Édition du 30 avril 2024

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Afrique

Armes et mercenaires, la tentation russe de la RDC ?

Des témoignages font état de la présence de combattants “blancs” en République démocratique du Congo. Après la République centrafricaine, le Mali, le Soudan, des mercenaires russes seraient-ils présents aux côtés d’une armée qui s’embourbe dans sa lutte contre les rebelles du M23 ?, s’interroge “Die Tageszeitung”.

Tiré de Courrier international.

Le cadavre d’un homme blanc en treillis camouflé gît au bord de la route. “Voilà ce qui arrive aux Russes de Wagner”, lit-on sous cette photo prise en République démocratique du Congo (RDC) qui a fait le tour de Twitter. Wagner, c’est-à-dire ce groupe de mercenaires au service de la Russie qui est accusé d’horribles crimes contre les civils non seulement en Ukraine, mais aussi au Mali et en République centrafricaine.

Les Russes seraient-ils aussi présents en République démocratique du Congo pour aider l’armée à lutter contre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) ? Cette perspective suscite une inquiétude profonde chez les diplomates occidentaux. Félix Tshisekedi, le président de la RDC, excluait pourtant cette éventualité en octobre. “Je sais que c’est à la mode en ce moment mais non, nous ne sommes pas obligés de faire appel à des mercenaires”, avait-il déclaré lors d’un entretien accordé au Financial Times.

“Des dizaines d’hommes blancs en uniforme”

Interrogée par nos soins, la direction du M23, soutient que le Blanc qu’on voit sur la photo [évoquée ci-dessus] a bien été tué au combat, le 30 décembre, dans le village de Karenga, juste sur la ligne de front qui s’étend au nord de Goma, une ville de [plus de 2] millions d’habitants. C’est un combattant du M23 qui a pris la photo. Le mort n’avait pas de drapeau ni même d’insigne de Wagner sur son uniforme, sa nationalité était “difficile à déterminer”. Quatre autres mercenaires blancs ont été tués, affirme un chef du M23, mais sans apporter aucune preuve.

L’hôtel Mbiza, dans le centre de Goma, non loin de l’aéroport et à quelques pâtés de maisons de la frontière du Rwanda, est rempli de Blancs armés. “Il y a des dizaines, peut-être une centaine d’hommes blancs en uniforme”, rapporte un journaliste local qui a étudié les lieux pour nous et dont nous ne pouvons pas citer le nom pour des raisons de sécurité. “Ils portent des uniformes différents, sans drapeau national, et ont un pistolet à la ceinture.” La plupart d’entre eux parlent couramment français.

L’entrée de l’hôtel est gardée par des soldats de la garde présidentielle congolaise. L’établissement a selon eux été loué par des étrangers pour une longue durée. “C’est le quartier général des Blancs maintenant”, conclut l’un d’entre eux. Il ne veut pas en dire plus.

Un bref coup d’œil à la salle de conférences de l’hôtel révèle un drapeau de la RDC déployé et des officiers congolais qui entrent et sortent. Nous avons reçu des photos montrant de gros tas de muscles aux cheveux coupés court et aux lunettes de soleil réfléchissantes qui circulent dans Goma dans des voitures aux vitres teintées – escortés par des soldats congolais en armes.

L’ombre de Wagner

Les Congolais de Goma appellent les mercenaires les “Russes”, faisant ainsi référence aux hommes de Wagner, qui sont tristement célèbres en Afrique. S’agit-il bien de Russes ou d’autres Européens de l’Est ? “La plupart des Congolais sont incapables de faire la différence”, tempère le journaliste local.

Ces militaires blancs sont arrivés à Goma le 22 décembre dans un Boeing 737 chartérisé par la compagnie aérienne roumaine Hello Jets, nous confie un employé de l’immigration de l’aéroport. Il a tamponné des passeports roumains. Une autre photo mise ligne le 2 janvier donne des indices concrets.

On y voit un homme blanc d’un certain âge aux cheveux coupés court, en vêtements civils mais avec un fusil d’assaut AK-47 dans les mains, qui se tient entre deux soldats congolais sur une route au nord de Goma. L’intéressé reconnaît être un mercenaire roumain et s’appelle Horatiu Potra.

Né en 1970 à Medias, en Transylvanie, Potra a servi dans la Légion étrangère française [de 1992 à 1997], puis est devenu le chef des gardes du corps personnels de l’émir du Qatar à la fin des années 1990. Depuis l’an 2000, il est surtout actif en Afrique : il a formé les gardes du corps d’Ange-Félix Patassé, qui était à l’époque président de la République centrafricaine [1993-2003], et des rebelles au Tchad.

À partir de 2002, il a également fréquenté Jean-Pierre Bemba, le chef du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), un mouvement rebelle congolais qui donnait un coup de main à Patassé en République centrafricaine. Il aurait en 2016 formé les gardes du corps de Faustin-Archange Touadéra, l’actuel président centrafricain, à la demande de Moscou.

Nous avons demandé à quantité de spécialistes du groupe de mercenaires russes ainsi qu’aux experts de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) si Potra faisait partie des instructeurs rémunérés par Wagner : rien ne permet de l’affirmer pour le moment.

Horatiu Potra est le directeur de Ralf, une société roumaine dont le siège est à Sibiu, en Transylvanie, et qui, d’après son site, forme des gardes du corps pour VIP, protège des “zones sensibles”, par exemple des mines en Afrique, et forme des unités spéciales. Son code s’inspire expressément de celui de la Légion étrangère. La société et son directeur n’ont pas répondu à nos questions.

Un scénario centrafricain ?

Le gouvernement congolais a intensifié ses relations avec la Russie l’année dernière. Invité à une conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Moscou en août, Gilbert Kabanda, le ministre de la Défense de la RDC, a salué dans son discours le “soutien” apporté par la Russie dans la lutte contre les rebelles dans l’est du pays. La Russie a livré à l’armée congolaise du matériel moderne : des chars, des hélicoptères et des avions de combat.

Ce genre de chose était loin d’être simple auparavant. L’embargo sur les armes à destination de la RDC décidé dans le cadre de l’accord de paix de 2003 avait certes été en partie levé en 2008, mais toute livraison de matériel ou fourniture d’instructeurs à l’armée ou la police congolaise devait toujours être signalée au Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette obligation de notification n’a été supprimée que le 20 décembre 2022, principalement parce que la Russie est membre du Conseil de sécurité. Deux jours après, les mercenaires blancs au passeport roumain débarquaient à Goma.

L’armée de l’air de la RDC est essentiellement équipée de matériel russe, parmi lesquels quatre hélicoptères [polyvalents] Mi-8 et huit hélicoptères [d’attaque] Mi-24. Elle comptait également deux hélicoptères de transport Mi-26, mais l’un d’entre eux s’est écrasé au cours d’une mission l’année dernière. L’appareil restant, qui intervient en permanence dans la lutte contre le M23, doit être révisé d’urgence si on veut éviter un autre accident. Or la Russie a besoin de son matériel pour la guerre contre l’Ukraine. L’offre est donc limitée sur le marché mondial et très chère de surcroît.

Viktor Tokmakov, [le numéro deux] de l’ambassade de Russie à Kinshasa, a passé les derniers mois à rencontrer des représentants du conseil de sécurité congolais ainsi que les membres des commissions sénatoriales responsables de la sécurité. Tokmakov a été en poste à Bangui, la capitale de la République centrafricaine, de 2015 à 2021 – un pays dont l’armée a été formée et équipée parle groupe Wagner et le GRU, les services de renseignements militaires russes, et où les sociétés de l’entourage de Wagner ont reçu des droits d’exploitation minière.

La Russie espérait-elle un accord similaire en RDC ? L’armée et le gouvernement ne s’expriment pas sur la question. Des membres des unités spéciales en poste à Goma nous ont confié que les Russes demandaient trop cher et que le gouvernement centrafricain s’est tourné vers d’autres partenaires d’Europe de l’Est.

Confettis soviétiques sous les tropiques

Le ministre de la Défense, Gilbert Kabanda, a assisté en mai à une démonstration sur l’aérodrome de l’armée de l’air à Kinshasa. Plusieurs Européens de l’Est revêtus d’uniformes portant l’insigne de la société privée Agemira étaient présents. Kabanda les a félicités d’avoir remis les vieux hélicoptères russes en état de voler en cinquante-deux jours seulement.

D’après les enquêteurs des Nations unies, Agemira, une société bulgare dont le siège se trouve à Sofia, a fondé à Kinshasa une filiale qui assure l’entretien des hélicoptères et des avions de l’armée de la RDC. La société a envoyé une quarantaine d’ingénieurs et de techniciens à l’aéroport de Goma pour effectuer les réparations sur place. Ces techniciens ne sont pas tous bulgares, on trouve aussi des Géorgiens et des Biélorusses, qui connaissent les appareils russes. L’armée de l’air de la RDC emploie des pilotes géorgiens.

Tous ces hommes venus de pays de l’ancien bloc soviétique sont ouvertement cantonnés avec les Roumains à l’hôtel Mbiza. D’après le site français spécialisé Africa Intelligence, Potra ne prend pas officiellement ses ordres auprès du ministère de la Défense congolais mais de Congo Protection, une société qui appartient à l’homme d’affaires Bijou Eliya et au député Patrick Bologna. Ce dernier est le fondateur et président d’Avenir du Congo (ADC), le petit parti du Premier ministre Sama Lukonde.

Les mercenaires roumains assurent donc la protection de l’aéroport de Goma et les techniciens de la société bulgare Agemira veillent au bon fonctionnement des appareils. Pas question que ce site au rôle stratégique important, qui n’a été remis en état que récemment grâce à des fonds allemands, tombe aux mains du M23. C’est ce qui s’était produit en 2012 et les rebelles avaient pillé les dépôts – qui contenaient entre autres des missiles de moyenne portée que l’armée de RDC venait d’acheter aux Russes.

Simone Schlindwein

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