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À gauche, l’union ravive les tensions

Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel ont opposé une fin de non-recevoir aux propositions d’Arnaud Montebourg et d’Anne Hidalgo de s’acheminer vers une candidature commune. Une réaction qui embarrasse, voire scandalise certains, à l’intérieur même de leurs partis respectifs.

9 décembre 2021 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/france/091221/gauche-l-union-ravive-les-tensions

Les esprits taquins parlent déjà de « la primaire la plus courte de l’histoire ». Le 8 décembre, tout s’est joué en très peu de temps. Acte 1 : Arnaud Montebourg, candidat de la « Remontada » à la présidentielle, lance un appel dans lequel il se dit « prêt à offrir [s]a candidature à un programme et un candidat communs ».

Acte 2 : Anne Hidalgo, candidate socialiste, s’invite in extremis au « 20 heures » de TF1 et propose d’organiser une primaire de la gauche, « avec les candidats et les candidates qui veulent diriger et gouverner ensemble ». Elle n’en fait pas explicitement mention, mais depuis des mois, la Primaire populaire propose d’unir les gauches à travers un processus de désignation (240 000 personnes y souscrivent).

Acte 3 : dans la même soirée, la réponse des principaux candidats de gauche – Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel – tombe comme un couperet. Un « non » franc et catégorique. « Elle prend acte de l’impasse de sa candidature »,balaye d’un revers de main Yannick Jadot le 9 décembre sur Europe 1, interprétant vite le geste de la socialiste comme un retrait pur et simple.

Il semblait pourtant être celui avec lequel un rapprochement était le plus plausible – les écologistes ayant déjà proposé au PS un accord pour les législatives, en échange d’un soutien à Yannick Jadot à la présidentielle.

Malgré le regain de dynamisme de la Primaire populaire, dont les bénévoles organisent des sit-in devant les sièges d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) et de La France insoumise (LFI) pour les sommer de s’unir, elle est de fait, pour l’instant, réduite à la portion congrue en termes de participants.

À moins d’un coup de théâtre et d’une déclaration de candidature de Christiane Taubira, ancienne proche d’Arnaud Montebourg, qui entretient le doute et qui lui offrirait une possibilité de ralliement.

« La maladresse d’Anne Hidalgo, c’est que sur la forme, sa proposition donne l’impression d’une candidate aux abois et s’apparente à un appel de détresse. Les écolos pensent donc pouvoir l’absorber sans primaire », observe le politiste Rémi Lefèbvre, spécialiste des primaires.

Divisions sur l’union

Mais les railleries vis-à-vis de l’initiative hidalguiste – dont le message cinglant du secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, sur « l’incapacité du PS à être force motrice » – ne font pas l’unanimité. Paradoxalement, cette tentative d’union ravive même des tensions latentes à l’intérieur des gauches, qui témoignent cruellement de leurs incertitudes devant la campagne présidentielle.

Chez EELV, Alain Coulombel ne décolère pas. Mercredi soir, après l’annonce de la candidate socialiste, ce porte-parole « unioniste » du parti écologiste a demandé une réunion d’urgence du conseil politique de la campagne de Yannick Jadot – composé de 40 personnes, dont lui. En vain.

« Ce conseil ne sert à rien. Sur la décision d’hier, c’est l’obscurité absolue. On ne sait même pas qui s’est réuni pour en décider », affirme-t-il. Pour ce tenant de la ligne unitaire à gauche, Yannick Jadot et ses rivaux viennent de commettre une « erreur tactique » en boudant la possibilité d’une primaire.
« C’est de l’aveuglement absolu de notre part, car en réalité la campagne de Yannick plafonne, elle aussi. La réponse faite par nos trois partis [LFI, le PCF et EELV – ndlr] est scandaleuse, car si on ne dynamise pas nos campagnes à travers le rassemblement, le risque est qu’on perde tous », alerte-t-il.

Cette primaire, c’est la possibilité de recréer un temps médiatique pour l’écologie et la gauche
Alice Coffin, conseillère de Paris

Quant à la présidente du conseil politique de Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, qui s’était distinguée durant la primaire des écologistes en défendant les bénévoles de la Primaire populaire, elle est étrangement muette depuis 24 heures.

Comme si lesvieilles blessures de l’après-primaire, que l’économiste lilloise avait failli remporter avec 49 % des voix, pouvaient s’ouvrir à nouveau subitement. Contactée, elle n’a pas donné suite à nos demandes.

La conseillère écologiste de Paris, Alice Coffin, proche de Sandrine Rousseau, défend elle aussi une position divergente de celle des équipes de Yannick Jadot. Pour elle, en dépit de l’aspect éventuellement opportuniste de l’offre d’Anne Hidalgo, il fallait s’en saisir.

« Cette proposition arrive alors que l’état des gauches est historiquement faible. Ce que je vois d’intéressant, c’est donc la possibilité de recréer un temps médiatique pour l’écologie et la gauche, qui n’existe plus depuis la fin de la primaire écologiste », soutient-elle.

Le calendrier médiatique a en effet marginalisé les thématiques de gauche depuis plusieurs mois : meeting de Zemmour, primaire de la droite etsurenchère dans la droitisation ont achevé de faire disparaître les mots « écoféminisme » et « décroissance », qui avaient timidement germé fin septembre. « La possibilité d’ouvrir une primaire, c’est la garantie de retrouver un espace où ces paroles seront entendues », veut croire Alice Coffin.

Pour l’élue parisienne, la primaire n’est pas tant un vecteur de rassemblement qu’un moyen de faire entendre haut et fort des voix qui ne sont pas représentées dans l’offre politique actuelle. C’est pourquoi ce processus n’aurait « aucun sens s’il n’était pas largement ouvert à d’autres candidatures » : « Les médias seraient ravis, il faut prendre cet espace et l’offrir à d’autres forces dans le pays qui font un travail politique conséquent, pour occuper un espace en janvier-février », conclut-elle.

Une position qui laisse Sophie Taillé-Polian de marbre. La sénatrice Génération·s, porte-parole de Yannick Jadot, a de mauvais souvenirs de la primaire de la gauche en 2017, qui avait abouti au théorème vallsien des « deux gauches irréconciliables » et n’avait pas créé de dynamique en faveur de Benoît Hamon.

Même si elle a plaidé en faveur de la Primaire populaire au sein du Pôle écologiste pendant un temps, elle prend aujourd’hui ses distances : « On n’est plus dans le bon timing. On a besoin de faire campagne contre la droite et l’extrême droite, pas d’avoir des débats stériles qui accentuent les divergences entre nous », plaide-t-elle, évoquant plutôt la nécessité d’un « contrat de gouvernement pour les législatives ».

Désormais, la ligne des écologistes est donc fixée, comme une loi d’airain : si rassemblement il y a, ce sera derrière Yannick Jadot (qui, lui, s’est déjà retiré en 2017). Mais elle suscite des résistances qui se sont déjà manifestées par le passé. Lors de sa mise en retrait de la campagne pour sa proximité avec Nicolas Hulot, l’ex-macroniste Matthieu Orphelin avait reproché à Yannick Jadot « une absence de considération pour la dynamique de la primaire populaire » et des « difficultés à mobiliser toutes les composantes de l’écologie ».

Grève civique à gauche ?

Chez Arnaud Montebourg, la folle journée d’hier a, là aussi, laissé des traces. Il faut dire que personne ne s’attendait à ce qu’Anne Hidalgo sorte ainsi du bois, volant au passage la vedette au chantre du « Made in France ». Le héraut de la « Remontada » préparait pourtant ses plans depuis la semaine dernière –l’interview de Libération où il lance son appel ayant eu lieu le 2 décembre. Des plans qui auraient, selon une source interne, affaibli encore la cohésion des troupes restantes.

Car si rien n’est joué sur le chemin méthodologique que choisira d’emprunter Arnaud Montebourg, et quand bien même il pose des conditions à sa participation à la Primaire populaire (« Je ne vais pas me retrouver dans une primaire avec Mme Hidalgo en tête à tête, ça n’a aucun sens », a-t-il déclaré), le fait est qu’il a entrouvert la porte en ce sens.

Or, si parmi les anciens socialistes qui l’entourent, certains sont prêts à des concessions sur la ligne pour privilégier l’union, une autre partie de ses troupes, partisane de la ligne « populiste de gauche » et venue de chez Jean-Luc Mélenchon, ne l’entend pas de cette oreille.

« En appelant à une union dont il sait que ni Mélenchon ni Roussel ne seront, Montebourg s’est repositionné sur le bloc social-écolo… Encore une fois, il se replie sur sa ligne originelle et sur la facilité, parce que sa campagne pèche. Cela a créé beaucoup de tensions en interne », affirme un ancien militant insoumis qui a hâte de « prendre des vacances ».

Le parti n’a décidé de rien. Aucune discussion, nous sommes ébahis !
Pierre Pribetich, membre du bureau national du PS

Au Parti socialiste, l’annonce d’Anne Hidalgo a aussi ravivé les braises de la mésentente. Vers 21 h 40, ce 8 décembre, un bureau national du parti s’est réuni en urgence, dans une ambiance grave voire électrique. Si le parti a majoritairement entériné a posteriori la décision de sa candidate d’appeler à une primaire de la gauche, l’affaire n’a pas été sans provoquer quelques remous.
« Personne n’a été mis au courant, c’est une décision solitaire, unilatérale ! Le parti n’a décidé de rien. Aucune discussion, nous sommes ébahis ! », a tempêté Pierre Pribetich, soutien de Stéphane Le Foll, rappelant au passage que la candidate avait refusé tout débat avec l’ancien ministre de l’agriculture, lui aussi candidat à la candidature. Puis d’ajouter : « Si la candidate veut arrêter sa candidature, c’est son choix, sa responsabilité. Il ne faut pas transférer cette responsabilité au Parti socialiste ou dans une primaire ouverte… »

Le politiste Rémi Lefebvre explique cette situation heurtée dans les partis de gauche par l’entêtement des candidats à confier à leurs électeurs le soin de les départager, par l’intermédiaire des sondages. À quatre mois de la présidentielle, force est de constater que le peuple de gauche n’accepte pas de se prêter à ce petit jeu.

« Il y a six mois on pensait que les électeurs allaient déterminer leur préférence par les sondages. Mais les électeurs nous ont fait un joli pied de nez : ils n’ont pas choisi, car tout ça ne fait pas envie », convient la sénatrice montebourgeoise Laurence Rossignol.

« La disparition de la gauche dans tous les scénarios va finir par installer un désespoir total. Le risque désormais, c’est que les électeurs de gauche n’aillent pas voter », anticipe Rémi Lefebvre. Restent quelques mois aux candidats de gauche pour leur donner l’envie d’avoir envie.

Pauline Graulle

Collaboratrice à la revue Politis (France).

Mathieu Dejean

Journaliste Les Inrocks (France).

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