Édition du 23 avril 2024

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"Antisémitisme" et antisionisme : une confusion menteuse

Dans un texte publié par Le Devoir le 12 mai dernier et intitulé : "Nier l’Holocauste est un crime raciste", Richard Manseau et Emmanuelle Amar se félicitent de dispositions prévues dans la Loi d’exécution du budget 2022 qui prévoient de criminaliser la négation de l’Holocauste.

Ils citent Martin Imbeau qui écrivait dans les pages du Devoir le 16 mars 2007 : "Le négationnisme est une forme d’antisémitisme et de racisme".

Dans leur texte, ils mettent l’accent sur les mutations de "l’antisémitisme" sans les définir avec clarté. Ils affirment :
"Les Juifs ont été -et sont- attaqués pour leurs croyances religieuses, pour leur identité comme minorité ethnique ou nationale, pour leur application du droit à l’autodétermination". Ils soutiennent que les propositions gouvernementales peuvent d’appliquer dans le respect de la liberté d’expression.

On dispose là d’un condensé des positions d’une certaine droite sioniste "respectable", laquelle utilise la notion d’antisémitisme pour camoufler des orientations politiques bien précises, pro-israéliennes.

Pour mieux discerner les enjeux en cause dans le texte de Marceau et d’Amar, il faut tout d’abord s’entendre sur les termes utilisés.

Les Juifs et les Juives ne sont pas des "sémites", un mot à consonance ethnique. Il s’agit des pratiquants et pratiquantes d’une religion, le judaïsme, tout comme il y a des chrétiens, chrétiennes, musulmans, musulmanes, bouddhistes et des fidèles d’autres confessions. Tous et toutes appartiennent à des ensembles politiques, linguistiques et culturels divers. Il existe des nations où une foi est majoritaire et bien enracinée, mais une religion ne constitue pas une communauté ethnique. Après tout, on a longtemps considéré le catholicisme comme faisant partie intégrante, indissociable de l’identité québécoise avant que la Révolution tranquille ne mette fin à cet amalgame. On remarque des Juifs et des Juives de toutes origines : nord-africaine, européenne, proche-orientale, turkmène. Sait-on aussi, soit dit en passant que la religion la plus persécutée en ce moment est le christianisme ?
Il vaudrait donc mieux s’en tenir au domaine religieux et parler d’antijudaïsme, ce qui replacerait le problème dans sa juste perspective. Le fait que les pratiquants et pratiquantes du judaïsme aient longtemps été confondus avec une ethnie ne change rien à ce qui relève d’un courant culturel au sens large y compris religieux mais non de la génétique.

Par ailleurs, nier l’Holocauste est odieux et mérite la réprobation, en effet. Mais criminaliser l’expression de cette négation risque, n’en déplaise à nos deux auteurs, de produire des dérapages et de mettre en danger la liberté d’expression, pourtant consacrée par les Chartes des droits et libertés. Il vaut mieux miser sur l’éducation, l’instruction, l’information que sur le gros bâton de la loi. Par exemple, apporter des nuances à la politique hitlérienne de persécution des Juifs et Juives et la replacer dans son contexte ne revient pas à la justifier, loin de là. La recherche historique doit être libre de son interprétation.

D’autre part, Marceau et Amar ne précisent pas ce qu’ils entendent par "leur application du droit à l’autodétermination". Appuient-ils le prétendu "droit à l’existence" de l’État hébreu ? C’est probable. On aborde ici la question du sionisme, un courant politique et non religieux.

Pour l’essentiel, le sionisme affirme le "droit au retour" des Juifs et des Juives en Palestine d’où leurs ancêtres auraient été chassés par les Romains en 70 après Jésus-Christ.

En réalité, la majorité de la population de religion juive est demeurée sur place. Les Romains n’avaient aucun intérêt à transformer la Palestine en désert. La plupart des habitants de celle-ci s’est convertie à l’islam quelques siècles plus tard, lors de la conquête arabe.

Entretemps et encore par la suite, les exilés juifs et leurs descendants ont fait des convertis dans les autres régions où ils se sont implantés après la défaite de 70, c’est-à-dire ailleurs au Proche-Orient, en Afrique du Nord puis en Europe ; donc les ancêtres de ces convertis n’ont jamais vécu en Palestine.

À cette époque (Antiquité et Moyen-Âge) où religion et appartenance nationale étaient étroitement liés, on les a vite considérés comme une "ethnie". Ils ont donc été victimes de persécution parce qu’ils ne partageaient pas la religion du reste de la population, surtout en Europe chrétienne. La tolérance à leur endroit était plus grande en pays musulmans pour des motifs doctrinaux.

Il faut donc éviter de confondre judaïsme et sionisme. Tous les Juifs et les Juives ne sont pas sionistes et tous les sionistes ne sont pas Juifs. Les antisionistes de leur côté ne sont pas tous anti-judaïques tant s’en faut même si les anti-judaïques sont nécessairement antisionistes.

Marceau et Amar s’indignent de "l’antisémitisme" et affirment qu’on doit le combattre, ce qui est juste.

Mais eux et les tenants de leur courant de pensée ne dénoncent jamais l’anti-arabisme en général et l’anti-palestinianisme en particulier. Ils ne font pas la moindre référence au racisme anti-palestinien très présent en Israël, mais aussi de façon plus larvée dans les cercles politiques américains, canadiens et à Hollywood.
Leur colère paraît à sens unique...

Jean-François Delisle

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