Édition du 14 mai 2024

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Afrique

Afrique du Sud : la démocratie n'est pas un long fleuve tranquille

A deux jours des élections et 20 ans après les premières élections démocratiques d’avril 1994, les Sud- africains vont choisir leurs représentants nationaux et provinciaux. Plus de 25 millions d’électeurs sont inscrits et ils auront le choix entre une vingtaine de partis. Mais ces élections présentent des particularités nouvelles. Si l’Anc, le parti au pouvoir va, sans aucun doute, l’emporter, le ciel est lourd de nuages pour le futur gouvernement. Les scandales à répétitions, la corruption finissent par lasser l’électeur, mais ce sont surtout les divisions au sein même de ses plus fidèles soutiens qui doivent l’inquiéter.

La Cosatu, la puissante centrale syndicale qui avec le Sacp a formé la triple alliance pour en finir avec l’apartheid, est aujourd’hui plus que jamais divisée. Son secrétaire général, suspendu pour frasques sexuelles, puis réintégré, le camarade Z.Vavi n’a pas vraiment chanté les louanges de l’Anc au dernier meeting du Premier mai où il a pris la parole. Le Numsa (syndicat de la métallurgie) et huit autres syndicats ont décidé de ne pas faire campagne pour l’Anc.

Et dernières péripéties, Ronnie Kasrils, un vétéran de la lutte et ancien ministre a lancé une campagne « Sidikiwe ! Vukani ! Vote ’NO’ » qui veut dire « Nous en avons assez ! Réveillez vous ! Votez NON » et invite les électeurs à barrer leur bulletin de vote ou bien à choisir un petit parti. Un document, signé par des personnalités politiques et civiles, explique la démarche choisie :« L’Anc doit savoir qu’il ne peut plus penser que notre soutien traditionnel lui est acquis et nous trahirions l’Afrique du Sud et notre démocratie si nous ne votions pas ». Desmond Tutu vient d’appeler les électeurs à « réfléchir » avant de voter.

Même si le gouvernement peut avancer un bilan qui est loin d’être négligeable en construction de logements, d’adductions d’eau ou de connections au réseau électrique, ce bilan n’arrive pas à faire oublier que 20 ans après la victoire de l’Anc au suffrage universel, le pays compte 25 millions de pauvres, dont 24 millions sont noirs et 16 millions vivent des seules aides sociales versées par l’Etat. Les jeunes et les femmes sont les principales victimes d’un chômage qui dépasse largement le chiffre officiel des 25% de la population active et nul ne sait comment les « born free » , ceux qui n’ont pas connu l’apartheid vont voter.

La multiplication des émeutes dans les townships pour protester contre des services inexistants ou déficients ne vont pas s’arrêter le lendemain des élections et il faudra bien y répondre par des mesures concrètes ; la promesse de « la vie meilleure pour tous » ne peut plus attendre. Aucun espoir de résolution du conflit dans les mines de platine, où la grève a commencé le 23 janvier et où plane toujours les fantômes des mineurs tués à Marikana. Les mineurs n’ont pas touché de salaires depuis trois mois, les mineurs migrants retournent dans leurs villages et le risque de licenciements massifs est à craindre.

Ce ne sont pas les autres partis que l’Anc doit redouter à ces élections, aucun parti n’est en mesure de le devancer. L’Alliance démocratique reste le parti blanc , capitaliste, le Cope , partisan dissident de l’Anc a bien du mal à trouver un électorat, le nouveau parti de Julius Malema, surfe sur le mécontentement social, mais n’ a pas de programme économique valide et les petits partis restent ..petits.

Le plus important restera à faire après les élections car comme le dit Zackie Achmat, qui a mené la lutte pour l’accès aux traitements de tous les malades du sida au temps de la présidence de Thabo Mbeki « la vraie démocratie, c’est ce qui se passe entre les élections, la participation quotidienne à la vie politique et économique, aux luttes sociales fondées sur le savoir. Je crois que c’est cela qui doit retenir notre attention pour les dix prochaines années ».

Jacqueline Dérens

Blogueuse sur le site de Mediapart (France). Ancienne militante contre l’apartheid, fondatrice de l’association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d’Afrique du Sud.

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