCV), M. Antillano considère que les progressistes se limitent à concevoir le problème sous forme de mythes.

« Le premier est le mythe de la négation : il n’y a pas d’insécurité, c’est une invention des médias, c’est une façon de criminaliser le peuple, etc. Cela a été la position de ce gouvernement durant une certaine époque ». Un autre mythe est celui qu’il qualifie de « fonctionnalisme de gauche » et qui revient à penser que « simplement » en améliorant les conditions de vie et l’inclusion sociale, on peut faire baisser les chiffres de l’insécurité. « La réalité du Venezuela démontre que cela n’est pas vrai, qu’il n’y a pas de relation mécanique. Il y a en plus un effet paradoxal, car non seulement les politiques d’inclusion sociale n’entraînent pas une diminution de l’insécurité, mais en plus l’insécurité elle-même augmente l’exclusion sociale », commente-t-il.

Au Venezuela, le taux de chômage est passé de 10,2 % en 1995 à 7,5 % en 2009. La pauvreté est quant à elle passée de 49,4 % de la population en 1999 à 27,6 % en 2008. Mais le segment de la population le plus touché par la violence demeure le secteur le plus marginalisé par rapport au reste de la société : les hommes jeunes, habitants de localités socioéconomiquement déprimées des grands centres urbains du pays.

Policiers délinquants

Mais si le nombre d’homicides a effectivement augmenté ces dernières années, l’insécurité apparaît comme un problème structurel puisant aussi ses racines dans les politiques publiques des décennies passées. En particulier au niveau des forces de l’ordre régulièrement accusées d’inefficacité, voire de complicité. Dans les barrios, les policiers ne sont pas vraiment perçus comme la solution au problème, mais plutôt comme des auteurs potentiels de graves délits, tels qu’enlèvements, extorsions, vols ou trafics de drogue. « Les flics ici revendent la drogue qu’ils confisquent aux trafiquants, ou leur font payer une ”vacuna” (rançon) pour fermer les yeux. Certains agents vont même jusqu’à louer leur arme aux délinquants », témoigne Francisco Pérez, militant alternatif et habitant du quartier populaire de La Vega, à Caracas.

Selon le ministre de l’Intérieur et Justice, Tareck El Aissami, 20 % des délits commis dans le pays sont perpétrés par ces mêmes fonctionnaires. Il faut dire que la multiplicité des corps de police ne facilite pas la tâche ni le contrôle sur les effectifs. Au Venezuela il existe 25 polices départementales et 67 municipales. A cela viennent s’ajouter le CICPC, les autorités de transport et circulation (qui ne portent pas d’arme), ainsi que la Garde nationale et les forces armées. Et il aura fallu attendre 2001 pour que soit approuvé le décret de « coordination de sécurité citoyenne », qui a pour tâche de relier entre eux les différents organismes de maintien de l’ordre. Un second pas, en avril 2006, a été la création d’une Commission nationale de réforme policière (Conarepol) qui a fait le même constat qu’une précédente commission en 1991 : le Venezuela paie « l’inexistence d’une politique nationale en matière de police, la carence de mécanismes de coordination policière, la superposition de fonctions entre les différents corps de sécurité », etc.

En mars 2009, le gouvernement a annoncé l’activation de « sept fronts contre la violence », avec la création d’un Conseil national de prévention et de sécurité citoyenne, intégré par plusieurs ministères. Figurent aussi au menu la création d’un Système intégré de polices, ainsi que d’une nouvelle Police nationale actuellement en projet-pilote dans quelques secteurs populaires de Caracas et qui est censée travailler main dans la main avec les conseils communaux et les communautés organisées. Par ailleurs, une Université nationale expérimentale de la Sécurité vient d’être créée récemment afin d’améliorer le niveau de formation des fonctionnaires. A plus long terme, l’ambition est de réformer les polices départementales et municipales. Un sujet délicat dans ce pays si polarisé, où l’opposition s’accroche à quelques bastions locaux. Plusieurs lois sont également en cours d’élaboration à l’Assemblée nationale. C’est le cas de l’amélioration du statut social et professionnel du policier et du durcissement des peines pour port d’armes.

Le paramilitarisme s’installe

En plus de la délinquance « classique », certaines régions du pays et certains quartiers populaires de la capitale voient s’installer une violence infiniment plus sournoise : celle due aux groupes paramilitaires. Inspirés du « modèle » colombien, ces groupes sont liés au trafic de drogue et d’essence dans les États frontaliers et sur la côte, mais ils ont aussi des objectifs politiques qui visent à déstabiliser le processus bolivarien. Ils s’implantent au sein de la population et, en l’absence d’un État capable de faire respecter l’ordre, gagnent la sympathie des habitants en contrôlant les quartiers et en prêtant d’importantes sommes d’argent.

Dans l’État de Sucre, sur la côte nord orientale, la présence de ces groupes est connue de la population. Ils intimident les pêcheurs et pratiquent des actes de piraterie. En plus de provoquer un grand sentiment d’impuissance et d’insécurité, ils dissuadent les habitants de pratiquer la pêche artisanale et accentuent de cette manière le désapprovisionnement. Certains pêcheurs, surtout chez les plus jeunes, finissent par se « reconvertir » en ramasseurs de paquets parachutés en pleine mer et destinés à être écoulés par d’autres voies. Ils en tirent ainsi deux avantages non négligeables : ils sont à la fois à l’abri des agressions et touchent en plus une récompense qui dépasse largement leur salaire de simple pêcheur. C’est le premier pas vers la dangereuse intégration du paramilitarisme à la société par l’établissement d’une économie mafieuse dont une partie de la population finit aussi par bénéficier. Face à cela, les moyens déployés par l’État frisent le ridicule : quelques agents mal entraînés et bien souvent mouillés dans le trafic, et à peine quelques barques bien insuffisantes pour couvrir la zone.

Les groupes paramilitaires qui sévissent dans les États frontaliers ont établi des contacts avec des groupes de la capitale. La présence des Aguilas Negras (19) a été rapportée dans certains quartiers. Des activistes communautaires sont parfois tués dans des circonstances étranges, pris « entre deux feux » de bandes rivales. Et les assassinats ciblés effectués par des sicarios (tueurs à gage) font parfois preuve d’une violence et d’une puissance de feu peu communes. Dans le quartier populaire du 23 de Enero ce phénomène a aussi été identifié. « Ici chaque groupe de la communauté, chaque collectif apporte son travail social, son travail politique, afin d’empêcher la délinquance et le trafic de drogue de s’installer dans le quartier. Il y a d’ailleurs eu des affrontements et des camarades ont été assassinés par les narcotrafiquants », explique Juan Contreras, membre de la Coordinadora Simón Bolívar (CSB), un regroupement d’associations et de collectifs du quartier. Mais Contreras ne manque pas d’identifier l’origine historique et politique de ce fléau : « Ici nous menons une lutte de longue date contre la drogue et la délinquance. Dès la fin des années 1970, l’État a commencé à mener une “guerre sale” et à inonder le quartier de drogue afin de venir à bout des luttes sociales qui réclamaient la transformation de la société ».

Jusqu’à présent l’État vénézuélien semblait prêter peu d’attention à ce phénomène inquiétant. Cependant, en mai dernier, Hugo Chávez a finalement ordonné la création d’un « commando unifié » afin de garantir la sécurité maritime dans l’État de Sucre. La Colombie voisine devrait servir comme avertissement d’un exemple à ne pas suivre. Et les arrestations déjà survenues de groupes paramilitaires armés jusqu’aux dents devraient faire réfléchir le gouvernement aux conséquences désastreuses que pourrait avoir ce fléau à long terme sur le processus bolivarien et sur la société vénézuélienne dans son ensemble.

Le fléau de la corruption

Un autre fléau qui affecte la crédibilité de la gestion bolivarienne est celui de la corruption. Malgré le discours officiel de lutte contre toute forme de corruption, force est de constater que la justice n’agit pas de la même manière quand il s’agit d’opposants ou de fonctionnaires chavistes. Un exemple parlant est celui de l’ex-ministre de la Défense, Raúl Isaías Baduel, qui n’a jamais été inquiété lorsqu’il exerçait ses fonctions au sein du gouvernement bolivarien. Mais une fois ses distances prises avec le chavisme (en novembre 2007 précisément, lors de la campagne pour la réforme de la Constitution à laquelle il s’opposait), il s’est vu accuser d’actes de corruption datant de l’époque où il était ministre. Il a finalement été condamné à 8 années de prison pour le détournement de près de 4 millions de dollars durant sa gestion. D’autres cas de personnes de moindre calibre dans l’appareil d’État (gouverneurs et députés principalement), ont été marqués par la même logique : aucun ennui tant qu’ils étaient considérés comme bolivariens, mais une fois leur veste retournée on voit alors apparaître les « linges sales ».

Par ailleurs, un scandale a éclaté en mai dernier après la découverte de plus de 2 000 containers contenant de la nourriture périmée dans différents ports du pays (20). Importés par l’entreprise publique PDVAL — filiale de la pétrolière PDVSA (21) — les containers étaient « oubliés » dans les ports afin de bénéficier aux entrepôts et entreprises privées. Suite à cette affaire, plusieurs membres de l’ancienne direction de PDVAL ont été arrêtés. L’ex vice-président de la République, José Vicente Rangel, a salué les mesures prises par la justice dans l’affaire des containers mais les a jugées insuffisantes. « Il faut approfondir le sujet, car ce qui est en train de se passer est révélateur de l’absence de contrôles, de l’inefficacité et de l’incapacité mélangée à la corruption », a-t-il déclaré lors de son programme télévisé du dimanche 13 juin. Selon Rangel, journaliste de profession, « l’expérience est dure et indique que nous devons être plus vigilants à l’intérieur même du processus révolutionnaire si nous voulons faire face aux menaces provenant des ennemis externes » (22).

Un modèle économique qui se cherche En ce qui concerne l’économie, le pays ne cesse de connaître une inflation galopante. Selon les chiffres officiels de la Banque Centrale du Venezuela, si l’on prend comme indicateur l’Indice national des prix à la consommation (INPC), on s’aperçoit que durant les onze ans de processus bolivarien, l’inflation cumulée a été de 747 %. Bien sûr, il convient de rappeler que durant les 11 années antérieures à Chávez, elle était de 8 250 %, soit onze fois plus élevée.

Pour le président de l’Institut national de Statistiques (INE), le taux d’inflation du Venezuela est en grande partie dû à la spéculation croissante qui existe dans un certains nombre de secteurs de la production. Par exemple, dans la grande distribution alimentaire, chaque intermédiaire contribue à l’augmentation des prix de telle manière qu’il existe une différence de 30 % entre le prix fixé par le producteur et le prix payé par le consommateur.

Pour le vice-président de la Commission des Finances du Parlement, le député Simon Escalona, « les entreprises privées utilisent l’inflation comme une arme politique, en mettant de côté des produits afin d’alimenter la pénurie et ainsi générer une hausse des prix dans le seul but de déstabiliser le gouvernement et d’affecter les indicateurs économiques ». L’économiste et militant du PSUV, Jesús Farías, a examiné ce phénomène. Pour lui, « la spéculation privée est la principale cause de l’inflation, et ne pourra être combattue que par un accroissement de la production initié par le gouvernement et une attaque systématique des monopoles par la création de milliers d’entreprises, publiques et privées, avec une vision socialiste ».

Sur la base de l’analyse des données officielles de la Banque Centrale du Venezuela (BCV) et de l’INE, Víctor Álvarez, ancien ministre des Industries de base et chercheur au Centre international Miranda (CIM) fait valoir que, en dépit des critiques anticapitalistes du gouvernement bolivarien, après onze ans de révolution, le poids de l’économie capitaliste, loin d’avoir diminué, a augmenté.

Ainsi le poids du secteur privé dans l’économie nationale est passé de 64,7 % en 1998 à 71 % en 2008. Et même si la Banque centrale dans son dernier rapport annuel indique que « la participation du secteur public dans le PIB est passé en 2009 à 30,3 % contre 29 % l’année précédente », ce chiffre est encore inférieur au poids du secteur public en 1998 qui était de 35,3 %.

Ces données montrent que, entre 1998 et 2009, l’économie vénézuélienne est devenue plus capitaliste, ce qui entre en totale contradiction avec les objectifs établis par le gouvernement bolivarien pour construire un nouveau modèle socialiste de production.

Pourtant, le Venezuela est sans aucun doute en train de gagner la bataille contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La grande réussite indéniable du gouvernement bolivarien, poursuit Álvarez, est la réduction significative du taux de chômage et du pourcentage de personnes en état de pauvreté et d’extrême pauvreté. Le chômage est tombé à seulement 7 % en décembre 2009, alors qu’il atteignait les 20,3 % en février 2003. Le pourcentage de personnes pauvres a diminué, passant de 62,1 % en 2003 à 25 % en 2008. De même, le pourcentage de personnes dans la pauvreté extrême est passé de 29 % en 2003 à moins de 10 % à la fin de 2009 (23).

En fait, les investissements dans les programmes sociaux, par le biais des missions, a permis de compenser une répartition régressive des revenus dans le secteur privé de l’économie, où la part que s’accapare le capital a augmenté au détriment de la part des travailleurs. En 1998, les travailleurs recevaient 39,7 % de la valeur créée, contre 36,2 % pour les revenus du Capital. Dix ans plus tard, la part des travailleurs est tombée à 32,8 % tandis que celle des capitalistes est passée à 48,8 %. •

* Sébastien Brulez est journaliste et collaborateur du quotidien suisse Le Courrier et de la revue de la section belge de la IVe Internationale La Gauche. Fernando Estaban est membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) etcollaborateur Tout est à nous !, Viento Sur et Inprecor. Tous deux vivent au Venezuela depuis plusieurs années.

Notes

14. Conférence de presse du 13 mars 2010.

15. Décret présidentiel N° 7 228 du 8 février 2010.

16. La première pierre du chantier du « Parc éolien de Paraguaná » a été posée en novembre 2006 par le Président vénézuélien et l’inauguration était prévue pour 2007. A l’heure actuelle, le complexe n’est toujours pas entré en fonctionnement.

17. Aporrea.org du 15 janvier 2010, « Los Trabajadores Eléctricos se pronuncian ante la crisis del sector », http://www.aporrea.org/endogeno/n148856.html.

18. Cette partie se base sur l’article de Brulez (S.) intitulé « La délinquance aura-t-elle la peau de la “Révolution bolivarienne’ ? », publié dans le quotidien suisse Le Courrier (www.lecourrier.ch) le 26 mai 2009.

19. Les Aguilas Negras sont nées en Colombie après le démantèlement du principal groupe paramilitaire d’extrême droite, les Autodéfenses unis de Colombie (AUC).

20. « Ministerio Público realiza investigación en caso de contenedores con alimentos vencidos », Aporrea.org, 10 juin 2010, http://www.aporrea.org/contraloria/n159111.html

21. Pétrole du Venezuela S.A. (PDVSA) est la plus importante entreprise publique du pays.

22. « J. V. Rangel pide sancionar a los responsables en el caso de Pdval », Ciudad CCS, 13 juin 2010, http://www.ciudadccs.org.ve/?p=76190

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