Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

À ceux qui prétendent que l'État est toujours trop gros

Cet article s’adresse aux faiseux de tous âges, de toutes races et de tout sexe qui logent très souvent très à droite et qui réclament et imposent continuellement des réductions drastiques aux programmes sociaux de l’État « boulimique » afin de le dégraisser.

Pour ces activistes, les nombreux et coûteux programmes d’aide gouvernementale aux entreprises, les abris fiscaux consentis et les paradis fiscaux tolérés aux Crésus, c’est correct et même nécessaire, car ça aide la crème de notre élite à créer plus de richesse pour le bon peuple et ça freine l’exode de nos rares cerveaux. Faut bien les gâter et faire preuve de tolérance fiscale à leur endroit, sinon ils vont partir à tout jamais. Que serions-nous sans eux ? Je vous le demande. Selon moi, le Québec, et même le Canada, devraient très vite déclarer banqueroute. Vous ne voulez pas que ça arrive, alors il n’en tient qu’à vous. Faut les aimer. Comme le chantait si bien Jacques Brel : « Ne me quitte pas. » Ou Dick Rivers, dans un style différent de Brel : « Je ne suis plus rien sans toi. »

Mes frères et mes sœurs, prenons le cas de Walmart d’Arkansas aux États-Unis, dont les principaux actionnaires sont depuis toujours la famille Walton. Avec des revenus bruts annuels de 422 G$ en 2010, elle est 6,5 fois plus grande que le Québec (revenus bruts de 65 G$ en 2011) et 1,7 fois plus gigantesque que le Canada (249 G$ de revenus bruts en 2011). Les smattes de tout acabit et les légionnaires du tout privé pourraient-ils, si c’est possible, me dire au nom de quel a priori une seule famille, même américaine, peut-elle gérer une entreprise 6,5 fois et 1,1 fois plus grande que le Québec et le Canada, qui possède des milliers de filiales dans le monde et qui compte des millions d’employés alors que nous, collectivement, on ne peut supposément pas, par le biais de l’État et de nos organismes publics ?

Bien évidemment, pour répondre à cette question, les mascottes et les majorettes du privé vont encore une fois me sortir leur cassette idéologique usée à la corde, regorgeant de dogmes éculés et de doctrines primaires. Et faute d’arguments censés, ils vont finir par clore tout débat en démontrant « scientifiquement » que le privé c’est mieux parce que ça relève des « lois naturelles » du marché. En science, un postulat de base n’a pas à être nécessairement vrai ou démontré empiriquement. C’est absolument ça le postulat de la supériorité implicite du privé sur le public. Il faut l’accepter sans rechigner. Ayez, je vous en prie, un esprit scientifique. Merci ! On le voit bien ici au Canada : Air Canada, Petro-Canada, CN, Bombardier, etc. c’est beaucoup mieux pour tout le monde depuis que nos élus ont privatisé ces joyaux collectifs sans le moindre débat public. On aurait dû les poursuivre en justice pour abus de biens publics.

Si on prend la liste des 500 plus grandes compagnies mondiales pour l’année 2010, telle que compilée par la revue Fortune, le Québec se classerait au 111e rang, tout de suite après la compagnie Medico Health Solutions et beaucoup plus loin que le 200e rang si on ajoute les pays, les départements et les provinces d’ailleurs.

Royal Dutch Shell, qui a fermé sa raffinerie de Montréal, est 6 fois plus grande que le Québec. Alors, pour le président de Shell, le premier ministre Jean Charest et ses ministres ne pèsent pas très lourd dans sa prise de décision. Il en est de même pour les dirigeants de Rio Tinto Alcan, Electrolux et IQT, qui ont fermé récemment des usines au Québec sans daigner informer à l’avance qui que ce soit au gouvernement et qui, en plus, ont prétexté être trop occupés pour rencontrer des ministres libéraux comme Raymond Bachand (qui demande à la population, pas aux entreprises, d’être solidaires si on veut atteindre rapidement le déficit zéro) et l’ex-banquier recyclé en ministre libéral, Clément Gignac (qui demande au peuple, pas aux compagnies, d’être raisonnables). Ces compagnies peuvent tout faire au nom du libre marché et non pas à se justifier à qui que ce soit. C’est-y assez clair ?

Plusieurs multinationales pharmaceutiques, comme les américaines Pfizer et Merck, sont nettement plus imposantes que le Québec et, comme ils forment de fait un monopole privé, ils peuvent imposer leur loi et leurs prix. Et si vous avez le malheur de rouspéter un petit peu, elles vont, dans des gestes de grande responsabilité sociale, arrêter de produire et de distribuer des médicaments essentiels à la vie comme dans : « Ruptures de stock de médicaments : le ministre libéral Bolduc se dit préoccupé » (La Presse, 10 août 2011). Préoccupé... sans plus. Idem aux States : « Pénuries de médicaments vitaux aux É.-U. » (Journal de Montréal, 5 septembre 2011).

Pour expliquer ces pénuries artificielles qui s’assimilent à un ignoble chantage de la part des pharmaceutiques, Cynthia Reilly de l’American Society of Health System Pharmacists a affirmé : « Du fait de l’importante consolidation du secteur pharmaceutique [lire cartel ou mafia] ces dernières années, on se retrouve parfois avec une (sic) ou deux firmes fabriquant le même produit. » Allô concurrence au sein des pharmaceutiques et des banques, des pétrolières, des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs en construction, des compagnies aériennes, de téléphone et de télédistribution, etc. Si vous trouvez de la concurrence dans ces secteurs d’activité, auriez-vous l’obligeance de me le laisser savoir s’il vous plait. Ah que le privé est meilleur que le public. Tout est bien meilleur dans le privé. C’est pourquoi je ne peux pas vous énumérez ses avantages par rapport à l’État car la liste serait infinie.

Le Parti libéral de Jean Charest avait bien raison de développer sa stratégie économique sur le thème de « Moins d’État, plus de privé » (Journal de Montréal, 14 octobre 2005). Quel grand homme public. Toujours et en tout temps au service du bien commun. Et il y a son ex-ministre, la grandiose Monique Jérôme-Forget, qui affirmait, en parlant des services publics rendus par l’État, vouloir dégraisser « le mammouth » à son propre rythme. C’est elle la boss qui décide pour nous. Madame la Queen des PPP, si le Québec est un mammouth, Walmart, Exxon Mobil et Bank of America, sont quoi au juste ? Elle aussi est probablement trop occupée pour me répondre, moi qui n’est qu’un fonctionnaire depuis toujours et heureux de l’être.

Enfin, que dire du titre de cet article de La Presse du 30 juillet dernier : « Apple plus riche que les Etats-Unis. » Ayoye ! Apple a juste une petite encaisse de 76 G$ dans son compte de banque contre 74 G$ pour le gouvernement américain. Steve Jobs, le co-fondateur d’Apple, un succès mondial incroyable, peut se reposer en paix. Faudrait importer des Steve Jobs pour sortir notre Québec Inc. de son immobilisme notoire.

Même si on retrouve de la moisissure et du bois pourri dans nos écoles (« Une soue à cochons », La Presse, 13 septembre 2011), dans les urgences de nos hôpitaux (« Urgences en ruine », La Presse, 15 février 2011), qui n’ont d’urgence que le nom puisqu’il faut attendre souvent plus de 12 heures sans s’impatienter, et dans nos universités (« Insalubrité à l’université », La Presse, 20 septembre 2011), eh bien notre Charest national trouve que l’État est encore trop gros et il vient d’annoncer des coupes additionnelles de 800 M$ principalement dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

Respectueux envers ses commettants, Jean Charest n’a pas touché aux 6 G$ de subventions l’an consenties aux entreprises, même milliardaires (selon les données du Fraser Institute), contre 3 G$ par année pour l’Ontario, et n’a pas osé réduire les 400 M$ de subventions annuelles que le Québec verse aux écoles privées contre zéro en Ontario. Connaissez-vous beaucoup d’enfants de ministres et d’affairistes qui fréquentent l’école publique et qui poireautent 12 heures à l’urgence de l’hôpital public ? Charest et Harper sont des hommes d’honneur. Faut leur donner ça. Pour eux, l’État sera toujours trop gros sauf pour l’armée et les mercenaires privés et le privé toujours trop petit.

C’est pourquoi ils privatisent et sous-traitent à tour de bras afin de donner des contrats et des pans entiers de nos ressources naturelles et de nos services publics à leurs petits amis qui les financent et qui les embauchent après leur service politique et même, à l’occasion, durant leur stage en politique. Ma retenue et ma politesse exemplaires m’interdisent de mentionner des noms, mais j’en connais, et probablement vous itou.

Cet article est tiré du journal Métro Montréal

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