Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Renouveler le syndicalisme

Réapprendre à faire de la politique

Le thème du renouveau syndical a fait l’objet de nombreuses discussions au cours des dernières années. Dans nos rangs comme ailleurs, les débats ont surtout porté sur des enjeux organisationnels : l’information, la mobilisation, la démocratie syndicale, la place des jeunes, la syndicalisation et la représentation des travailleuses et des travailleurs précaires, etc. Tous des enjeux très importants pour l’avenir, voire la survie du mouvement syndical. Plusieurs progrès ont d’ailleurs été réalisés dans ces domaines.

(tiré du journal Unité du Conseil Central du Montréal Métropolitain. Patrick St-Pierre - Comité droit au travail, SEMP-SAQ-CSN)

Cependant, lors de ces débats, l’attention a très peu porté sur l’engagement et l’action politique de nos organisations syndicales. Un livre paru récemment aux éditions Écosociété me semble combler cette lacune. Renouveler le syndicalisme. Pour changer le Québec [1] comprend diverses contributions parmi lesquelles des textes d’Alain Deneault et d’Amir Khadir. Ces deux auteurs bien connus abordent la question politique, mais sous des angles différents : celui d’une radicalisation du mouvement syndical pour le premier, et celui d’une remise en question de la neutralité à l’égard des partis politiques pour le second.

Changer les règles du jeu

Pour Alain Deneault, la survie du mouvement syndical passe par un virage politique qui s’accomplit en renouant avec le syndicalisme de combat et en sortant de la logique de partenariat dans lequel il a été enfermé [2]. Jusque-là rien de bien nouveau, diront certains, on a déjà entendu cette chanson. Mais Deneault ne s’arrête pas là : il faut penser et agir afin de redéfinir le cadre dans lequel nous évoluons. En un mot, il faut réinvestir le champ politique et y être un acteur de changement, une « force sociale, porteuse d’un discours cohérent ».

On a coutume de dire, dans les milieux syndicaux, que la politique de la chaise vide n’avance à rien. Il vaut mieux être présent dans les lieux du pouvoir, quitte à être souverainement ignoré, que de ne pas y être du tout. Or, Deneault n’est pas de cet avis. Jouer le jeu du pouvoir selon les règles de la gouvernance, du consensus et du compromis a un prix [3] : perte de contrôle sur ses propres orientations stratégiques, incohérences dans le discours syndical, éloignement de la base… à quoi on pourrait ajouter la démobilisation et l’effritement du rapport de force.

Le virage politique que Deneault appelle de ses voeux ne se fera qu’en radicalisant l’action et le discours syndical : le mouvement syndical doit « revoir aussi bien ses pratiques en ce qui concerne les recours à la grève que ses discours en ce qui regarde, par exemple, ses critiques de la mondialisation, de l’ultralibéralisme, du capitalisme » et des paradis fiscaux. L’enfermement idéologique dans lequel nous nous trouvons appelle des solutions imaginatives et une « critique conséquente [qui] donne envie aux citoyennes et citoyens de travailler à la redéfinition du cadre dans lequel ils se trouvent… ».

Faire la grève et défier les injonctions ou un éventuel décret ? Voilà déjà une réflexion qui s’impose à nous et qui nous oblige à une remise en question de ce cadre idéologique.

Jouer le jeu de la politique partisane

Le député de Québec solidaire dans Mercier, Amir Khadir, croit pour sa part qu’est venu le temps de réfléchir au rapport qu’entretiennent les organisations sociales, syndicales et communautaires, avec QS, seul parti présent à l’Assemblée nationale à porter les intérêts des classes populaires.

La neutralité des mouvements sociaux et syndicaux à l’égard des partis politiques est considérée comme garant de l’autonomie des organisations. La CSN, par exemple, a fait sienne cette position. Se garder de donner son appui à un parti politique, peu importe qu’il soit de gauche ou de droite, c’est préserver, insiste-t-on, sa liberté de penser et se protéger contre tout endoctrinement ou inféodation.

Or, Khadir s’interroge : « L’autonomie et l’indépendance politique d’un mouvement ne consistent-elles pas justement à pouvoir faire des choix politiques et à les assumer ? ». La question mérite d’être posée. Surtout dans la conjoncture actuelle où il n’est plus possible, pour les mouvements sociaux et syndicaux, « de camper uniquement leurs actions dans un champ d’intervention social, autonome du champ de la politique partisane, et d’appeler l’État à l’arbitrage. »

On le voit avec les mesures d’austérité du gouvernement Couillard, l’État a été confisqué par les élites néolibérales. Tout ce qui a été gagné de hautes luttes par les mouvements sociaux et syndicaux au cours des dernières décennies est en train de disparaître. On ne peut faire comme si rien n’avait changé et poursuivre dans la même voie sans se questionner sur le sens et la portée de nos actions. L’heure est aux choix. Voulons-nous faire irruption dans le champ politique et changer le pouvoir ? Deneault et Khadir, chacun à leur manière, nous y invitent et nous donnent à réfléchir. Une lecture stimulante.


[1P. Crevier, H. Forcier, S. Trépanier (éd.), Renouveler le syndicalisme. Pour changer le Québec, Écosociété, 2015

[2Le syndicalisme de combat a marqué le mouvement syndical des années 1960-1970. Au cours des années 1980, il a fait place à une stratégie de partenariat. Dans son texte, Deneault revient sur les ratés du mouvement syndical lors du Sommet socio-économique de 1996 organisé par le gouvernement Bouchard. Les premières critiques de la stratégie de partenariat ont été formulées à la suite de ce sommet.

[3La Grèce nous l’a rappelé de façon dramatique dernièrement.

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