Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, surnommé "Captain Canada" est le plus ardent défenseur des intérêts canadiens et de l’identité canadienne. Il propose des mesures de rétorsion commerciales vigoureuses à l’endroit des États-Unis. Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur et possible prochain premier ministre fédéral arbore une casquette sur laquelle est cousu le slogan : "Le Canada n’est pas à vendre". Tant chez les libéraux fédéraux que chez les néo-démocrates règne un pareil état d’esprit, lequel relève d’une forme d"exaltation nationaliste. Tous rejettent avec indignation l’intention proclamée par Trump (qui tourne au radotage) de faire du Canada le 51ème État américain et du premier ministre son gouverneur.
Même François Legault, l’actuel premier ministre du Québec et ancien ministre péquiste (c’est-à-dire en principe souverainiste) à la fin des années 1990, se joint à ce concert de protestations et accepte de faire front commun avec le fédéral et ses collègues des autres provinces pour contrer l’offensive de Trump. Il est même prêt, semble-t-il, à examiner sérieusement la levée de barrières réglementaires qui entravent le commerce interprovincial, ce qui nuirait pourtant à l’autonomie du Québec. Il dirige néanmoins un parti, la Coalition avenir Québec, qui est autonomiste. Trump a réussi involontairement cet exploit de souder (au moins temporairement) les classes politiques canadiennes dans un front commun dirigé contre lui.
Il faut admettre qu’une bonne majorité de Québécois et de Québécoises, autonomistes comme indépendantistes, préfère affronter le danger de la politique agressive de Trump au sein d’un front commun pancanadien que de faire cavalier seul, isolée face au géant américain. Mais le courant souverainiste se maintient ; il est seulement moins visible par les temps qui courent, vu la conjoncture risquée que nous traversons, qui favorise une forme d’union nationale "from coast to coast".
Dans la foulée des ténors fédéralistes qui condamnaient autrefois la nationalisme québécois indépendantiste (qualifié de xénophobe et chauvin)et vantaient plutôt la "Canada multiculturel", ceux d’aujourd’hui déploient avec ardeur un nationalisme pancanadien comme s’il allait de soi, Justin Trudeau en tête.
En effet, dans la vision trudeauiste (celle du père Pierre-Elliott comme celle du fils Justin), le Canada est une nation formée de communautés multiculturelles ; dans cette optique, le Québec français n’en n’est qu’une parmi d’autres. Ce courant de pensée a toujours rejeté avec vigueur la thèse des deux nations (le Québec français d’un côté le Canada anglais de l’autre). Mais voilà que les faits bruts démentent cette façon de voir. En effet, comment qualifier autrement que de nationaliste la vague de résistance "canadian" à la politique agressive du locataire de la Maison-Blanche ? Le ralliement du Québec à ce front commun ne doit pas faire illusion. Elle est le produit des circonstances et non d’une adhésion aux thèses trudeauistes.
Le Parti québécois devance par plusieurs points la Coalition avenir Québec dans les intentions de vote. Il est vrai que les sondages révèlent aussi que si un éventuel gouvernement péquiste dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) tenait un référendum sur la souveraineté, il le perdrait, mais cette option récolterait tout de même 35% à 40% des voix, soit un score plus ou moins semblable à celui de mai 1980. Par ailleurs, Québec solidaire, en dépit de ce qui l’oppose au Parti québécois, adhère lui aussi à l’idéal indépendantiste.
Le nationalisme québécois est toujours bien vivant, que ce soit sous sa forme autonomiste (majoritaire) ou encore souverainiste (minoritaire). Celui du Canada anglais démontre sa vigueur. Les deux se sont rapprochés vu les circonstances, mais ils demeurent bien distincts. La "question du Québec" n’est toujours pas résolue.
Depuis le référendum (perdu de peu par les indépendantistes) de 1995, le Parti québécois n’a plus que très peu traité d’émancipation nationale. Mais les tensions canado-américaines aigues qui prévalent actuellement tendent à faire oublier qu’à une certaine époque pas si lointaine (de 1968 à 1995), la "question du Québec" a mobilisé l’attention et l’énergie des classes politiques, tant canadiennes que québécoises. Inquiétude dans le camp fédéraliste, espoir dans celui souverainiste... Cet antagonisme fédéralistes-souverainistes a atteint son degré d’intensité le plus élevé de 1976 à 1980. Le rapatriement forcé de la constitution en avril 1982 (à la suite de ce que les péquistes ont surnommé "la nuit des longs couteaux") par le gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau n’a pas arrangé les choses. La question du statut national final du Québec demeure donc pendante. Elle resurgira à nouveau si le Parti québécois revient aux affaires dans un an.
Si le Canada n’est pas à vendre comme le clament les nationalistes "canadians" et les fédéralistes francophones de la tendance trudeauiste, pourquoi l’indépendantisme québécois serait-il, lui, illégitime ?
Jean-François Delisle
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