Édition du 23 avril 2024

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Québec

Brûler nos forêts en Europe pour remplacer le charbon : Québec se lance dans l’exportation

Un article du directeur de Greenpeace qui donne un sens à l’empressement d’Arrimage St-Laurent de nous imposer les immenses silos qui ont poussé soudainement sur les rives du St-Laurent dans la Ville de Québec. Ces verrues urbaines sont apparues dans la nuit de vendredi à samedi dernier dans un geste précipité des autorités du Port de Québec sans qu’une consultation sur l’impact de ces installations ne soit tenue. Même le maire Labeaume a condamné le projet tout en soulignant son incapacité à intervenir.

J’étais de passage en Europe la semaine dernière, entre autres pour rencontrer des représentants et députés du Parlement européen. Objectif : tenter de faire changer les politiques énergétiques européennes qui encouragent (et même subventionnent) la combustion de bois pour remplacer le charbon dans les grandes centrales thermiques. Les forêts européennes ne pouvant suffire à la demande grandissante des géants énergétiques (GDF-Suez, RWE, DRAX, Vattenfal, E.ON, etc.), ces grands producteurs d’électricité ont de plus en plus recours au bois des forêts canadiennes et américaines. Utilisant initialement des sciures et des résidus industriels, les producteurs de granules canadiens doivent maintenant se tourner vers la forêt pour suffire à la demande.

La bioénergie, qui était censée servir de remplacement aux énergies sales de façon locale et à petite échelle, se transforme rapidement en ce que nous avons décrit en 2011 comme la « biomascarade ».

Broyer des arbres pour répondre aux marchés européens

Pratiquement tout le monde croit (et espère) que la biomasse forestière n’est en fait qu’une utilisation des déchets de l’industrie. Même l’industrie et le gouvernement continuent à dire que cette filière n’est basée que sur l’utilisation de résidus. Or la définition de déchet pour l’industrie est loin de ce que vous avez en tête. Arbres commerciaux non récoltés par l’industrie forestière, arbres non-commerciaux (essences habituellement laissées en forêt), blessés, de formes irrégulières ou malades, zone de feu, éclaircis pré-commerciaux, cimes et branches…bref ce qui restait habituellement après le passage des coupes est maintenant ouvert à la récolte un peu partout au Canada. Une pression additionnelle sur nos forêts, permise et encouragée par nos gouvernements.

À l’image de cette industrie qui se développe en catimini sans réel débat public, le Port de Québec a donné son aval à l’entreprise Arrimage Québec pour construire un terminal et permettre l’exportation de 75 000 tonnes de granules annuellement à destination d’une immense centrale thermique de 4000 MW appartenant à DRAX en Angleterre. Or l’opposition de la population locale est palpable et l’acceptabilité sociale de ce projet est loin d’être acquise, sachant que DRAX brûlera plus de 7 millions de tonnes de bois annuellement dès l’an prochain.

Les granules qui passeront par le Port de Québec proviennent d’arbres de la forêt ontarienne abattus et broyés par Rentech Inc., une entreprise californienne en pleine expansion dans le monde de la bioénergie. En 2011, Rentech s’est vu attribué par l’Ontario plus de 1,1 million de mètre cube de bois annuellement en terre publique. Au Québec, la compagnie Trebio (compagnie achetée par Abellon (Inde) ) a une garantie d’approvisionnement de 169 000 mètres cubes de bois directement en forêt pour transformer les arbres en granule. De son côté, Trebio exporte des granules pour l’Europe via Trois-Rivières grâce à une connection par train de son usine au Témiscamingue jusqu’à la ville portuaire.

Alors que la Colombie-Britanique dominait les exportations canadiennes depuis quelques années, l’Est du pays entre de plus en plus dans cette course à la biomasse. Ainsi les gouvernements provinciaux, dont le Québec, ont ouvert la porte à la récolte de bois en forêt à des fins de combustion et d’exportation. Pendant ce temps, les villes de Trois-Rivières et Québec, de même que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick sont activement convoités pour le marché de l’exportation car elles disposent d’infrastructures permettant l’utilisation des bateaux Panamax et Ultramax (le bois est une énergie très peu dense qui requiert d’immenses quantités, donc des gros bateaux). Il semble que le Port de Québec prend une longueur d’avance avec la construction de ce terminal controversé.

Ce carbone que les gouvernements préfèrent ignorer

Le moteur de cette rapide transformation du marché de la granule ? Une faille majeure dans le système de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre qui considère le bois comme étant « carbo-neutre ». Une centrale au charbon en Europe peut actuellement brûler des centaines de milliers de tonnes de bois canadien par année sans même déclarer un gramme d’émission de GES provenant de la combustion. Cette erreur majeure, dénoncée par la communauté scientifique, permet aux compagnies de charbon de gagner des crédits en brûlant du bois, même si leur empreinte climatique est en réalité empirée pendant des décennies. Car n’oublions pas, brûler du bois qui serait resté normalement en forêt libère d’immenses quantités de carbone dans l’atmosphère, et ce carbone (et celui libéré pour extraire le bois de nos forêts) ne sera recapté par les arbres en croissance que dans des dizaines, voir des centaines d’années.

Malheureusement, la crise climatique est une réalité et les réductions d’émissions doivent être immédiates. Les représentants du Parlement européen rencontrés cette semaine ont du pain sur la planche pour rectifier le tir, alors que l’Europe est en train de fixer ses cibles de réduction de GES pour 2030 et que la biomasse comptera pour plus de 50% de toutes les énergies renouvelables du vieux continent dès 2020. Ce retour vers le bois à grande échelle n’est malheureusement pas la solution car, en plus d’aggraver la crise climatique, il menace directement nos écosystèmes forestiers.

Décidément, tant ici qu’en Europe, il est grand temps de dénoncer cette biomascarade.

Nicolas Mainville

Greenpeace Canada

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